« Le cloud n’est pas une technologie en soit, c’est un modèle économique intelligent ».
N’TIC Magazine : Presque une année après l'entrée en vigueur du cahier des charges de l'ARPCE, pensez-vous que le cloud computing a gagné en popularité en Algérie ?
Zine Seghier: Le cloud computing est un terme générique qui englobe pléthore de services accessibles aussi bien aux entreprises, qu’aux particuliers. La raison étant que le cloud n’est pas une technologie en soit, c’est plutôt un modèle économique intelligent et qui est là pour rester. Pour l’entreprise c’est la garantie d’avoir accès à des services qui nécessitent beaucoup d’agilité, sans qu’elle n’ait à se soucier de maintenir des équipements et des logiciels, qui très vite deviennent obsolètes. Passer sur le cloud est également la meilleure manière pour l’entreprise, pour se défendre et pour lutter contre la délinquance informatique, à savoir l’introduction de logiciels pirates dans ses machines ou pis encore, les attaques virales qui peuvent paralyser l’IT et asphyxier l’entreprise.
Contrairement à l’évolution du marché des Télécoms, le cloud étant un service accessible via Internet et donc universel, le pays ne pâtit pas d’un retard. Le problème de l’accessibilité aux services cloud, réside plus dans la difficulté pour payer ces services. Le cloud est indissociable des modes de paiements modernes et à leur tête le paiement en ligne. S’il y a un secteur qui pénalise la popularisation du cloud dans le pays, c’est bien celui-là.
N’TIC : Bien avant l’entrée en vigueur de ce cahier des charges, le cloud computing était déjà très courant en Algérie ... A qui s’adresse exactement cette réglementation ?
ZS : Tout le monde utilise le cloud dans sa vie quotidienne. Gmail, Facebook, Twitter et même Spotify ou Netflix en sont les exemples les plus courants. Les opérateurs mobiles offrent Facebook par exemple et font du cloud naturellement. Android qui représente plus de 90% du marché embarque automatiquement Gmail et les données des utilisateurs sont automatiquement sauvegardées dans le cloud.
La régulation parle d’exploitation de services d’hébergement et de stockage de contenus. Même si le scope parait un peu vaste, il s’adresse bien aux entreprises qui vendent des services de hosting ou de stockage d’ailleurs. Cela dit, nombre d'intégrateurs et autres hébergeurs offrent des services de ce type sans être sous le coup de cette régulation. Ceci provoque une distorsion dans le marché.
Cela étant posé, nous en tant que pionnier dans ce segment, nous nous conformons aux lois et même si nous avons notre opinion sur le sujet, nous la partageons avec le régulateur dans un cadre professionnel et nous ne commentons pas ces décisions en public.
N’TIC : Quels sont les enjeux de ce cahier des charges ?
ZS : Une régulation tant qu’elle ne devient pas « progrèsophobe », ne pose pas de problèmes. Si elle permet d’établir un cadre concurrentiel sain et loyal entre les différents acteurs présents sur ce créneau ou souhaitant y jouer un rôle, c’est une bonne chose. Comme je le disais précédemment, le problème est que nombre de sociétés offrant des services d’hébergement ou même de backup, ne se soucient pas de la réglementation.
Ces services sont contractés à l’étranger généralement sans aucune garantie au grand risque du client. Il est important qu’il y ait un cadre légal pour opérer dans ce secteur et je pense que le cahier des charges tente d’y répondre. Il y a encore du chemin à faire, mais c’est un début.
N’TIC : Ce cahier de charges apporte-t-il des facilitations ou, au contraire, des complications ?
ZS : L’informatique est un sujet sérieux. La protection des données, la mise en place de ressources de calculs, leur disponibilité et leur sécurisation, n’est pas un jeu. On ne s’improvise pas hébergeur et on ne se prétend pas OVH sans un minimum de professionnalisme.
Notre marché n’est pas différent de n’importe quel autre marché. Il y a des acteurs sérieux et professionnels qui oeuvrent dans notre pays et ceux-là il faut les soutenir. Le reste des « offreurs de services à la sauvette » disparaîtront naturellement. Lorsqu’on est professionnel, lorsqu’on maîtrise son sujet et lorsqu’on connait ses limites, qu’elles soient techniques ou légales, on continue son développement.
Encore une fois, une régulation est parfois nécessaire, pour peu qu’elle ne devienne pas un frein au développement. C’est lorsqu'elle est mal appliquée qu’elle crée des complications.
N’TIC : Techniquement, quels sont les types de services de cloud computing disponibles en Algérie ?
ZS : Le cloud étant universel, techniquement, tous les services y afférent sont disponibles dans le pays. Comme je le dis en répondant une précédente question, les opérateurs mobiles qui offrent Facebook, Instagram ... etc font du cloud. La disponibilité de la 4G est indissociable du cloud. Donc les services sont disponibles.
Maintenant si vous posez la question sur le paiement de ses services, certains, le sont en dinars - pour les entreprises -, mais tout le reste est payable en devises fortes. Si vous pouvez payer, rien de ne vous empêche d’y accéder.
Maintenant si vous parlez de services de cloud computing dans le cadre professionnel à savoir, la location de ressources de puissance de calcul et les services y afférent, ces services existent bien et les entreprises peuvent y accéder. ISSAL vend ces services dans le pays avec un SLA (service-level agreement). Bien que notre taille est encore modeste par rapports aux acteurs internationaux, nous ne sommes pas différents professionnellement. Une entreprise qui contracte dans le pays et soumise aux lois du pays et est donc protégée par celles-ci.
N’TIC : Quels services propose ISSAL ?
ZS : Les services que nous proposons sont listés sur notre site web. Nous nous concentrons sur trois aspects du cloud: La protection des données et reprise après sinistre, la mise à disposition de ressources informatiques et les outils de messagerie et de collaboration.
Pour les ressources informatiques, nous offrons de l’IaaS pour les entreprises dont les applications métiers nécessitent de la puissance et du volume de stockage. La partie DR (Disaster Recovery : reprise après sinistre) comme son nom l’indique, adresse les entreprises qui ont besoin d’un site de repli distant de machines virtuelles qui prendraient le relais en cas de crash de leurs serveurs. Les entreprises peuvent utiliser notre plateforme pour archiver, backuper, et garantir une reprise de leurs activités si leur informatique est compromise. Nous adressons l’ensemble du périmètre et cela va du simple fichier au démarrage d’un datacenter complet ou une infrastructure présente sur plusieurs lieux distants les uns des autres.
Nos services de backup, repli, IaaS et certains services SaaS s’appuient sur notre plateforme qui est basée dans le pays. Nous sommes transparents et un rapide coup d’oeil sur notre site web vous donne la disponibilité de nos ressources. Nos contrats sont clairs et sont en ligne. Nous répondons aux exigences de la loi et sommes conformes au RGDP qui régit la protection des données des citoyens Européens.
Nos clients disposent d’un SLA et sont mieux protégés que s’ils avaient souscrit à ce type de service à l’étranger. Mais ce n’est pas tout ! ISSAL est connecté sur le MPLS de l’opérateur historique et ses liaisons sont redondantes. Nous sommes indépendants de la disponibilité d’Internet. Lorsque ce dernier est coupé pour quelque raison que ce soit, les services dans le pays continuent. C’est ça utiliser la boucle algérienne.
N’TIC : Comment jugez-vous l’intérêt des entreprises algériennes pour le cloud computing?
ZS : On a eu du mal à tout mettre en place et nous avons galéré si vous me passez le terme. Mais nous sommes restés déterminés et avons toujours pensé que les entreprises algériennes devaient elles aussi disposer de services qui leur permettent de croître et de se concentrer sur leur corps de métier au lieu de gérer des serveurs.
Beaucoup nous ont fait confiance et nous les remercions en leur offrant un service de qualité. Nous avons des clients de tous les horizons et de toutes tailles et nous les aidons à procéder à leur transformation digitale. L’intérêt et tout le monde est conscient que notre salut économique passera inéluctablement par l’économie digitale. Notre croissance est constante, mais pas tant qu’on le voudrait. Une chose est certaine en tout cas, nos entreprises ont compris que le cloud leur offrait une meilleure opportunité de croissance, car il leur permet une meilleure gestion de leurs ressources humaine et une digitalisation sans à-coups. Elles s’y mettent de plus en plus.
N’TIC : Parlons des datacenters. Le même cahier de charges exige que le datacenter soit implanté en Algérie. Que pensez-vous de cette condition ? Cela complique-t-il ou simplifie-t-il le développement de la filière ?
ZS : D'abord mettons-nous d’accord sur le terme. Datacenter va d’une simple salle technique à un ensemble très complexe. Ensuite il y a les services et là on va de la location d’espace et la fourniture de l’électricité pour héberger des serveurs physiques à l’interconnexion jusqu’à la fourniture de Infrastructures, plateformes, services...en tant que services. Il faut distinguer la revente - nécessaire - de services de fournisseurs de cloud comme Google, SalesForce, Oracle, Sage, Microsoft et autres, de la fourniture de IaaS ou de services qui, eux, sont hébergés dans le pays.
En ce qui nous concerne, nos services de backup par exemple ou notre IaaS, utilisent notre infrastructure. C’est à dire notre datacenter. Nous avons consenti des investissements lourds et nous entendons bien les rentabiliser. Il est clair que lorsque je fourni de la puissance de calcul, du stockage, de la puissance pour le repli ou de l’archivage intelligent, j’utilise notre datacenter. Cela m’ennuie de voir des pseudo-fournisseurs de services qui n’ont aucune infrastructure dans le pays et qui polluent le marché avec des offres et des prix farfelus.
D’un côté vous avez un investissement qui se compte en millions d’euros. De l’autre, vous avez des types qui veulent profiter sans investissement. En ça, la régulation est nécessaire ! Comme je l’ai dit plus haut, il y a des acteurs sérieux et qui veulent jouer un rôle et nous sommes ouverts à tout type de compétition saine et loyale, par contre nous ne voulons pas que n’importe, raconte n’importe quoi...et par les temps qui courent il semble qu’il y a surabondance “d’experts” en tous genre, qui parlent pour exister et qui ne font que rajouter à la confusion.
N’TIC : Que pensez-vous de la volonté des autorités d’installer des datacenters en Algérie ?
ZS : Je n’y vois aucun inconvénient ! Je pense, toutefois, qu’il est souhaitable que nos autorités se penchent sur ce qui existe et soutiennent les efforts qui sont fait dans ce domaine en leur ouvrant le marché public et en les protégeant, sans pour autant créer de distorsion. Mais qu’il y ait des datacenters « publics », pourquoi pas. Un datacenter est une vraie tour de contrôle et il faut des ressources humaines pointues et une disponibilité 24/24 tout le long de l’année.
Une chose est certaine toutefois, acquérir un datacenter clé en main type conteneur est simple. Garantir l’intégrité des machines et surtout de l’information qui s’y trouve, est une autre paire de manches. Quant aux mégastructures avec l’ambition de drainer les acteurs mondiaux majeurs, il ne faut pas trop se leurrer. Les exigences sont énormes !