Les opérateurs téléphoniques mondiaux ont subi plusieurs révolutions ces dernières années comme le câblage en fibre optique de l’ensemble du réseau, le dégroupage total ou bien le Triple ou la Quadruple Play ; ce dernier est la convergence de trois, voire quatre domaines jadis disjoints : la téléphonie, la télévision, l’internet et le mobile. Ceci grâce aux set-top box.
Pourtant, de plus en plus, dans le monde des télécoms, la plus grande part des revenus est captée par les fournisseurs de contenus (Apple, Netflix, Amazon, Google, Alibaba,…) plutôt que par les équipementiers ou par les opérateurs télécom propriétaires de l’infrastructure. Malgré d’importants investissements, les opérateurs téléphoniques semblent avoir quelque peu perdu la main.
Quand une innovation ou une technologie est mature, elle devient très efficace. Elle se fait alors transparente, elle rentre dans le quotidien et on l’oublie. C’est le cas de beaucoup de choses de notre quotidien : qui pense dans le quotidien aux inventions extraordinaires qu’ont été pour l’humanité l’électricité ? Ou la radio ? Ou le téléphone ? Ou l’internet ?
Le corolaire de tout ça c’est que l’unique différence entre les différents fournisseurs de cette technologie se limite à son prix : rien ne ressemble plus à une compagnie téléphonique qu’une autre compagnie téléphonique ! On dira alors que tel ou tel service est devenu une commodité. Le terme anglais consacré est commoditization, que l’on peut traduire par banalisation.
Dans le domaine de la technologie, l’infrastructure et les équipements de télécommunication rentrent progressivement dans ce domaine : c’est le volet invisible de la révolution technologique. Il ne nous parait plus exceptionnel que notre mobile fonctionne quasiment de n’importe quel coin éloigné de la planète ou se connecte à n’importe quel serveur web autour du globe. On a même plutôt tendance à nous indigner lorsque nous nous trouvons dans un endroit où la réception est inexistante ou juste mauvaise. Pourtant, il est très difficile d’énumérer toutes les innovations extraordinaires qu’il a fallu réaliser pour atteindre cet état de fait et les coûts absolument faramineux de réalisation et d’entretien de cette infrastructure.
Néanmoins, l’infrastructure a encore plusieurs révolutions à franchir dans notre pays avant d’être dans les standards occidentaux. Il faut dire qu’il nous est même arrivé de faire des pas en arrière. Et j’en suis persuadé à chaque fois que je pense au défunt opérateur Eepad, aux failles de réglementation, à la frilosité du législateur, et j’en passe et des meilleurs.
C’est pour cela que la dernière annonce de baisse du prix de la connexion ADSL pour le particulier ne m’a absolument pas semblé aller dans le sens de l’histoire. En effet, la baisse des prix suggère que rien ne va changer dans le futur proche en termes de services, alors que la politique du secteur est de généralement maintenir un prix relativement constant et d’utiliser le supplément de revenu à proposer des services complémentaires à forte valeur ajoutée. Un grand nombre de concitoyens payent 2000 DZD ou plus par mois de frais de mobile personnel. Pourquoi ne payeraient-ils pas alors ce même montant pour la connexion fixe familiale ? Je doute ainsi que la baisse des prix fut l’urgence du secteur.
Par contre, la fibre optique avec un bon débit et jusqu’au dernier kilomètre dans un pays aussi vaste que le nôtre ou le dégroupage total sont de véritables défis politiques et financiers pour pouvoir avancer vers l’amélioration des services rendus à l’utilisateur final, mais surtout pour aider à la création d’une vraie économie numérique. Même les 140.000 kilomètres de fibre déjà installée sont très insuffisants pour avoir un résultat significatif.
Investir dans un câble sous-marin entre l’Afrique et l’Europe avec l’ambition de sécuriser notre connexion au réseau mondial est un objectif louable. Je pense bien-sûr au projet Orval-Alval. Mais espérer en faire une source de revenus en devises en devenant fournisseur de connexion pour l’Afrique subsaharienne est un pari fort hasardeux. Quand on sait qu’avec son projet Starlink, SpaceX s’apprête à envoyer près de 12.000 micro-satellites non-géostationnaires et ceci dès 2019 afin d’offrir de la connectivité aux coins les plus reculés de la planète, on se rend compte que se baser sur sa position géographique pour faire du revenu est un coup de poker qui peut mal finir.
Mais voyons le bon côté des choses : notre débit fixe est tellement bas (c’est un fait désormais) que l’Algérie est entrée dans un cercle très fermé des 33 pays où la 4G mobile est plus rapide que l’ADSL. En effet, avec un débit fixe moyen de 1,9 Mbps (contre plus de 25 Mbps pour les meilleurs mondiaux), l’ADSL fixe nationale ne peut plus rivaliser avec le réseau mobile de 4e génération avec un débit moyen de 3 Mbps. Comme c’est le cas dans plusieurs autres pays africains, le retard du réseau fixe peut être un puissant moteur de développement du réseau mobile.
De plus en plus, quand les secteurs nationaux des télécoms sont ouverts à la concurrence, les compagnies télécoms locales ne résistent plus aux grands groupes internationaux (Orange, Vodafone, Iliad, Telefónica, …) Quelques news ont récemment défilé sur ma timeline ce qui m’a fait réfléchir sur la question de la puissance des grands groupes télécom : j’ai eu en effet vent d’une affaire d’espionnage mondialisée qui ne peut être réalisée que par un opérateur télécom de taille mondiale. En effet, grâce à l’étendue de son réseau et de ses services, China Telecom est arrivé à détourner une grande partie du trafic internet mondial vers ses propres serveurs. Ceci a eu lieu de façon systématique pendant au moins 2 années.
Lorsque vous tapez une URL sur votre navigateur, le chemin que prend le contenu entre le serveur source et votre navigateur est imprévisible ; les paquets voyagent de nœud en nœud, dirigés à chaque fois par des tables de routage générées sur chaque serveur du réseau.
Pendant plusieurs années, China Telecom a réussi à tromper le système en générant des tables de routage qui font transiter les données par des serveurs situés sur son territoire. Comme China Telecom dispose d’un réseau extrêmement étendu avec des points de présence à l’intérieur de plusieurs pays, l’opérateur a réussi à tromper le réseau et faire transiter une grande partie des données de la planète par la Chine où elles subissaient quelques analyses. Ceci a touché même les données censées rester à l’intérieur d’un même pays.
Cette situation a duré pendant au moins deux années (début 2016 à fin 2017) et a concerné une grande partie du trafic mondial. Ceci donne une idée des possibilités de nuisance des grands opérateurs au service d’intérêts politiques ou économiques occultes.