L’information n’est plus l’apanage des médias, des journalistes et autres professionnels de la communication. Internet est désormais passé par là. Il a chamboulé, chambardé la donne, en favorisant un développement sans précédent de ce qu’on appelle l’information citoyenne, avec en prime des photos et vidéos à l’appui.
Un essor qui n’en est, semble-t-il, qu’à ses balbutiements. “C’est le temps des vérités. Les mensonges ne passeront plus. La Toile fait une sorte de contrepoids aux politiques des pouvoirs. Et les dictatures ne peuvent plus sévir à huis clos”, estiment quelques jeunes rencontrés à l’entrée d’un cybercafé dans un quartier d’Alger. À quelques mètres de là, dans une autre artère, un responsable local, âgé d’un peu plus d’une soixantaine d’années, s’échinait à tailler un crayon avec un petit canif usé. Il n’arrivait pas à se familiariser avec l’ordinateur qui “encombrait” son bureau. Une image qui explique en partie l’écart, plutôt le gouffre, séparant les jeunes d’une partie des générations précédentes, néophytes dans le domaine des nouvelles technologies de l’information. Au moment où des responsables butent sur les touches de leur clavier, à la recherche de la virgule, du point ou du chapeau (accent circonflexe), de jeunes adolescents survolent le monde, via la Toile, à la recherche d’un ami vivant quelque part dans une ville africaine, en Europe ou en Amérique du Nord, d’un document dans la bibliothèque du Congrès américain ou de The London Library, d’une photo d’un petit village perdu dans le désert australien ou, tout simplement, celle de son quartier, sa rue ou son village sur Google Maps, pour la présenter sur son blog.
Les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, pour ne citer que ces deux exemples, constituent une autre belle invention de l’homme, faisant de la Terre un “village planétaire”, comme l’écrivait il y a 43 ans (1967) le philosophe et sociologue canadien Marshall McLuhan dans son livre The Medium is the Message. Des émeutes et heurts entre jeunes manifestants et forces de sécurité font, grâce au téléphone mobile, vidéo à l’appui, le tour du monde quelques instants après leur survenance. “À force de répéter, sans trop y croire, que l’Algérie est une maison de verre, les responsables sont surpris, irrités aussi, de constater que les jeunes ont mis leur slogan en pratique, online”, dira Hamid, 23 ans, “un enfant de la Toile” où il passe le plus clair de son temps, que ce soit à la maison ou dans un cybercafé avec des amis. Pour lui et des dizaines de milliers de jeunes, Internet n’a aucun secret. Ils passent d’un site à l’autre, d’un domaine à l’ d’un pays à l’autre et d’une langue à l’autre par le truchement de la traduction online sans difficulté, juste avec un petit clic là où il faut. Ils jettent l’ancre là où ils veulent, même dans le désert du Ténéré, discutent avec qui ils veulent, écrivent sur tout ce qui leur tient à coeur, sur leurs joies, leurs peines, leur passion, leur colère et leur espoir.
LES INTERDITS VOLENT EN ÉCLATS
Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Et le voyage, par les temps qui courent, est gratis, à l’oeil. C’est le cas de le dire. On peut faire le tour du monde, visiter n’importe quelle ville, n’importe quel village ou patelin sans quitter son siège. Et le monopole et la censure n’y peuvent rien. L’histoire des paraboles collectives, introduites durant les années 1980 en Algérie, est là pour rappeler que l’interdit, la censure, y compris par la pratique des prix et des taxes exorbitants pour décourager les plus intrépides, ont toujours stimulé la création et l’invention dans tous les domaines. Outre les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, le blog connaît un engouement en Algérie. Il permet la circulation de l’information entre les différents acteurs d’un secteur, d’un groupe social, des habitants d’un village ou d’un quartier. Les blogs jouent le rôle de trait d’union, sont devenus des plateformes de discussions et de débats dans certains villages. Ils permettent à un bon nombre de leurs habitants, surtout des jeunes vivant à l’étranger ou dans une autre région du pays, de participer à la vie de leur lieu de naissance. Le recours à une éventuelle utilisation future de Skype, ou d’un autre moyen de communication de ce type, transportant voix et images dans les débats des assemblées des villages (tajmat) n’est pas à écarter. Déjà, dans certains endroits, des vieilles recourent à cet outil pour parler et voir “en chair et en os” leurs enfants installés à l’autre bout du monde.
Tout en étant une plateforme d’échanges, le blog donne, ce qui n’est pas rien, la parole aux voix marginalisées. Il constitue aussi un moyen de proposition mais également de pression sur les autorités locales qui ne peuvent pas ne pas en tenir compte. Ce ne sont pas tous les blogs qui s’assignent un tel objectif. Beaucoup veulent juste faire connaître leur passion pour leur village, ses habitants, ses potentialités, ses hommes et femmes illustres, ses difficultés et ses espoirs. “Au début, j’ai juste fait des photos pour mon plaisir. Par la suite, j’ai eu l’idée de créer un blog pour faire découvrir mon village et ses habitants. Pourquoi ? Parce que j’adore mon village, ses habitants”, peut-on lire sur le blog du village de Zouvga, en Kabylie. Son but est de “permettre à tous les émigrés du village, en France ou ailleurs, de pouvoir faire un tour virtuel au village et de revoir la famille et les amis”, précise-t-il. Tifrit-Info lancé par un habitant de Tifritn’Ath Oumalek se propose d’informer en rassemblant “l’essentiel de l’information” circulant sur le Web. “Il se veut un site pour la communauté algérienne et berbère en France et dans le monde”, écrit son auteur.
ESPACE D’ÉCHANGE, D’EXPRESSION, DE PROPOSITION ET DE PRESSION
Bouharoun, à 50 km à l’ouest d’Alger, dans la région de Tipasa, dispose d’un blog renfermant essentiellement des photos de la ville, du port, de bateaux et de fermes. “Sa beauté et son calme n’ont pas d’égal”, estime le concepteur du blog. “Son hymne, une musique douce jouée par un orchestre composé de vagues qui vous bercent et vous ensorcellent. Son parfum, un subtil mélange d’odeurs de la mer, de poisson frais et de terre fertile”, souligne-t-il. Le blog d’Ath Ali Ouharzoune est de “faire connaître le village” et de permettre à ses internautes “de se retrouver”. Un internaute émigré résume, schématiquement, l’intérêt et le rôle de trait d’union que joue le blog. “Merci pour ce voyage qui m’a permis de revoir ma famille, mes amis et mon village”, écrit-il dans un message envoyé au blog de Tassaft Ouguemoune, dans le Djurdjura. Ighil Lmal voit plus loin, vise plus haut. Le but de ce blog “est d’aborder des questions qui dépassent Ighil Lmal, c’est-à-dire la transmission de la mémoire, la difficulté de créer un tissu social et associatif et bien d’autres questions qui agitent la Kabylie”, annonce son auteur. Ath Mansour va, à quelques nuances près, dans le même sens. Ce blog se présente comme un “espace” et “un moyen d’expression” sur la vie et l’histoire de l’aârch d’Ath Mansour. “Son premier objectif est de faire une analyse globale de l’environnement social, économique et culturel de notre commune pour en tirer les points forts à consolider par des actions concrètes, tout comme pour en identifier les points faibles à corriger en vue d’une nouvelle dynamique de développement associant toutes les catégories socioprofessionnelles dans ce grand chantier”, écrit son auteur. “Son second objectif est d’accompagner nos jeunes, surtout chômeurs, à créer de nouvelles richesses en intégrant notre démarche dans les divers dispositifs d’aide à l’emploi des jeunes et autres mécanismes d’encouragement du développement rural et agricole”. Le blog renferme des informations sur les activités et les projets locaux. Sur le site d’Aït Bouyahia, créé par un jeune vivant au Canada, mais le coeur battant la chamade pour le village, un débat est engagé sur les voies et moyens de donner un nouveau souffle aux associations chargées de l’environnement, de la solidarité, des activités culturelles et sportives.
Dans un message publié sur le site, un enfant du village suggère, à partir de Paris, la création d’un fonds de soutien à ces associations. Le blog d’Ath Adelli, dans la commune d’Illilten (Kabylie) ouvre sur une présentation exhaustive du village de sa fondation à nos jours et des zones qui l’entourent comme le massif montagneux d’Azrou n’Thour. Son auteur décoche quelques fléchettes en direction des pouvoirs publics qui ont abandonné les orphelins et les veuves des 64 martyrs de la lutte de Libération nationale. “Ceux qui nous ont gouvernés depuis l’Indépendance n’ont pas cessé de piller ce beau et riche pays”, relève l’animateur du blog. Durant cette guerre, le village Ath Adelli comptait 600 habitants.
INTERNET : DIVERSITÉ INDISCUTABLE DANS UN ESPACE INFINI
“Privé d’instruction, autodidacte, rétrogradé injustement après 30 ans d’ancienneté puis, mis à la retraite, j’essaie de m’exprimer à travers cet espace”, écrit Idir Aït Mohand de Ath Saâda, un village accroché à l’un des flancs du Djurdjura. C’est quoi un blog ? “J’ai essayé de réfléchir à la question et plus j’y pense, plus je me perds dans ce méli-mélo qu’est cette Toile du Net s’étendant à l’infini”, écrit-il. “Un blog peut être comparé à une embarcation voguant au gré du vent sur cet immense océan du Web. De l’insignifiant radeau à la plus petite voile, de l’imposant porte-avions et autres sous-marins en passant par une multitude de paquebots, la gamme est très variée. Chacun peut s’offrir sa propre croisière et naviguer ainsi en eau trouble ou limpide selon son désir”, ajoute-t-il. Ce bloggeur ne blague pas. Il sait de quoi il en retourne. Pour avoir, vraisemblablement, “longtemps roulé sa bosse” sur la Toile. Sa description du Web est poétique, mais juste et pertinente. Il existe, comme il le souligne, une “diversité indiscutable” dans “cet espace infini” de la Toile. “Tels des soldats, les blogs se livrent une bataille acharnée pour remporter quelques points supplémentaires qui les aideraient à monter en grade. On ne peut pas arriver dans ces armées aux couleurs multiples avec le grade de général. Il va de soi que le bidasse, engagé volontaire, doit passer par l’apprentissage avant d’ambitionner une brillante carrière qui fera de lui, peut-être, un haut gradé aux nombreuses décorations : (le haut de gamme, le top des blogs avec tous les privilèges qui leur siéent).” Dommage que ce blogueur ait décidé de se retirer, de prendre ses distances.
Cependant, dit-il à ses amis du Web, “si j’ai décidé de larguer les amarres, c’est pour ambitionner une autre aventure”. Dans ce cas, souhaitons-lui en choeur bon vent ! Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) “a profondément bouleversé les modes de gouvernance, les principes de participation politiques et les schémas de la relation entre les hommes. Les NTIC ne laissent indifférente aucune sphère de la société”, écrivait en 2006 Mamadou Ndiaye dans une thèse de doctorat intitulée E-gouvernance et démocratie en Afrique : le Sénégal dans la mondialisation des pratiques. M. Ndiaye ajoutait que “déjà en 2000, dans les dernières lignes de sa Galaxie Internet, Manuel Castells nous lançait un avertissement en nous faisant comprendre que si nous ne nous occupions pas des réseaux, les réseaux, eux, s’occuperaient de nous; la vie en société, désormais, est nécessairement confrontée à la vie des réseaux”.
C’est désormais à ce niveau, celui de la maîtrise des nouvelles technologies de l’information, que se jouent, déjà, le développement, l’évolution, l’indépendance, la bonne gouvernance d’un pays. C’est donc dans ce sens qu’il faudra agir, prendre des initiatives audacieuses afin de réduire “la fracture numérique”.
Source: Liberté