Le 15 Juillet 2021, la néo-banque Revolut en troisième levée, lève la coquette somme de $800 millions avec une valorisation de $33 Milliards. Ceci fait de la toute jeune fintech Revolut la troisième plus grosse fintech de la planète et une plus grande entreprise que la banque française Société Générale !
Revolut, une fintech co-fondée en juillet 2015 par le russo-britannique de 30 ans alors, Nikolay Storonsky a son siège à Vilnius en Lituanie. C’est une néo-banque ou banque mobile qui offre les services bancaires de base via une application mobile. Avec moins de 6 années d’existence, Revolut a la croissance exponentielle, vaut plus que la Société Générale, créée il y a 157 ans ! C’est ce qui arrive lorsque la tech, les startups, l’innovation et l’hyper-croissance pénètrent un domaine qui pantouflait depuis des lustres.
Un monde qui ronronnait
S’il y a une chose qui a changé avec la fintech, c’est le rapport qu’entretiennent les gens avec leur établissement bancaire. Dans un passé tout proche, je ne connaissais pas une seule personne capable de dire du bien de sa banque ou de son banquier. Ici en Algérie ou ailleurs dans le monde. Et pour cause, le monde bancaire vient d’un lointain monde féodal et jouit d’une image exécrable : Ils détiennent votre argent et le font fructifier. Tout l’argent : votre rémunération, vos économies. Ils vous font payer des frais aussi exorbitants qu’injustifiés dès que vous voulez vous servir de votre argent : payer un achat, connaitre le solde de votre compte ou transférer une partie de votre argent sur un autre compte. Ils vous regardent de très très haut dès que vous avez besoin d’un petit découvert pour finir le mois. En fait ils font de l’argent avec votre argent et vous le font payer. Ce n’est pas très éloigné de ça.
Je me suis moi-même rendu compte que mon entreprise paye annuellement, pas loin du million de dinars de frais à l’une de ces banques sans absolument aucun autre service à part lui donner notre argent à garder et à fructifier pour son bénéfice exclusif. Inutile de vous dire qu’il s’agit d’une banque privée étrangère qui ne fait absolument rien d’autre ici en terre d’Afrique. Je pense que chaque personne a une mauvaise histoire à raconter sur sa banque. En fait, très rares sont les personnes qui affirment entretenir de bons rapports avec leur banque ou leur banquier, qui prennent leur argent et les traitent avec mépris.
Et puis un jour…
A l’inverse, mon compte personnel a été récemment ouvert chez la néo-banque allemande N26. Les néo-banques ont fait souffler un vent nouveau sur la finance mondiale !!! N26 elle aussi créée en 2013 est valorisée à plus de $10 Milliards et n’a aucune intention de rentrer en bourse. Pourquoi faire ?
D’abord : ouvrir un compte chez eux est à peu près aussi simple que d’ouvrir un compte sur l’un des réseaux sociaux en vogue. Aucun document papier demandé, aucune condition exigée sur votre revenu, aucun entretien préalable avec un conseiller clientèle, qui n’existe pas chez elles. Juste prenez votre smartphone, saisissez vos informations personnelles, adresse, etc. Prenez en photo votre pièce d’identité, activez votre camera pour vous prendre en photo et votre GPS pour indiquer l’endroit où vous vous trouvez et appuyez sur Envoyer. Il vous reste à attendre le message de validation et c’est bon.
Les néo-banques ont amené avec elles la philosophie App Store et les innovations des startups de la tech, des mobiles, ainsi que les business models du web, pour dépoussiérer le monde bancaire, qui ronronnait au coin du feu, endormi sur ses lauriers, sur ses avantages monopolistiques d'un passé lointain.
Appréciez : tenue du compte absolument gratuite (avec même une somme offerte en cadeau à l’ouverture du compte !!), carte bancaire gratuite, physique ou virtuelle (paiement NFC). Vous avez le contrôle total sur votre carte : changer le code secret, la verrouiller quand vous ne vous en servez pas, changer le plafond de paiement et même demander une autre carte instantanément. En effet, il est parfois utile de changer de numéro de carte quand ce dernier est compromis.
Vous avez un accès instantané au solde et aux opérations sur votre compte : les alertes et les emails sur le téléphone vous informent de toutes sortes d’évènements.
La principale nouveauté avec les néo-banques est qu’elles changent profondément le rapport d’une banque avec ses clients. Pour la première fois, les clients, et moi le premier, se mettent à conseiller leur banque à leurs proches. Ils découvrent un monde génial où les banques se battent à coups d’avantages pour mériter qu’on leur confie notre argent. Et ce n’est pas les applications mobiles proposées par certaines banques établies pour effectuer certaines opérations bancaires qui vont y changer quelque chose. Le mal est beaucoup plus profond que cela.
Mais pas que
Bien sûr, ma banque ne fait pas de crédit. Elle n’a même pas d’agences pour déposer un chèque, moyen de paiement d’une autre époque. Mais le financement et le crédit a ses propres innovations et ses propres startups dans le crowdfunding et le crowdlending ou crédit communautaire.
La tech a segmenté les services financiers : services bancaires de base (N26, Revolut, Atom Bank, Nubank,) crédit (SoFi, Xiaoman Financial, KissKissBankBank), investissement (Robinhood), assurance (Oscar Health), paiement et cryptomonnaies (Ant Financial), gestion du patrimoine, e-commerce (Grab, Back Market) et j’en passe. Chacun de ces domaines a vu naitre des fintechs qui révolutionnent profondément leur secteur.
Pendant ce temps
Il est quasiment impossible d’avoir la moindre avancée dans ce domaine ici en Algérie et ceci pour quelques raisons historiques dont la plus évidente est d’ordre légal. Par peur du chaos, le législateur se précipite souvent le premier à sortir des lois d’interdiction et de répression contre les nouvelles technologies : e-paiment, cryptomonnaies, publicité en ligne et j’en passe. De plus, les lois existantes sont souvent dissuasives. Par exemple, beaucoup d’opérations qui nécessitent la collecte de sommes d’argent, exigeant une licence de type bancaire. Outre la très forte bureaucratie, il faudrait disposer d’un capital de 20 Milliards de Dinars pour y prétendre. Vous voyez ce que je veux dire ? Dans le même temps, de grandes entreprises publiques et privées publient des appels d’offres pour des systèmes de paiement. C’est vraiment de la concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises étrangères.
Changement de paradigme
Et maintenant, voici la question à un million de roubles : pourquoi les autorités devraient-elles aider, favoriser, même tolérer le développement de telles entreprises et ainsi donc de permettre que l’on mette en péril les banques, ces vielles institutions dont on connait le rôle prépondérant dans la vie économique mais aussi le pouvoir et l’influence sur la vie sociale et même politique ?
Plus généralement, pourquoi est-il de l’intérêt d’un Etat d’éclabousser ses entités économiques bien établies et qui ont pignon sur rue -banques, taxis, hôtels, agences de recrutement, grands commerçants- au profit d’entreprises naissantes, au business model douteux et à l’avenir plus qu’incertain ?
J’assume complètement le côté naïf de ma question. Et la réponse courte est que si on ne le fait pas, l’attaque viendra de l’étranger et elle sera encore plus virulente. Nos industriels du textile qui ont refusé de se remettre en cause ont tous été ruinés par les importations turques et chinoises.
Le cours normal du capitalisme, lorsqu’il fonctionne correctement, permet à la concurrence de tirer les prix vers le bas et la qualité vers le haut. L’une des missions régaliennes de l’Etat est de veiller à une saine concurrence et ceci dans l’intérêt EXCLUSIF du citoyen. Les entreprises doivent redoubler d’imagination et d’efforts pour mériter d’exister. Sinon, leur existence n’est plus justifiée. El la pire chose pour l’économie, pour le citoyen, pour le pays, c’est la situation de monopole : qu’il soit privé ou public.
Il se dit depuis très longtemps que la technologie détruit les emplois mais ceci n’a jamais été prouvé nulle-part. Bien au contraire ! La technologie a toujours été un grand facteur de prospérité économique et sociale. Elle a permis le plus souvent d’optimiser l’usage des ressources et donc de baisser les prix. Les emplois détruits suite à l’émergence d’une nouvelle technologie sont à chaque fois remplacés par au moins autant de nouveaux emplois dans des secteurs connexes. Ce message devra être relayé au sommet du pouvoir, là où se prennent les grandes décisions et se répartissent les priorités et les budgets. Juste un chiffre pour clôturer ce message : la somme des valorisations de 5 entreprises, les GAFAM, est en ce moment près de $9.400 Milliard. Tout le pétrole du monde ne les achèterait pas.