Les Algériens sont-ils prêts à se séparer de leur parabole ?

L’interdiction des antennes paraboliques est présentée comme une nécessité urbanistique et une préparation de l’avènement de la TNT, oubliant que «la parabole» est depuis longtemps dans les mœurs sociales et politiques, son apparition ayant coïncidé avec la fin du rideau de fer du régime du parti unique.

Aucune échéance n’est donnée, mais il suffirait qu’un décret soit signé pour voir nos villes changer en moins d’une semaine. Et à moins que cette interdiction ne soit frappée par le rejet social, comme c’est le cas pour l’interdiction des pétards, il y a fort à parier que les habitudes cathodiques des ménages puissent rapidement sombrer dans la contre-révolution qui s’annonce.
L’argument avancé par le ministre des Postes et des nouvelles technologies (bien que ce ne soit pas de son domaine de compétences), reposant sur l’image hideuse des paraboles sur les façades des immeubles, tient la route et le phénomène nécessite d’être affronté et résolu. Et son collègue du gouvernement, le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme parle plutôt de changer les cahiers des charges des constructions et d’intégrer de manière obligatoire des réseaux de réception satellitaire qui permettent d’éviter les installations de fortune bricolées par les foyers, au bénéfice d’installations collectives. Mais il n’est pas question que d’esthétique.
Il s’agit aussi de supprimer la réception satellitaire et de lui substituer la télévision numérique terrestre (TNT) qui représente la technologie de pointe du moment, à même de précipiter la fin de la réception hertzienne, comme cela sera bientôt le cas en Europe.
Mais ces antennes paraboliques ne sont pas que des objets en métal et en plastique; elles ont un contenu et ce dernier n’est pas sans importance ni sans impact sur la société. Leur explosion a coïncidé avec la fin du régime du parti unique et l’avènement du pluralisme de la presse écrite et dans la production audiovisuelle privée. Elles sont donc assimilées à des acquis de l’ouverture pluraliste du début des années 1990, une sorte de liberté individuelle et de démocratisation de l’accès aux médias étrangers.
Si l’on devait paraphraser un sociologue, interdire les «paraboles» dans le pays le plus «parabolisé» du monde et punir les contrevenants, cela reviendrait à considérer chaque téléspectateur comme «un harrag virtuel». Mais là n’est pas encore le débat.
La TNT, bien que de qualité non démentie et signe d’une avancée technologique indéniable, n’offrira jamais, à cause de son choix limité, la diversité de plus de deux mille chaînes accessibles grâce à un terminal standard et une parabole de moins d’un mètre de diamètre.
Il se trouve qu’à ce choix multiple de chaînes arabes, occidentales, slaves, asiatiques ou américaines, dont une grande partie est superflue et n’est jamais regardée, les Algériens se sont bien habitué. Une habitude démontrée par le passage rapide de l’antenne collective à celle individuelle puis par la multiplication des petites antennes dans un même foyer.
L’usage n’est en fait pas le même pour tous. Une partie du public regarde les informations en alternant Al Jazeera et Al Arabya, d’autres téléspectateurs apprennent l’anglais sur la BBC ou la CNN, certains s’évadent sur des chaînes de promotions touristiques, les feuilletons turcs ou syriens, sans compter les matchs de football des compétitions européennes et internationales, les programmes pour enfants, la musique à laquelle les jeunes veulent tout le temps être «branchés», les chaînes culinaires et, naturellement, les chaînes religieuses.
Cette diversité des usages si différents de la parabole, sur laquelle il est impossible de s’étaler en un article de presse, est telle qu’elle ne saurait être contenue dans un seul bouquet de dix chaînes de la TNT, dans laquelle on retrouvera forcément l’ENTV et ses clones satellitaires, ni encore dans un bouquet Canal+ vendu par Internet, alors qu’une catégorie du public algérien a fini par tourner le dos aux chaînes occidentales d’Hotbird et se retrouve dans celles reçues à partir de Nilesat.
Economiquement parlant, acheter une parabole et son récepteur, un terminal, peut coûter au maximum 10.000 dinars, mais cela représentera une dépense unique.
En revanche, s’abonner à un bouquer, sur TNT ou sur Internet, revient à payer une redevance mensuelle, alors que les ménages ont le budget suffisamment alourdi par de multiples dépenses que le pouvoir d’achat moyen est loin de pouvoir dépasser.
Quant aux commerces vivant de la vente des équipements de réception satellitaire, il va de soi que cela va se répercuter négativement sur leur activité, sérieusement réduite par la fin du piratage des bouquets de Canal satellite puis de TPS et l’on parle déjà d’une sensible réduction des importations, certains opérateurs redoutant d’être surpris par une nouvelle loi qui leur laisserait sur les bras des conteneurs entiers sans preneurs.
Selon les statistiques officielles, on en dénombre plus de 20 millions en Algérie, mais ce chiffre peut être réduit à la baisse si ce décompte ne s’est basé que sur le volume des importations et n’a pas tenu compte de l’usure d’une partie de ce volume.
Cela laisse tout de même voir à quel point le phénomène est important et il n’est pas certain que la suppression de l’antenne parabolique, sans contrepartie en diversité, soit pour ainsi dire une mesure populaire. Les Algériens prêts à se séparer de leur parabole? Poser pareille question, c’est déjà y répondre…

Source: La Voix de l'Oranie