Le numéro 122 de N'TIC magazine nous a amenés à questionner la "Big data" comme nouvelle alternative économique pour l'Algérie. Dans le cadre de notre enquête, nous avons rencontré Samir Amellal, expert en Big data et Directeur Général de Fullsix Paris – Groupe Havas. Entretien.
N'TIC : Pouvez-nous dire ce qu'est au juste le Big Data ?
Samir Amellal : C'est la conséquence d'explosion de la communication digitale et de notre capacité à stocker et à accéder à toutes ces informations créées autant par des institutions, des entreprises, des associations, des médias que par tout un chacun. Il a fallu dans un premier temps se doter d'infrastructures et dispositifs capables de traiter cette masse considérable d'information, c'est ainsi que de nouveaux paradigmes sont apparus d'abord pour les architectures techniques (MapReduce, In Memory, Lambda Architectures...). Parallèlement, on a fait évoluer les approches de traitement de ces données souvent (bagging, apprentissage non supervisé, features engineering...) car contrairement à ce que l'on avait dans les bases de données auparavant (des valeurs standardisées dans des tableaux) les données digitales sont souvent du texte, de l'image... Elles sont non structurées.
N'TIC : Que permet l’exploitation des informations laissées par les consommateurs sur les réseaux sociaux ?
Samir Amellal : De mieux comprendre les tenants et aboutissants de leur comportement, de créer des algorithmes, parfois de l’intelligence artificielle à l'instar de Siri, qui interagissent mieux avec les consommateurs et améliorent l'expérience utilisateur. Au même titre qu'un enfant apprend en observant le monde (expérience sensible) aujourd'hui il est possible de concevoir des dispositifs qui apprennent seuls en observant (la Data), nous leur apprenons à apprendre (features engineering) notamment en nous inspirant des réseaux de neurones biologiques et les résultats commencent à être intéressants (deepface Facebook qui permet de reconnaître un humain aussi efficacement que nous).
N'TIC : Comment les entreprises intéressées (autre que les GAFA) peuvent elles accéder aux informations des internautes laissées sur les réseaux sociaux ?
Samir Amellal : En récoltant ces données ou en faisant du scrapping c'est à dire en récupérant les données librement accessibles comme les commentaires laissés sur des forums. Il y a aussi l'open Data ou les données rendues disponibles par les GAFA. Les données des Gafa sont accessibles via leurs plateformes de services "API" à des conditions particulières. C'est une possibilité donnée par Facebook par exemple via son API ( Application programming interface) pour récupérer des données à plusieurs fins comme créer des jeux ou améliorer l'existence des utilisateurs Facebook. Toutes les données sont accessibles si vous acceptez d'en faire bon usage. Par exemple, si je fais un jeu Facebook, je peux récupérer l'adresse postale des participants uniquement si j'en ai réellement besoin, dans le cas où je veux livrer un cadeau au vainqueur. Le "Facebook connect" fonctionne selon le même principe, plutôt que de créer un compte en y inscrivant toutes vos données de profil à chaque fois Facebook qui dispose de ces informations les rend disponibles. Comme vous êtes en autolog sur Facebook, il vous suffit de cliquer sur un bouton "connectez-vous avec Facebook" et l'API envoie toutes les informations nécessaires à la création du compte.
N'TIC : Est-ce que c’est légal ?
Samir Amellal : Ça dépend, chaque pays à sa législation. L'Europe se dote d'une législation très encadrée dès la fin de l'année et tous les grands groupes européens ont lancé des groupes de travail. Le consommateur doit aussi prendre conscience que les informations qu'il communique peuvent être laissées à la libre interprétation du destinataire.
N'TIC : Quels sont les secteurs qui sont demandeurs des services Big Data ?
Samir Amellal : Tous ! scientia potentia est dans un monde où les sciences et la découverte sont issues d'une tradition positiviste et empiriste. L'information est une denrée disputée. Mais, les premiers secteurs sont ceux du marketing, des télécoms, de la banque / assurance, de la finance. Simplement parce que les données y sont plus abondantes. Mais la santé ou encore l'énergie, l'industrie ont de gros enjeux aussi.
N'TIC : Un pays comme l’Algérie (17 millions d’utilisateurs de facebook) est-il une terre pour le Big Data ?
Samir Amellal : Évidemment ! Car c'est avant tout une question de démographie. L'Algérie pourrait être le point de départ d'une condition indispensable au développement du continent africain. Une autonomisation dans le domaine. Aujourd'hui, excepté les États Unis et la Chine, il y a peu de géants détenteurs de données et issus de cet état d'esprit né en Californie, l'Europe continue à se heurter à ces paradoxes (entre catalyseur et lourdeur administrative) et l'Afrique a des atypismes qui représentent ses propres atouts, une population très jeune et de plus en plus nombreuse, digitale native sur-équipée en dispositif mobile (téléphones portables). La révolution industrielle que nous vivons est celle de l'information. L'Algérie est l'une si ce n'est la principale puissance de ce continent, elle a la légitimité et la compétence pour s’en saisir du leadership.
N'TIC : Ce marché représente-t-il une opportunité pour les entreprises spécialisées dans le Big Data ?
Samir Amellal : Oui mais pas uniquement. Tous les secteurs doivent s'y mettre, au risque d'accumuler une dette technologique, culturelle et organisationnelle. L'information concerne tous les secteurs, le marché algérien est perçu comme une excellente opportunité car il est une porte d'entrée stratégique sur l'Afrique dans une industrie comme "les Big Data" qui ne peut pas s'envisager à l'échelle d'un pays mais de grandes zones continentales. Évidemment, il y a des freins comme un taux d'équipement encore trop faible en internet haut débit, une économie très inflationnistes, et des freins à l'entrepreneuriat. Néanmoins, tous les pays ont des faiblesses et l'Algérie a énormément d'atouts.
N'TIC : Quels sont défis auxquels on peut être amené à faire face lorsqu'on est sur un marché comme l’Algérie ?
Samir Amellal : L'Algérie dispose d'atouts indéniables. Il y a bien sûr l'accroissement de l'équipement des ménages ou des individus via le mobile en connexions internet très haut débit mais aussi la formation d'experts. L'Algérie dispose d'une diaspora incroyable qu'elle pourrait aussi attirer pour catalyser son dynamisme notamment représenté par une jeunesse très inventive. Les hydrocarbures sont une manne finie ce ne sera jamais le cas de l'information, il est temps de basculer vers de nouveaux débouchés économiques.
N'TIC : Pouvez-vous expliquer encore plus le rôle de la diaspora dans ce domaine ?
Samir Amellal : La diaspora algérienne est de mieux en mieux formée et s'aiguise dans les plus grands Groupes mondiaux. Ils sont confrontés à une compétition très dure dans les pays occidentaux et doivent en plus parfois faire face aux difficultés liées à leurs origines. Bref, ils sont conscients que leur pays d'origine représente une excellente opportunité qu'ils n'ont pas envie de laisser à des initiatives étrangères. Il suffirait de peu pour qu'ils mettent leur compétence au service de l'Algérie.