Peut-on se fier aux spots télévisés pour choisir sa prochaine acquisition vidéoludique ? Dans le microcosme du jeu vidéo, la télévision (en dehors de la seule chaine spécialisée crédible) est une sorte d’antichambre du profane. Comprenez que l’approche médiatique sur le jeu vidéo révèle de vraies lacunes en culture jeu vidéo chez la plupart des pauvres présentateurs du JT contraints à couvrir un fait majeur qui s’inscrit dans ce divertissement à la croisée des arts. Pour autant, on pourrait croire que pour accéder à la communication télévisuelle, un soft se doit d’être convenable, bien réalisé, et à l’intérêt ludique réel. En allumant le petit écran, un spot sur Batman Arkham City, un jeu d’exception, semble aller dans le bon sens…Quelques pages de pub plus loin, c’est cette fois-ci un spot sur « The Lapins Crétins Partent en Live » qui est diffusé, et là, c’est le drame !
Le pire jeu de l’année ?
Les Lapins Crétins sont des créatures au potentiel de sympathie indéniable qui ont su maintenir Rayman, une vedette du siècle dernier, sur la scène vidéo-ludique avec humour, en attendant son grand retour dans un soft 2D des mieux inspirés : Rayman Origins. Entre temps, les Lapins se sont illustrés sur tous les supports ludiques dans des épisodes allant du grand n’importe quoi bâclé, au grand n’importe quoi très réussi. Leur arrivée en fanfare sur Kinect (qui a même bénéficié d’une pub télé ou l’on voit des joueurs s’amuser et sourire) risque toutefois d’en laisser plus d’un de marbre, ou au mieux lui faire esquisser un sourire…nerveux.
Il y a longtemps qu’un jeu n’a posé autant de difficultés à lui trouver un aspect positif. Il s’agit d’un ramassis de mini-jeux sensés amuser la galerie à travers des gameplays aussi variés que les 37 niveaux (ce qui en soi est un bon chiffre) que contient le jeu. Cependant, un bon quart d’heure suffit à en faire le tour, et ce, sans susciter la moindre envie de recommencer. On passe son temps à galérer avec les commandes Kinect sur la majorité des épreuves (épreuve est le bon mot), et les deux ou trois perles éparses que l’on rencontre durant la courte session de jeu ne pèsent pas assez lourd pour compenser.
The Lapins Crétins Partent en Live est l’archétype du navet commercial pour casual-gamer (d’accord Tintin et le secret de la Licorne est lui aussi une insulte aux jeux vidéo à laquelle on préfèrera l’excellent film de Spielberg), de quoi pousser le téléspectateur lambda à se méfier grandement des campagnes publicitaires.
Le meilleur jeu de l’année ?
Halte aux superlatifs, Batman Arkham City est un grand jeu, et il est peut être le meilleur de sa catégorie, mais il est peu judicieux de comparer le plaisir de jeu qu’il génère à celui d’un Rage ou d’un Skyrim tant ils appartiennent à des genres différents que seul le goût peut hiérarchiser, de façon nécessairement subjective. Batman Arkham City est un jeu d’action/aventure à la troisième personne où l’on incarne le Dark Night dans sa version la plus réussie. Il y a longtemps qu’un jeu n’a posé autant de difficultés à lui trouver des défauts. La réalisation tutoie le sans faute en installant les personnages dans une atmosphère crédible, fidèle à l’univers du comic, rehaussée par la qualité des dialogues et par la diversité des situations auxquelles est confronté le joueur. La narration suit son cours à travers des rencontres d’anthologie avec des personnages qui gagnent en charisme, dévoilant les protagonistes dans toute leur obscurité, plongés dans la folle ville d’Arkham, cité transformée en prison pour super raclures. La ville est un personnage à part entière, et son exploration com - plète relève du travail d’Hercule. Des déplacements du Batman à ses combats en passant par les phases d’infiltration, le soft nous sert un gameplay aux petits oignons, générateur d’un réel plaisir de jeu. Combien de clins d’oeil, de petits hommages, de contenus secondaires, de petites attentions que les développeurs ont mit dans Arkham City…une oeuvre qui dépasse ce que nous en attendions est chose rare de nos jours.
Impossible de tout résumer en si peu de mots, signalons que pour le joueur algérien, Catwoman, second personnage jouable (et quel personnage !) qui dispose de quatre niveaux exclusifs, est impossible à incarner sur nos consoles piratées. Il faut en effet disposer d’un code de téléchargement fourni uniquement avec le boitier d’origine…les courbes vertigineuses de Catwoman demeureront donc un objet de fantasme vidéo-ludique, mais il n’y a pas là de quoi bouder son plaisir face au soft qui demeure un petit bijou.
Quoi ? Un autre meilleur jeu de l’année ?!
En attendant d’avoir plus de recul sur Skyrim, quelques mots sur un FPS qui laisse sans voix (exercice pour le coup peu évident): Rage. Les créateurs du FPS fondateur du genre, à savoir Doom, reviennent sur le devant de la scène vidéoludique avec un hit absolu. Rage se déroule dans un monde post apocalyptique où la régression de l’esprit va de paire avec la survie. Voyant arriver la météorite, certains ont eu la bonne idée de cryogéniser quelques individus dans des vaisseaux spatiaux en attendant que la terre redevienne vivable, pour ensuite faire atterrir les « arches » qui représenteraient un espoir pour repeupler un monde dévasté…youpi. On incarne l’un des rares décongelés qui a été libéré des arches dans une aventure qui ne fait pas dans la dentelle.
Défouloir absolu habillé par une parure exquise, Rage nous surprend à nous extasier devant des villes en ruines, des déchets organiques, mais aussi des canyons, des déserts de poussière, des usines délabrées, des citadelles high-tech, des tunnels de métro poisseux,… et d’ autres environnements variés et travaillés avec une pâte artistique indéniable. Certes, les textures font peine à voir si l’on se rapproche trop, mais il faudra peut être attendre une prochaine génération de consoles pour accéder à mieux.
Le gameplay est le véritable point névralgique d’un FPS, et Rage réussit un petit miracle : surprendre le joueur expérimenté à travers des sensations de jeux inconnues ou vaguement perçues sur d’autres softs. Le comportement du joueur doit s’adapter à l’intelligence de l’ennemi, choix des armes, itinéraire d’approche, et bourrinage doivent être savamment dosés…mais quel plaisir de prise en main ! Enfin, Rage se permet le luxe de mettre un jeu dans un jeu, à savoir les phases en véhicule ; richissimes, réussies, et jouissives. Rage a été conçu pour vous scotcher au sofa durant la dizaine d’heures de la campagne principale qui s’étale sur deux DV D. Le troisième DVD ne sert qu’au multijoueur en ligne, donc hors d’accès pour le joueur algérien… Encore un plaisir de jeu que l’on refoule avec Catwoman.
Entre les extrêmes
Entre le meilleur et le pire, on trouve le mi-figue mi-raisin, l’essai non transformé, le tiède, la demi-teinte, le bien sans plus, bref, le normal (en roulant le « r »). Deux exemples dans cette situation : Ace Combat : Assault Horizon et Battlefield 3 (si, si!). Pour l’un comme pour l’autre, une sensation de retombée de soufflet vient peser sur la qualité perçue du jeu. Le choix de ses deux hits peut paraître surprenant tant ils s’inscrivent dans deux licences fortes ayant déjà donné naissance à de grands classiques. Passage en revue des troupes.
Battlefield 3
Battlefield 3 ou la déliquescence d’un FPS qui aura laissé quelques bonnes sensations dans un passé glorieux et désormais lointain. Tous les choix artistiques oeuvrent de concert à saper la force ludique du Battlefield que l’on connaît. D’abord, si vous avez opté pour une console dépourvue de disque dur, il ne faut pas être surpris de voir sa 360 se transformer en machine à remonter le temps ; Que d’effets datés, de textures surannées, de lumières fadasses...pas vu cela sur Xbox depuis…Rise of Nightmares, ce qui n’est pas une référence. Pourquoi le disque dur ? Parce qu’il faudra y installer 1,5 Go de données sensées rehausser le rendu graphique… Le deuxième hic est que ce pack se trouve sur un deuxième DVD qu’il vous faudra acheter… Le troisième hic est que le dit DVD est consacré au multijoueur online, inaccessible au joueur algérien lambda. Ces limites techniques n’expliquent pas la déception à eux seuls, la beauté d’un jeu ne se résumant pas à son esthétique.
C’est au niveau des qualités intrinsèques de la campagne solo que le jeu révèle une pauvreté indigne de la licence. Le scénario n’est que rarement un point capital dans un jeu en vue subjective, mais la manière d’aborder les situations, de les mettre en scène, de les sublimer, fait toute la différence. Battlefield 3 manque d’ambition dans sa narration, de folie, si bien que le joueur n’est jamais surpris par le jeu. La campagne manque de substance dans le gameplay, linéaire, sans personnalité. On sort de Battlefield 3 en ayant l’impression de rejouer une nième fois à un jeu que l’on a déjà bouclé dans une vie antérieure. Heureusement, d’autres licences s’en sortent mieux.
Ace Combat : Assault Horizon
Voilà un jeu qui vole dans des sphères plus hautes que Battlefield 3. Quand on oublie qu’il s’agit d’un Ace Combat, on a entre les mains un jeu calibré avec brio. Spectaculaire, facile à prendre en main, Assault Horizon procure un plaisir de jeu immédiat. La réalisation est telle qu’il arrive au testeur de penser « avec les capacités de la console, je ne vois pas comment ils auraient pu mieux faire ». Pourtant, le jeu ne se contente pas d’un bel écrin, Assault Horizon, c’est surtout un gameplay semiarcade aux petits oignons, à la fois accessible au plus grand nombre et assez intéressant pour vous maintenir scotchés au sofa. Pour prendre un raccourci rédactionnel, disons qu’Ace Combat Assault Horizon est le Call of Duty du jeu d’avion.
Dans ce tableau idyllique, le testeur chevronné se demandera « s’agit-il vraiment d’un Ace Combat ? ». La force de cette licence s’est toujours trouvée dans le challenge qu’apporte son gameplay exigeant, privilégiant le réalisme des réactions de l’avion à l’aspect cinématographique des combats aériens. On pourrait parler de lifting, mais cet Assault Horizon relève davantage du relooking extrême, de la table rase plutôt que de l’amélioration technique. Il gagne en plaisir instantané mais perd de son cachet, de sa personnalité pourtant inoxydable, symptôme d’un monde qui change.
Oussama ZIOUCHI / N'TIC 60