La communication d’entreprise, qu’elle soit entre employés sur le lieu de travail, avec les employés en mobilité ou entre l’entreprise et ses partenaires, a pas mal évolué au fil des trois dernières décennies, conséquence de l’incrustation irréversible de la technologie dans nos vies. Discussions, vidéo-conférences, suivi de projets, partages de documents,… la digitalisation du lieu de travail n’a pas été chose aisée. Du tableau d’affichage aux derniers outils de collaboration, il y a du chemin.
Toujours à la recherche de plus d’instantanéité, d’organisation et d’efficacité, l’écosystème professionnel est toujours à la recherche d’outils qui lui fassent gagner du temps et de l’efficacité. Faisons un tout petit tour du côté de nos vies professionnelles.
Email : ancêtre des outils de communications
Autrefois orthographié e-mail, son invention remonte à très loin. Depuis 1971 et le premier email échangé, cet outil de communication a connu une ascension irrésistible.
Même s’il s’échange encore aujourd’hui dans le monde quelques 280 milliards d’emails par an, l’email a perdu énormément de son lustre d’antan. Les raisons sont nombreuses : le nombre d’emails non sollicités, spams, scams et autre phishing ont littéralement explosé. Les bases de données d’adresses et de mots de passes se vendent sur le dark web et les problèmes de sécurité se multiplient.
Le premier corolaire est que lire ses emails est devenu au fil du temps très chronophage et parfois extrêmement risqué. Et si ce n’était les évolutions extraordinaires introduites par les géants du web et surtout par Google, l’usage de l’email aurait certainement périclité.
Avec un espace de stockage virtuellement illimité, une fonction de recherche extrêmement efficace, des outils collaboratifs et intelligents de détection de spams, les filtres de classement automatique des messages, le regroupement des messages en fils de discussion, l’intégration d’un gestionnaire de tâches, d’un répertoire de contacts et de la très puissante suite bureautique G-Suite (composée d’un Agenda, Docs, Sheets, Slides, Forms, chat et visioconférence avec Hangouts, GED avec Vault,…) sont autant d’idées brillantes du géant de Mountain View. Le rachat de la jeune pousse française Sparrow a permis à Google d’améliorer grandement l’expérience utilisateur de Gmail en particulier sur mobile. Il est devenu de fait une véritable plateforme de productivité. Et l’étape en cours de déploiement vise à rendre l’email interactif en y intégrant la technologie maison AMP et en le transformant en une véritable application mobile. Wait and see.
Quasiment la seule fonction payante dans tout cela et qui est disponible en Algérie à travers des sociétés partenaires, c’est l’intégration du nom de domaine de votre entreprise. Ceci revient en fait à déléguer toute la gestion de vos serveurs mail et de stockage à Google !
La domination écrasante de Google sur le secteur est flagrante et ceci n’est pas le fruit du hasard. Google a pratiquement dessiné notre façon d’utiliser l’ordinateur au travail. L’autre offre de taille équivalente est Office 365 de Microsoft mais elle n’est pas conçue pour être 100% web. Elle nécessite en effet une installation sur la machine localement (PC, tablette ou autre) ce qui rend son utilisation nettement moins pratique. D’ailleurs même si cette dernière offre beaucoup plus d’outils, bon nombre d’entre eux ne sont utilisés que par une infime partie des clients.
Les réseaux sociaux d’entreprise (RSE)
L’un des précurseurs des RSE, Yammer, a commencé comme un réseau de micro-blogging, genre de Twitter professionnel, avant l’heure. Et j’ouvre ici une parenthèse pour dire que son créateur, David O. Sacks, est un membre de la Paypal Mafia, qui a vendu ses parts le premier jour de l’ouverture du capital de Paypal, il a ensuite créé la plateforme de généalogie Geni.com et a fait développer Yammer comme outil de communication interne à son entreprise. Il a eu ensuite l’idée de le proposer aux entreprises. Yammer est devenu si viral qu’il a levé beaucoup de fonds et qu’il a fini par le revendre à Microsoft pour $1.2 milliard. Ce dernier l’a intégré à sa plateforme collaborative SharePoint.
Les réseaux sociaux d’entreprise ont eu leur période de gloire. Il en existe des tonnes. On croyait tous à l’émergence d’un équivalent de Facebook d’entreprise qui transforme notre façon de travailler et de communiquer au travail mais beaucoup de projets prometteurs ont avorté.
Il se trouve que ce n’est pas du tout une contrainte technique qui cause ce blocage. Les réseaux sociaux classiques ont toujours eu pour objectif de créer de l’addiction et de nous faire perdre le maximum de notre temps. Alors que les réseaux sociaux d’entreprise doivent faire juste le contraire : nous faire gagner du temps et se faire oublier. Et pour cela ils doivent s’intégrer totalement dans notre environnement de travail. Chose qui n’a pas été réussie totalement.
La moindre des choses qu’on puisse attendre des RSE est que ces outils fassent gagner aux employés plus de temps qu’ils ne leur font en perdre ! Et ceci est loin d’être évident. Ces outils sont censés reproduire une certaine forme d’organisation de l’entreprise, la hiérarchie, réguler la communication et la propagation des idées, permettre le partage de documents afin de faire gagner à l’entreprise en efficacité plutôt que de dissiper l’attention du personnel.
Mais parmi leurs soucis rencontrés, il y a la surcharge informationnelle du salarié -qui voit passer toutes sortes d’informations qui ne le concernent que peu- ou la crainte d’être surveillé ou jugé dans son entreprise. Corolaire : un taux d’engagement plutôt faible. L’utilisation des RSE n’a jamais connu l’étendu des réseaux sociaux privés.
Les RSE de deuxième génération
Echaudés par les échecs –tous relatifs- des premiers réseaux sociaux, les startups, aussi bien que les grandes entreprises, se sont mises à la recherche du réseau social professionnel idéal. Et l’une d’elles y est quasiment parvenue.
C'est marrant comme l'histoire bégaie : Stewart Butterfield a cofondé une société qui a produit en 2002 un jeu de type MMOG : Game Neverending. C’est un flop. Il en extrait une fonctionnalité qui devient Flickr qu’il revend à Yahoo !
Il récidive ensuite : il lance en 2011 Glitch, un jeu de type MMORPG. Un nouveau flop. Il prend à nouveau la messagerie destinée à servir à l’intérieur du jeu, un genre d’IRC (les gens de ma génération se souviennent encore de mIRC !) et il en fait un outil de collaboration pour business. Ainsi est né Slack. Il y intègre un tas d’outils externes comme des bots pour envoyer des mails ou rajouter une tâche à faire sans quitter l’interface de la messagerie instantanée, le partage de fichiers se trouvant de Dropbox, de listes de tâches de Trello, l’accès à des fonctionnalités des dépôts de code BitBucket,…
Aujourd’hui, à la veille de son IPO et après avoir levé quelque $1,2 milliard, Slack est valorisée à plus de $7 milliards. Son entrée en bourse sera un évènement majeur de la tech en 2019. Stewart Butterfield a repoussé toutes les offres de rachats qui lui ont été faites jusqu’ à présent, échaudé par l’expérience Flickr. En effet, s’il avait patienté quelques mois, il aurait pu en tirer 10 fois le montant de $25 millions qu’il a eu de Yahoo! en 2005.
Et le succès foudroyant de Slack a créé la panique dans les rangs mêmes des GAFAM. Microsoft a sorti Teams, un clone de Slack. Facebook a Workplace, Google avait déjà Hangouts Chat pour la collaboration professionnelle destinée aux comptes payants. Il a à présent exhumé Google+, l’a intégré à sa suite bureautique G-Suite et l’a renommé Currents. Il compte en faire l’outil de collaboration corporate concurrent de Slack.
Mais la supériorité de Slack n’est ni technique, ni en terme d’expérience utilisateur. Elle tient surtout dans le domaine du marketing !
Slack est en fait un Freemium : la version payante permet entre autres d’effectuer des recherches dans tout l’historique des messages échangés. Plus de 600 000 entreprises de toutes tailles dans le monde utilisent aujourd’hui Slack, mais seulement 88 000 payent pour le service. Et le taux de conversion du gratuit vers le payant est assez bas. Mais Slack ne s’en inquiète pas. Parce qu’un utilisateur qui ne paye rien c’est d’abord quelqu’un qui ne va pas chez la concurrence et ressentira un jour le besoin de payer. Et une fois convaincu, il produira un revenu récurrent qui justifiera l’effort marketing consenti pour le convaincre. C’est donc un réservoir de croissance. De plus, un bon tiers du revenu de Slack provient déjà de l’extérieur des USA. Je pense que c’est une leçon pour tous les créateurs de startups pressés de monétiser leurs produits.
Il existe pourtant au moins un concurrent à Slack en open source en cours de développement : c’est Rocket.Chat. Mais l’un dans l’autre, chaque jour qui passe, Slack verrouille un peu plus et de façon irrémédiable le marché des outils de communication corporate.