Jonathan Ive : l’autre boss d’Apple

On parle beaucoup (trop ?) de Steve Jobs, mais il y a assurément un autre homme derrière le succès retrouvé d'Apple depuis presque 15 ans. Père du design de la marque depuis sa résurrection, Jonathan Ive a une grande implication dans la transformation de l'ADN de la marque.

Présentation de l’iPhone 4. Steve Jobs s’avance sur scène et annonce la couleur. Émerveillement de l’audience, applaudissements répétés, la Pomme et son gourou marquent encore les esprits. Cette introduction peut être utilisée pour le macbook, l’iphone 3GS, l’iPad, l’iPod… Derrière ces pièces d’aluminium et de plastique, ces formes qui bousculent un peu la hi-tech, point de Jobs mais bien l’imagination et la direction artistique de l’une des ressources les plus inestimables d’Apple : Jonathan Ive.

Vous ne le connaissez peut-être pas et pourtant il incarne le mieux ce qui fait la force de la firme de Cupertino depuis la fin des années 90, le design. A tel point que « Jony », comme l’interpelle publiquement Jobs, est maintenant présent sur scène pour de nombreuses présentations de la marque. Rien que de très logique puisqu’au final, ce que l’on repère en premier lieu sur un produit Apple des années 2000, c’est le travail d’Ive.

Mais celui qui est aujourd’hui vice-président et chargé du design chez Apple n’a pas toujours inventé des iPod.

Du lavabo à l’iPod Nano

Jonathan Ive ne vient pas de Californie. Il est un pur produit de la Reine et a vu le jour à Londres en 1967. Sorti multirécompensé par la Royal Society of Arts de la Northumbria University de Newcastle, il atterri chez l’un des plus grands cabinets de design londonien. Chez Tangerine Design, Ive exerce ses talents naissants de designer industriel dans la conception de baignoires et autres éléments de salle de bain. Quand le cabinet est consulté pour le chantier d’un tout nouvel ordinateur Apple, le tout premier portable PowerBook, c’est Jony qui s’y colle. Le voyage scolaire se déroule tellement bien qu’en 1992, Ive décide de rester dans les locaux de la Pomme et entre au sein du département Design de la marque. Département qui, à cette époque encore, revient chez  Apple à coller deux morceaux de plastique suivant un patron loin d’être folichon.

Car en 1992, c’est un peu l’ambiance fin du monde (ou d’un monde) qui règne à Cupertino. La firme est à la ramasse et se retrouve dans l’obligation de caser dans les rayons des produits bas de gamme, vite montés, peu inspirés et surtout à bas prix. Une association de tout ce qui répugne Jonathan Ive, lui qui conçoit l’informatique comme un univers « trop conservateur en matière de design et pas assez simple« .

Sa vision va être sauvée par un homme, Steve Jobs (surpris, n’est-ce pas ?). Appelé à la rescousse de sa marque en 1996, il jauge le potentiel d’Ive, intronisé chef du département design peu avant son retour et en fait son directeur de laboratoire. Il a carte blanche pour le prochain ordinateur, censé redonner de l’allant à Apple. Une porte ouverte en or massif pour le designer, qui va alors apporter ce qu’il avait déjà réintroduit en salle d’eau : la simplicité et la couleur. C’est la naissance de l’iMac. Un gros écran aux couleurs acidulées intégrant l’unité centrale.

Un bon coup de boost pour Apple. Mais ce qui va définitivement faire entrer Jonathan Ive au panthéon des designers industriels contemporains, c’est octobre 2001 et la sortie de l’iPod. Ou comment réinventer un objet connu de tous, le transformer en standard, en « frigo » de la musique mobile. La vision de l’électronique de Jony est validée, plébiscitée (on ne compte plus, à partir de la fin des années 90, le nombre de prix et d’awards concernant ses conceptions) et Apple est sur orbite. Nouveaux iMac, iPod Nano, Touch, MacBook, iPhone et iPad, le designer façonne la pomme de Cupertino du XXIe siècle à son envie… Et ça marche.

Génie, plagiaire, chanceux ou simplement bien inspiré et doué, Ive se sert de ses influences passées tout en marquant le design contemporain, pour longtemps.

Travail influent sous influence

Ive n’a d’ailleurs jamais caché son amour pour le travail de l’allemand Dieter Rams, grand artisan des lignes hallucinantes et avant-gardistes des produits Braun des années 50 à 70. Inspiration, hommage ou pompage, le résultat est là : La parenté plastique est plus que frappante. Entre la radio portative T3 et l’iPod (en bas à gauche, ci-dessus), il y a pourtant plus de 40 ans d’écart ! Le tour de force de Jony, c’est surtout d’avoir imposé sur le secteur électronique de  nouveaux codes esthétiques. Oui, esthétiques. Les produits du designer et de son équipe deviennent tous ou presque des icônes (bien aidés par un service marketing débordant d’inventivité) de notre époque. Le produit devient objet. Rams passe le relais à Ive. L’Allemand, interrogé il y a peu sur les ressemblances évidentes entre son travail et celui du londonien, s’est ainsi fendu d’une courte réponse : « on ne peut pas dire que ce soit de la copie, je préfère voir dans les produit Apple, un compliment. »

L’influence des lignes d’Ive s’étend à tout l’univers hi-tech et même au-delà. Si vous avez vu le film Wall-E, le robot Eve, d’un blanc immaculé et aux traits simples mais harmonieux, vous a sans doute fait penser à un Mac ou un iPod ambulant. C’est normal, Jonathan Ive a participé à sa conception, avec les studios Pixar, qui voulaient aussi lui rendre hommage.

Docteur Steve et Mister Ive

Le designer, l’enfant-roi dans le monde Apple by Jobs 2.0, prend ainsi une épaisseur peu commune dans le secteur. Pourtant, l’homme est timide, réservé, fait peu de sortie. Décrocher une interview de Jonathan Ive, pour un journaliste hi-tech, c’est un peu comme gagner à la loterie. Mais une fois face à son interlocuteur, le Californien d’adoption ouvre les vannes et ne parle que de design, d’aluminium, de courbes, de la nécessite d’inventer de nouvelles manières d’intégrer les composants pour concevoir des formes presque proscrites en informatique ou audio-vidéo. Passionné par son métier le gaillard. Corporate, aussi. Le meilleur porte-étendard, mais plus rare, de la marque après Jobs. Il s’est d’ailleurs calé sur son boss pour donner le change sur scène. Perte de poids, crâne rasé, t-shirt et jean constamment de rigueur et légère musculation… les canons ouest-américains ont pris durablement la place du jovial Londonien.

On a longtemps fait des plans sur la comète et disserté dans la presse sur l’avenir d’Apple le jour où Steve Jobs quitterait le navire – pour ceux qui pensent encore, comme moi,  qu’il est humain et qu’un jour il ira manger des pommes ailleurs. La montée en puissance, médiatique, de Jonathan Ive, n’est pas anodine. La succession est en rodage. La présentation de l’iPhone 4, revenons-y. Jonathan Ive y a participé malgré son absence, via FaceTime. En effet, c’est avec lui que Steve Jobs a souhaité faire la démonstration de sa visiophonie gratuite, sur écran géant.

Dans le grand monde de com’ dans lequel se complait la marque, des gestes de cet ordre ne sont pas anodins. De même, sur le site internet d’Apple, la présentation des nouveaux produits est toujours introduite par un laïus du designer en chef. Reste simplement à « Jony » à faire quelques efforts pour adopter un parler plus expansif et proche du gourou. Trop modeste, il résume ses créations à ce qu’il considère comme son crédo le plus difficile à atteindre : « il faut espérer qu’à chaque fois que l’on réalise quelque chose, on se sente toujours satisfait du résultat« .

Source: Techyou.fr