Dans cet entretien, Farid Lefkir General Manager M2I Services revient sur les « incursions » faites par la société à l’étranger et nous dit pourquoi la pérennité des sociétés de service au numérique est vitale pour l’Algérie.
NTIC : Vous faites partie de ce segment d’entreprises peu connues du grand public, mais qui sont derrière la transformation numérique des administrations et des entreprises. Qui est M2I Services ?
Farid Lefkir : M2I Services est une société de services et d'ingénierie en informatique. Aujourd’hui, nous sommes une société de services au numérique d’une quarantaine de personnes dont la moitié sont des ingénieurs. Notre métier c’est la gestion globale des écosystèmes IT, qui va de la création de la salle blanche d’un data center à la mise en place d’applications métiers. De grands groupes tels que Sontrach, Sonelgaz, Naftal, SNTF et des institutionnels comme les banques, et les différents ministères du gouvernement ont fait appel à nos services.
Créée en Algérie en 1997 en partenariat avec des Français, notre société est devenue 100% algérienne en 1999, suite à la cession des parts de nos partenaires français. 20 années d’existence sur lesquelles nous avons beaucoup de fierté parce que cela prouve que les PME-PMI algériennes peuvent durer dans le temps. Ce tissu économique porteur de richesse et de développement.
Nous sommes dans ce segment restreint d’entreprises orientées services au numérique qui manque cruellement à l’Algérie pour la transformation de son économie. Nous sommes aussi une entreprise qui développe son métier en Algérie, mais aussi un peu à l’export. Nous avons développé des applications métiers pour des entreprises étrangères qui opèrent à l’étranger plus particulièrement des entreprises françaises.
NTIC : Est-ce ce n’est pas difficile pour une entreprise algérienne d’aller dans l’exportation de services IT ?
Farid Lefkir : Nous avons fait ce que demande l’Etat algérien aujourd’hui, c'est-à-dire aller vers l’exportation. Mais l’exportation de services IT demeure problématique, car cela reste tributaire du dynamisme de nos chancelleries à l’étranger pour soutenir nos entreprises.
Il faut savoir que l’Algérie est perçue jusqu’à présent comme un pays ‘’instable’’. Et les grands groupes qui font appel à nous ont peur de cette ‘’instabilité’’ qui pourrait nuire dans la relation qu’on a avec eux. Nous exprimons à nos partenaires que l’Algérie est fiable, mais ce n’est pas suffisant tant c’est le chef d’entreprise qui parle. Ils souhaitent à ce que les garanties soient portées par la voix officielle de l’Algérie à l’étranger, c'est-à-dire les chancelleries ou les structures économiques des ambassades.
Ce que nous attendons aujourd’hui comme effort de la part de nos chancelleries c’est surtout de promouvoir nos entreprises et apporter toutes les garanties légales par rapport aux conditions de gestion de notre économie et rassurer nos partenaires à l’étranger.
Ce dynamisme qui manque à nos chancelleries ne rassure pas les entreprises étrangères qui veulent importer des services de chez nous. Or, les services vont être dans le moyen terme un segment important pour l’économie algérienne.
NTIC : Parlez-nous un peu de ces opérations d’exportation de services que vous avez réalisées ?
Farid Lefkir : Nous avons réalisé plusieurs opérations d’exportation de services pour notamment des entreprises françaises et anglaises qui font partie de grands groupes. Je citerai l’exemple d’un groupe français côté au CAC40 auquel nous avons fourni des services dans le développement d’applications métiers, la maintenance applicative et la maintenance évolutive. Ce grand groupe nous a fait confiance : ses usines sont gérées dans le monde, entre autre, par des outils développés par nos ingénieurs, sortis des universités algériennes.
Ça a été très positif pour nous cette aventure qui a duré quatre ans. Le marché est revenu, par la suite, aux Indiens dans le cadre d’un contrat global avec le groupe. Il a fallu même que nous fassions un transfert de compétences aux Indiens pour qu’ils puissent reprendre nos activités.
Cette expérience nous a permis de nous frotter à des structures qui sont totalement dans la transformation numérique. De part leur expérience et expertise, ces entreprises sont très exigeantes. Et c’est cette exigence qui a été largement prise en compte par M2I Services dans ces quatre années à vendre du service. Cela prouve que nous sommes capables d’aller vers l’exportation de services sans aucun problème, tant nous avons les compétences.
Je pense que l’Etat a un rôle capital, à travers des politiques publiques, pour nous amener à réussir ce challenge de l’exportation de services.
NTIC : Que pensez-vous de l’environnement dans lequel évolue votre entreprise?
Farid Lefkir : Aujourd’hui notre secteur d’activité représente 4% du PIB, et ce, depuis plus de 10 ans. Il n’a jamais évolué, tout en sachant que dans les pays voisins il représente plus de 10%.
Il faut dire que le secteur télécom est aujourd’hui assez prospère. Mais reste sur des bases tarifaires un peu chères qui vont freiner demain cette transition numérique que nous attendons. Pour palier à cela, il faut ouvrir le marché. Le projet de loi sur les télécommunications électroniques a une orientation d’ouverture du marché. Je pense que cette ouverture est cruciale même s’elle vient tardivement. Mais à coté de cela, il faut penser au contenu local. Parce que mettre en place uniquement des infrastructures pour consommer toute la bande passante internationale n’est pas judicieux. Ce qui est important à mon sens c’est que nous fassions du contenu ; si nous ne développons pas de contenus et arriverons pas à héberger des applications sur notre territoire nous n’allons qu’augmenter d’une manière abyssale nos investissement et abonnements en bande passante internationale.
Il y a un vrai travail de fond à faire pour soutenir l’activité informatique et ériger des infrastructures intelligentes qui vont héberger nos contenus numériques et ne faire appel à la bande passante internationale que lorsque la donnée est à l’étranger. C’est un vrai défi.
NTIC : Le projet de loi sur les télécommunications électroniques promet une ouverture du marché mais aussi la promotion du contenu local. Qu’en pensez-vous ?
Farid Lefkir : Faire un point d’échange (GIX) est pour moi une obligation et le grand Datacenters évoqué récemment par la ministre du secteur est réalisable. Mais il faut aller vers des projets de grande envergure dans ce domaine. Le défi c’est d’avoir des Datacenters innovants, mais aussi écologiques. L’Algérie dispose d’un temps d’ensoleillement optimal. Il faut donc penser à des process qui intègrent le solaire comme source d’alimentation en énergie.
Il serait judicieux que les futurs GIX prévus par le projet de loi sur les télécommunications électroniques soient installés à coté de fermes solaires. J’irai même jusqu’à dire que le Sud algérien serait propice pour l’implantation de grands Datacenters, loin de la sismicité du Nord et près de la source d’énergie renouvelable qu’est le solaire.
Les princes du Golfe ont réussi à faire de Dubaï, un désert, une place incontournable dans le transport aérien, pourquoi pas l’Algérie ne serai-t-elle pas un hub pour l’IT ? Je pense que l’Algérie peut devenir le hub de l’IT pour toute l’Afrique. Ceci est un challenge que l’Etat algérien doit prendre très au sérieux. Non pas en ajoutant des taxes complémentaires qui freineront la transformation numérique du pays et qui généreront très peu de revenus à l’Etat sur les 600 millions de dollars que représente le marché IT en Algérie.
NTIC : Justement, la loi de finances 2018 prévoit de forte taxation pour le secteur des TIC en Algérie. De quoi s’agit-il au juste ?
Farid Lefkir : Nous avons pris connaissance des nouvelles taxations qui freinent nos activités à la présentation du projet de loi de finances à l’APN. Comme on n’a pas été consultés, donc on a été pris de court. Nous avons alors tenté d’alerter tous les acteurs gouvernementaux pour éviter cette injustice. Notre filière se retrouve dans la liste des produits qui n’ont pas cet intérêt qui est l’innovation. On taxe l’informatique comme si elle était surconsommée, alors qu’elle ne pèse que 600 millions dollars par an. A coté, l’achat de téléphones mobiles et accessoires en 2016 représentait, au niveau des douanes, pas moins de 1,5 milliards de dollars.
La taxe sur la consommation intérieure (TIC) touchera en 2018 les PC, les switch, les routeurs, les disques de stockage et d’autres produits. L’augmentation prévue dans la loi de finances 2018 pour ces produits ne rapportera que 4 milliards de DA de recettes supplémentaires aux Trésor. Une bagatelle.
Or, ces produits ne sont pas des produits finis mais des intrants importants dans la transformation numérique du pays. C’est la transformation numérique de notre économie et nos administrations qui vont faire avancer le pays. Il faudrait que notre activité soit forte et renforcée au lieu de nous mettre de coté. Parce que nous sommes ce levier de développement à l’ère du digital.