Il a beaucoup été question du lancement de la 4G “mobile” depuis un certain temps chez nous, et pour cause, notre gouvernement a décidé de se tourner vers cette technologie de haut débit mobile dont le lancement est prévu pour le dernier trimestre 2016. Bien que cette “orientation”, dite stratégique, puisse paraître dans l’ensemble comme étant une bonne chose (l’arrivée d’une nouvelle technologie étant toujours accueillie positivement en général), le timing choisi parait lui bien inadéquat !
En effet, l’investissement consenti au déploiement d’une nouvelle technologie est censé arriver pour permettre un avancement avec des retombées avant tout économiques. Or, faisons un point rapide sur l’état actuel de l’économie numérique en Algérie.
- Pas de textes de loi régissant le secteur des TIC dans le fond et dans la forme dans notre pays (ce qui existe est ici : http://www.caci.dz/fr/Nos%20Services/Information%20juridique/Pages/R%C3%A9glementation-TIC.aspx - jugez vous-même) ce qui implique;
- Toujours pas de paiement électronique donc;
- Pas d’écosystème solide (pourquoi les développeurs développeraient-ils du contenu qu’ils ne pourront monétiser à grande échelle?!!!). Du coup :
- Pas d’industrie du contenu local, d’où ;
- Accès majoritairement au contenu étranger, hébergé à l’étranger (souvenez-vous du blackout engendré par la coupure du câble sous-marin il y a quelques mois).
Mais alors, pourquoi nous considérons-nous être en retard sur la 4G (technologie datant de 2010), mais pas sur le e-paiement dont l’histoire a débuté en 1967 (année de la parution de la TV couleur) ? Est-ce que l’investissement sur la 4G en Algérie est porteur pour les opérateurs concernés, ou pour notre économie ? L’Algérie est entré dans une période « d’austérité » comme annoncé et répété par notre gouvernement. Il est à souligner que la France, territoire 4.5 fois plus petit que l’Algérie, a vu ses 4 opérateurs mobiles dépenser pour le déploiement de la 4G plus de 5.5 milliards d’euros sans compter le prix des licences d’exploitation comme le démontre le tableau suivant :
Sachant que nous n’avons pas d’équipementiers locaux, ces investissements seront consentis en devises étrangères, et viendront puiser dans les réserves de change dont dispose l’Algérie, pour tenter de se tourner vers une économie indépendante des hydrocarbures. Nous serions tentés de penser que cet investissement sur la 4G est un premier pas vers le développement d’une économie numérique locale, sauf qu’il semble qu’on soit en train de mettre la « charrue avant les boeufs » !
Partout ailleurs, la 4G est arrivée dans la continuité d’une “histoire”, construite au travers de la création d’une économie numérique en perpétuel mouvement, accroissant sans cesse son impact sur le quotidien des utilisateurs à travers Internet dit «utile », tout comme les revenus qu’elle génère, les applications et autres services internet évoluant deviennent de plus en plus complexes, et donc de plus en plus voraces en termes de bande passante … Est-ce le cas chez nous ? Nous allons donc dépenser à terme quelques milliards d’Euros dans une technologie qui va permettre de «télécharger des vidéos sur YouTube, Facebook et Google… » plus vite que ce que permet déjà aujourd’hui la 3G !
Pis encore, le cahier des charges émis indique que les opérateurs ont pour objectif de couvrir 10% des 3 wilayas par an (nous parlons bien ici de « mobilité ») ! A l’heure où un seul des trois opérateurs annonce qu’il a couvert l’ensemble des 48 wilayas en 3G, et où cette technologie a atteint un taux de pénétration “fictif” de 40.39% de la population disposant d’un mobile selon l’ARPT, voilà nos opérateurs mobiles appelés à se lancer dans un nouvel investissement et pas des moindres, sachant que les fréquences choisies pour la 4G ne sont pas celles qui permettent d’optimiser au mieux le déploiement de ces nouveaux réseaux.
Poussons le raisonnement. Il y a aujourd’hui en Algérie un peu plus de 16.3 millions d’abonnés 3G selon l’ARPT, 8.5 millions selon le MPTIC (je penche personnellement plus vers les chiffres du MPTIC qui me paraissent plus réalistes, vu le taux de pénétration des smartphones, le temps que le déploiement au niveau national a pris et les prix data mobiles pratiqués par les opérateurs). Seulement, nous n’avons pas d’informations sur la ventilation de ces abonnés ! Sont-ils majoritairement des clients «entreprises » ou grand public ? Se connectent-ils à la 3G à travers des clés USB 3G sur PC ? Des modems 3G (partage de connexion) ? Des smartphones ?... Plus encore, quelle est la répartition de ces abonnés par type d’abonnement ? Sont-ils sur des forfaits minimums de 100 DZ valables 24 heures ? Si c’est le cas, quel est le taux de renouvellement des recharges dans le mois ? Sur des forfaits de 1 Go et plus à plus de 1 000 DZ / mois ? En gros, quel est l’ARPU (Average Revenu Per User) généré par la 3G ? La typologie du marché algérien du mobile n’échappe pas aux tendances mondiales majeures, à savoir un marché constitué à plus de 90% d’utilisateurs en forfaits prépayés, ce qui implique une majorité de personnes soucieuses de contrôler leurs coûts et donc sensibles aux prix proposés par les opérateurs.
La tendance mondiale pour les pays en voie de développement, comme l’Algérie, veut qu’au moins 80% des utilisateurs de data consomment à travers les pass les moins chers avec de courtes durées de validité, qu’ils renouvellent au besoin. C’est sensiblement le cas chez nous pour ce qui est de la 3G. Dans ce cas, combien d’utilisateurs pourront se permettre le passage à la 4G ? Est-ce intéressant d’y avoir accès dans 10% des 3 wilayas par an ? Pensez-vous que de telles conditions attireront un nombre d’utilisateurs qui permettra de rentabiliser l’investissement même fractionné dans le temps ? Au-delà de l’investissement pour le déploiement du réseau, les opérateurs devront également penser à leur handset strategy, ou comment mettre des mobiles compatibles 4G entre les mains d’un maximum de personnes, ce qui augmente encore le coût en sachant qu’un détenteur de smartphone compatible n’est pas forcément un abonné. Il sera très difficile de rentabiliser l’investissement d’un point de vue purement économique.
Selon le rapport établi par le GSMA en 2016 sur le pourcentage de connexions à la data mobile par type de technologie 2G, 3G et 4G entre 2015 et 2020 par région, on estime le taux de pénétration de la 4G dans la région MENA (middle-east and north africa), dont fait partie l’Algérie, à 13% d’ici à 2020. Cette région compte également les pays du Golfe où la 4G est déployée depuis 2013/2014 et compte parmi les pays avec le plus fort taux de couverture 4G et de pénétration de smartphones déjà aujourd’hui (pénétration smartphones UAE 1er déjà au 1er trimestre 2013).
C’est le besoin qui changera les habitudes de consommation pour tirer le data mobile usage vers le haut, et qui générera ainsi de nouvelles sources de revenus et non l’augmentation du débit. Ce besoin ne peut être créé qu’à travers le développement d’une industrie du contenu « utile », qui basculera le gros de cette consommation d’Internet vers la facilitation de nos tâches au quotidien, plutôt que dans le simple divertissement qui constitue l’essentiel de notre utilisation actuelle, mais aussi des
infrastructures d’hébergement locales offrant une stabilité et une fiabilité aussi bien de la connexion Internet que de l’alimentation en électricité.
Cela permettra ainsi l’hébergement en Algérie d’un maximum de solutions et d’applications made in DZ, afin que leurs accès ne nécessitent plus le passage par un câble sous-marin, le tout supporté par des services de paiements électroniques fiables et accessibles à tous. En définitif, la technologie n’est pas une question de mode que nous devons suivre aveuglément, mais bien un outil devant d’abord répondre à un besoin, avec des objectifs purement économiques.