Iheb Tekkour est spécialiste en Social Media et en Digital Marketing. Il est également co-fondateur de Digitalex, entreprise spécialisée dans le développement de solutions Geo-marketing. Dans cet entretien accordé à N’TIC Magazine, il évoque ce business florissant de cartes de paiement en devises et le paiement de services électroniques à l’étranger. Il explique les raisons qui ont permis sa généralisation et ses répercussions sur l’économie numérique algérienne.
N’TIC Magazine : Pourquoi recourt-on aux solutions de paiement électronique comme Paysera ? Quelle est l'origine du problème ?
Iheb Tekkour : Le problème est général dont découlent deux aspects. Le premier est que des leaders mondiaux du numérique comme Netflix ou Facebook n’acceptent pas les cartes de paiement éditées en Algérie. A ma connaissance, le problème sera résolu prochainement. Quant aux cartes Paysera, nous ne pouvons pas envoyer de l’argent vers l’Algérie en raison de la réglementation bancaire, claire et stricte. De ceci découle un autre problème. Celui du rechargement et le coût d’achat de la devise. Les banques proposent bien des cartes Visa ou MasterCard mais le rechargement pose problème. Les détenteurs de ces cartes doivent passer par le marché noir pour acheter la devise, à un taux élevé. La banque se retrouve ainsi en train de fructifier les affaires de ce marché parallèle.
Des internautes ont eu cette idée d’aller vers d’autres plateformes et solutions de paiement, acceptées à l’étranger par les géants du numérique. Ils font ainsi l’intermédiation entre ces entreprises et les consommateurs algériens. Un business est en train de fleurir comme celui du rechargement ou l’édition des cartes, la vente des abonnements. C’est tout à fait normal. Telle est la magie du web. Internet ne supporte pas le vide. Ces internautes commercialisent ainsi une prestation de service en récupérant de la devise à travers des prestations en ligne rémunérées. Cela leur permet de recharger leurs cartes et vendre cette devise en dinar ou pas.
Les gens les plus actifs qui vont vers ces solutions sont ceux qui voyagent ou ceux qui activent dans les TIC et qui souhaitent exploiter les services. Ils ont besoin d’une carte VISA ou MasterCard, acceptée par différente plateforme. En Algérie, il n’y en a pas. Dieu merci, il existe Paysera, ou autre, comme Payoneer ou d’autres plateformes de paiement.
N’TIC Magazine : La majorité des Algériens qui recourent à ces services le font pour pouvoir procéder à des achats en ligne ou transférer des devises sur des banques virtuelles comme PayPal, ou CashU. Quelle est l'importance de ces banques dans le commerce électronique ? Quel est leur statut en Algérie ?
IT : Malheureusement, la loi algérienne ne prend même pas en considération les réseaux sociaux. Il s’agit d’une loi qui ne couvre pas tous les aspects de l’e-commerce ou de l’e-paiement. Elle est limitée. Preuve en est que nous n’avons toujours pas d’économie numérique. Pour dire les choses simplement, la loi n’a pas séduit les Algériens.
N’TIC Magazine : Quel est le rôle des sites et réseaux sociaux ? Est-ce de simples plateformes d'annonces ou peuvent-elles évoluer ?
IT : Juridiquement, l’intermédiation monétaire est interdite. Nous ne pouvons pas avoir un Paypal algérien. Il faut revoir toute la réglementation bancaire algérienne et trouver des partenaires financiers qui pourront supporter ces services. Ces internautes exercent au noir où tout le monde trouve son compte. Par contre, ni le consommateur ni le prestataire
n’est protégé. Les deux peuvent tomber dans le piège de l’arnaque. Ils ne pourront jamais facturer la “vente d’un abonnement Netflix”. Même Netflix interdit la revente. Les CGU sont claires.
Ils utilisent des cartes de paiement pour plusieurs comptes. Netflix d’ailleurs le signale, par exemple, après avoir détecté que la carte soit un moyen de paiement est utilisé par plusieurs profils. Une manière d’alerter la fraude.
Faisons de la relativité restreinte. Dans le monde de Netflix, Facebook ou d’autres plateformes, le commerce de ces comptes est interdit. Dans un pays développé nous n’aurions pas ceci. Nous aurons affaire à un prestataire directement car tout le monde est protégé. En Algérie, rien ne l’interdit. Un vide. Par contre, le problème risque de se poser, avec une jurisprudence peut-être, lorsqu’une des parties se plaint.
A l’heure actuelle, tout le monde trouve son compte dans cette affaire. Netflix est en train de vendre. Ce service ne réagit pas à ces offres car le marché algérien ne représente pas un chiffre d’affaires important et puis, les consommateurs préfèrent éviter les cassements de tête, payer en dinars, par CCP ou Flexy que de créer une carte VISA qui a ses propres contraintes.
Telles sont les problématiques. Les consommateurs souhaitent avant tout que ce soit rapide.
N’TIC Magazine : Comment les autorités peuvent remédier à ces vides ? Pensez-vous que ces services ont de l'avenir ou s'agit-il plutôt d'une offre précaire, contextuelle ?
IT : Il faut travailler sur deux aspects. Acheter auprès d’opérateurs les accès à des plateformes de streaming via flexy, ce n’est pas le même standing que Netflix. Supposons que les décideurs algériens se mettent au diapason de ce qui se passe dans le monde, en sortant de leur coquille. Supposons qu’ils permettent à ces géants du web de s’installer. Netflix par exemple. Nous pourrons négocier avec eux. Nous leur donnerons le droit de rapatrier leur argent, d’une manière ou d’une autre, en se mettant d’accord sur un arrangement win-win. Il faut que la réglementation change. Que la procédure soit de plus en plus proche des nouvelles technologies en oubliant les télégrammes. Il faudrait aussi que les cartes VISA et le coût de la devise soient accessibles. Et ceci c’est carrément l’économie qui change.
Sinon, supposons que l’État algérien décide de réfléchir autrement. Il pourrait encourager la création de plateformes de streaming algériennes, le paiement sera effectué en dinars avec nos cartes. Une solution algéro-algérienne. Cela aussi peut demander de démocratiser l’e-paiement, améliorer la qualité du réseau Internet, réduire le coût du stockage et d’hébergement, fournir les alternatives de backups aux hébergeurs et permettre à ces plateformes d’accéder aux franchises des films, des séries internationaux. Ceci est plus ou moins réalisable. Ce ne serait pas facile de concurrencer Netflix. Même Amazon en a du mal. De mon avis, la première option est la plus correcte.
N’TIC Magazine : En parlant de commerce électronique, où en est-on, en Algérie, une année après la promulgation de la loi ?
IT : Le problème de l’e-paiement reste toujours posé. On ne fait pas suffisamment d’efforts dans la sensibilisation, on ne rassure pas assez les consommateurs et on ne fournit pas les ressources nécessaires.
Actuellement, nous ne pouvons pas parler de paiement en ligne alors que les sites à grande consommation de transactions électroniques ne font pas assez d’efforts pour généraliser ces opérations. Je citerai à titre d’exemples les opérateurs de téléphonie mobile et les banques qui, à mon sens, ne font pas assez pour vulgariser le paiement en ligne. Nous avons aussi une autre contrainte qui a trait au fait qu’Algérie Poste et les banques ne partagent pas les mêmes cartes. Il faut que tous les opérateurs s’y mettent. Preuve en est que les gens n’y croient pas. Ils se cachent derrière l’argument selon lequel “les choses ne fonctionnent pas correctement”. Pourtant, ces jeunes mêmes connaissent Paysera ou autre solutions de paiement en ligne.
L’État peut tirer parti du commerce électronique qui offre la possibilité de réduire le chômage. Des Algériens qui exercent dans le commerce en ligne n’ont besoin ni de contrat, ni d’assurance. Ils ont leurs propres entreprises. Il leur suffit juste d’avoir un ordinateur.
Aussi, la loi actuelle ne profite pas de la dynamique des freelancers, qui travaillent en off-shore. Cette loi, qui a été promulguée au même moment où Facebook lançait sa MarketPlace, ne prend même pas en compte le mobile commerce, via des applications.
Nous réglons des problématiques du siècle actuel avec une mentalité des années 1970. Les législateurs ne sont pas au courant de ce qui se passe sur Internet. La preuve, ils coupent encore le réseau lors des épreuves du baccalauréat.