Abdelhakim Bensaoula revient, dans cet entretien, sur le rôle de l’Agence Nationale des Parcs Technologiques (ANPT), dans le développement de l’écosystème numérique en Algérie. Il a annoncé, notamment, une réorientation stratégique de l’Agence dont il est le directeur qui, désormais, prend des participations dans les startups issues de ses incubateurs.
N’TIC Magazine : Présentez-nous l’ANPT ?
Abdelhakim Bensaoula : L’ANPT (Agence Nationale de promotion et de développement des Parcs Technologiques) est un instrument de l’Etat créé par le décret exécutif 04-91 et qui a à sa charge le développement de l’écosystème du numérique en Algérie. C’est un EPIC sous tutelle du Ministère de la Poste, des Télécommunications, des Technologies et du Numérique. Nous mettons tout en œuvre pour implémenter la stratégie nationale développée par notre tutelle et qui a trait à la mise en place des mécanismes nécessaires au renforcement d’une industrie des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) nationale capable d’apporter sa contribution au développement économique national. Plus récemment, l’Agence a créé une filiale (EPE EADN SPA) qui se charge de la numérisation des institutions publiques, et une autre filiale (EPE ECI-TIC SPA) qui se charge de la conception des infrastructures à usage PTIC.
En termes d’activité, évidemment, les gens connaissent plutôt l’ANPT à travers ses incubateurs, mais ce n’est que la partie visible de nos activités en faveur du développement de l’économie numérique en Algérie. L’Agence s’engage sur d’autres volets tels que le conseil et la veille technologiques, les services TIC, et la mise à disposition des locaux destinés aux PME/PMI activant dans le secteur des TIC. Depuis le 27 août 2019, date de la signature de l’arrêté interministériel identifiant et délimitant le patrimoine foncier géré par l’Agence, il nous est désormais possible de faire de la concession de terrains au bénéfice des investisseurs activant dans le domaine des TIC. C’est justement grâce à ces activités et aux bénéfices dégagés, que l’Agence est en mesure de soutenir les porteurs de projets et les startups qui évoluent au sein de ses incubateurs. Il faudra comprendre par cela, que l’agence autofinance toutes ses activités de soutien aux jeunes entrepreneurs.
Aujourd’hui, l’Agence s’est engagée sur quatre chantiers structurants ; le parachèvement du Technoparc de Sidi Abdallah (Cyber Parc d’Alger), la réalisation du Technoparc d’Oran, la réalisation du Technoparc d’Ouargla et la mise en service et le développement du Technoparc d’Annaba. En addition de ces grandes structures qui s’étalent sur une superficie globale de plus de 150 hectares, l’Agence a investi dans la mise en place d’un incubateur à Bordj Bou Arreridj (en coopération avec l’Université de BBA), d’un incubateur à Oran (en collaboration avec l’INTTIC) et un autre à Sidi Bel Abbes qui ouvrira ses portes avant la fin de l’année en cours.
N’TIC Magazine : Différents incubateurs « privés » sont créés ces dernières années. Qu’est-ce qui vous distingue de ces structures privées ?
AB : L’ANPT est une structure de l’Etat algérien, elle est mandatée pour veiller au développement des PME/PMI algériennes respectueuses des lois algériennes. Elle existe depuis 2004. Le fait qu’elle puisse s’autofinancer en 2019 est une preuve de sa pérennité. En fait, la situation de l’agence en termes d’organisation, de force d’intervention et de stabilité financière ne cessent de s’améliorer depuis 2015. Ce n’est pas fortuit de remarquer que 2015 correspond aussi au début de la crise financière que vit notre pays. Elle représente un bon exemple de bonne gestion. Quoi de mieux pour une startup que de progresser dans un environnement stable indépendant des subventions de l’Etat.
L’amélioration financière que connait l’Agence depuis 2015 se traduit par une plus grande capacité à prendre en charge les préoccupations des porteurs de projets. Contrairement, aux incubateurs privés, les incubateurs relevant de l’Agence évoluent dans un écosystème complet ; de l’accompagnement des porteurs de projets (formation, coaching, branding, et introduction au marchés) à la concession de terrains pour l’installation de leurs sièges ou unités de productions, en passant par la mise à disposition d’espaces locatifs, l’accès aux plateformes de tests etc. Ceci dit, je dois aussi préciser que les incubateurs relevant de l’ANPT, tout en établissant un benchmark, restent ouverts à toute collaboration avec les autres incubateurs privées ou publics. L’ANPT reste une institution publique, son rôle est la promotion de l’esprit d’entreprenariat technologique et de se fait elle est là pour compléter, assister et veiller à la réussite de toute initiative qui serve l’économie nationale et sa diversification. Tous les autres incubateurs complètent nos efforts, et nous y voyons des partenaires et collaborateurs. Maintenant, s’il y a beaucoup d’initiatives privées visant la création d’incubateurs, tant mieux cela va contribuer à enrichir l’écosystème national.
N’TIC Magazine : Concrètement, comment se déroule l’incubation à votre niveau ?
AB : L’incubation commence par des appels à projets qu’on publie sur notre site web et les réseaux sociaux. Des jeunes viennent avec des idées ou des ébauches d’idées. C’est la pré-incubation. Tout le monde peut postuler, et tous vont être écoutés. L’accès à cette phase est très peu sélectif, ce qui nous intéresse c’est l’engagement du porteur de projet. L’idée est analysée d’une manière sommaire, nous étudions surtout le potentiel large de l’idée. Les porteurs de projets reçus sont accompagnés pendant une période allant de 3 à 6 mois pour transformer leurs idées en business plan. Durant cette phase on leur offre tous les moyens nécessaires pour réaliser cet objectif, comme les formations, le coaching et l’accompagnement pour les aider à voir plus clair dans leurs idées.
Au bout de cette première phase de pré-incubation, les porteurs de projets passent devant une commission composée de ressources internes de l’ANPT mais aussi externes, issues de différents secteurs socioprofessionnels (banquiers, chefs d’entreprises, juristes, formateurs, coach etc.). Le porteur de projets présente alors son idée devant ce panel qui juge la recevabilité du projet sur la base de l’engagement du promoteur, du business plan présenté et de la portée économique ou sociale du projet. Les candidats retenus, sont admis à la phase d’incubation. Ils sont tenus de réaliser, durant une période qui ne peut excéder les 6 mois, le premier prototype fonctionnel de leur produit. Durant toute cette période, les porteurs de projets bénéficient d’un accompagnement logistique, technique et managérial. Ils sont coachés et formés dans les métiers de la gestion d’entreprise et reçoivent des formations visant le renforcement de leurs compétences techniques.
A la conclusion de la phase d’Incubation, les porteurs de projets, passent encore une fois devant la commission d’évaluation qui aura à juger de la recevabilité du prototype présenté, de sa viabilité économique et de sa pertinence aux besoins du marché ciblé. Les candidats retenus passent en phase de post-incubation où ils reçoivent l’assistance nécessaire à la création de leurs entreprises. Un bail de location à zéro dinar leurs est attribué, et une assistance administrative et juridique leur est offerte afin de compléter les procédures de création d’entreprise. Le porteur de projet, et son entreprise, jouissent des avantages que leur octroie le statut de post-incubé pendant une période pouvant atteindre 18 mois. Durant cette période, ils sont amenés à finaliser leur prototype en un produit commercial. L’Agence leur organise des opportunités d’affaires avec des clients potentiels. Durant ces trois phases (pré incubation, incubation et post incubation) les porteurs de projets bénéficient gratuitement des services de l’incubateur. Par exemple, l’incubateur de Sidi Abdallah est doté d’une connexion internet haut débit de 30 Mbps, d’un banc d’essai 4GLTE, d’un centre d’expérience TIC et sera bientôt doté d’un banc d’essai 5G et d’un FABLAB. Un grand projet d’interconnexion entre nos différents incubateurs permettra aux porteurs de projets usant de nos structures distantes de bénéficier des mêmes avantages et ressources.
Enfin, au bout des 18 mois, les entreprises en incubation auront la possibilité de migrer vers nos espaces pépinières (espaces startup) où ils pourront disposer d’un espace semi privé assez large pour une équipe de 4 à 6 employés au coût symbolique de 5000 DA/mois. Les entreprises nécessitant plus d’espace pourront postuler aux espaces locatifs disponibles au niveau de nos hôtels d’entreprises (multilocataires) cédés aux prix compétitifs de 1500 DA/m2.mois. Le plus importants pour nous c’est de faire bénéficier les porteurs de projets, les entreprises naissantes, les startups et les PME/PMI de la synergie encouragée par l’interaction résultant de la proximité de tous ces esprits innovants évoluant dans l’écosystème ANPT.
N’TIC Magazine : Combien de startups incubées dans vos structures ?
AB : Depuis le début des activités en 2012, les incubateurs de l’ANPT ont accompagné plus de 350 projets innovants. Durant la seule période 2017/2018, plus de vingt startups sont sorties de notre incubateur de Sidi Abdellah, 25 sont en phase d’incubation et 25 autres en phase de startups. Nous pouvons faire plus sur le plan quantitatif, mais nous voulons être plus sélectif et essayer d’orienter les jeunes vers des projets à haute valeur ajoutée et de portée stratégique, dans les domaines de l’Intelligence Artificielle et l’IoT.
N’TIC Magazine : Quel bilan en faites-vous depuis la création de l’ANPT ?
AB : Depuis la création de l’ANPT, à Alger seulement, plus de 330 porteurs de projets sont passés par nos structures avec un taux de réussite avoisinant les 50%. Plus d’une centaine de startups qui ont vu le jour à l’ANPT sont toujours actives et contribuent à l’économie nationale. La difficulté d’accès au site de Sidi Abdellah a fait que certaines se sont relocalisées ailleurs ; malheureusement, plusieurs ont été attirées vers d’autres cieux. Nous essayons par tous les moyens de sensibiliser les autorités compétentes sur la nécessité de valoriser nos sites, et plus spécialement celui de Sidi Abdallah. La difficulté d’accès reste un réel problème. La mise en service de la ligne ferroviaire Alger-Zeralda a un peu amélioré la situation, mais la non régularité du service diminue de son utilité. Nonobstant, l’ANPT renforce ses propres moyens de transports pour palier à ce déficit.
N’TIC Magazine : Il y a une année, vous avez déclaré que l’ANPT est parvenue à s’autofinancer…
AB : L’ANPT a affiché son premier bilan positif en 2016, cette année correspond aussi à l’année de l’arrêt de toutes les subventions de l’Etat. L’ANPT a su maintenir ses bilans positifs depuis. Mieux, elle les a améliorés en atteignant une croissance annuelle moyenne de 12%. Cet objectif fut atteint en améliorant les conditions de travail au sein de l’Agence ce qui a permis la mobilisation de tous les employés et, en renforçant la qualité de la ressource humaine par le recrutement de jeunes hautement qualifiés. En termes de chiffres, en décembre 2015, l’Agence comptait 121 employés et disposait d’une liquidité de deux mois de salaires, aujourd’hui elle compte 181 employés (plus de 300 en comptant ses filiales) et dispose d’une liquidité de plus de 18 mois de salaires. La réussite de l’Agence est aussi attribuée au rajeunissement de son staff. La moyenne d’âge est aujourd’hui de 39 toutes catégories confondues et de 35 ans pour les cadres. Notons aussi que sur les 9 directions que compte l’Agence, 3 sont gérées par des femmes. Pour dire que la réussite de l’Agence trouve toute son explication dans le recrutement des jeunes compétences algériennes. L’engagement de ces jeunes cadres et leur force de suggestion et de créativité ont permis la transformation de toutes les directions en des centres de revenus alors que le modèle économique précédent basé sur la subvention de l’Etat en faisait des centres de coûts.
La Direction de l’Incubation, fut transformée en 2017 en une Direction de l’Incubation, de la Formation et de l’Entreprenariat. Cela lui a permis de développer ses activités et de lancer des services générateurs de revenus pouvant assurer son autofinancement. On a commencé par lancer les activités de formation de haut niveau. Depuis nous avons assuré plus de 200 jours de formation dans les télécoms et l’informatique. Les bénéfices générés sont reversés dans un fonds réservé à la subvention des activités et des services offerts aux porteurs de projets, l’excèdent alimente le fonds d’investissement et de prise de participation de l’Agence. En 2018, l’Agence a dégagé un excédent de 10 millions DA réservé à la prise de participation. Une première opération fut exécutée début de l’année en cours. L’Agence a ainsi pris des participations à hauteur de 51% dans deux startups à fort potentiel de croissance. Nous suivons l’évolution de cette première expérience et nous procédons à des ajustements en préparation à une seconde opération programmée durant le premier trimestre 2020. Pour 2020, nous prévoyons que ce fonds atteindra les 20 millions DA ce qui nous permettra de contribuer à l’accélération du développement d’autres startups.
On s’aperçoit déjà que ces deux startups sont mieux écoutées et on leur donne plus de chance pour prendre en charge certains projets qui d’habitude sont allouées à des entreprises étrangères. Notre stratégie n’est pas de maintenir ces startups comme filiales de l’ANPT mais de les accompagner pendant le temps qui leur sera nécessaire pour se faire un nom et devenir des champions. Nous travaillons avec la Bourse d’Alger afin d’étudier les mécanismes qui vont permettre, le temps venu, à l’Agence de se désengager au profit de l’entrée en bourse de ces startups.
N’TIC Magazine : Donc vous allez vous substituer aux business angels ?
AB : C’est ce qu’on espère, du moins donner une alternative viable qui prémunisse le jeune entrepreneur de certains comportements prédateurs. Depuis notre venue à l’ANPT il y a presque 4 ans, l’idée de monter une opération de prise de participation dans des startups nous intéressait, le potentiel est énorme, l’impact est certain, et nos jeunes méritent qu’on prenne le risque. Nous avons essayé de contacter des opérateurs économiques qui pouvaient être intéressés. Après avoir déployé d’énormes efforts, très peu d’entre eux ont cru en notre stratégie. Nous avons donc décidé en 2018, en concertation avec nos organes de gestion et notre tutelle de le faire en interne ; comme preuve de principe. Pour l’heure nos capacités sont limitées. Notre fonds est crédité de 10 millions de DA, juste suffisant pour deux ou trois startups alors qu’il en existe beaucoup qui méritent notre confiance. Nous nous réjouissons que des banques commencent à s’intéresser à ce que nous faisons, nous nous réjouissons aussi de la disponibilité affichée par la Bourse d’Alger. Nous maintenons le cap en espérant que notre réussite encouragera d’autres à se joindre à nous ou à dupliquer nos mécanismes en mieux.
N’TIC Magazine : Les activités de l’ANPT sont très peu connues, elle est même des fois citée en des termes par très flatteurs, pourquoi ?
AB : Oui, je suis parfaitement d’accord. L’Agence est très peu, ou mal, connue. Quand Madame la Ministre m’a chargé de sa gestion en novembre 2015 j’avais pensé pouvoir relancer toutes les activités avant la fin 2016. Il suffit de faire une petite recherche sur Google pour retrouver mes déclarations de l’époque. C’était compter sans les entraves auxquelles j’allais faire face. L’assainissement financier avait pris le plus clair de 2016. L’assainissement du foncier de Sidi Abdallah avait nécessité un effort phénoménal, malgré la mobilisation de la tutelle et des services concernés au niveau des domaines de la wilaya d’Alger. Nous n’avons pu obtenir le permis de lotir du Cyber Parc de Sidi Abdallah qu’au mois de Septembre 2017. Nous avons apuré le foncier du Technoparc d’Oran en Mars 2017, nous avons complété ses études de viabilisation en janvier 2019. La demande du permis de lotir fut déposée en février 2019, nous attendons à ce jour. Le foncier du Technoparc d’Annaba fut assaini en juillet 2018 et celui d’Ouargla le 2 août 2019. En termes de financement, pour la réalisation de toutes les infrastructures planifiées, l’Agence a contracté un financement sur le Fonds National d’Investissement -accordé en janvier 2018 et enfin contractualisé en Décembre 2018- ce qui nous a permis de lancer les études pour le techno parcs d’Oran et d’Ouargla, du centre d’hébergement et du datacenter de Sidi Abdallah, de la remise en état du Technoparc d’Annaba etc. Le développement des techno parcs par la mise en concession des terrains n’est devenue possible qu’après la signature d’un arrêté interministériel le 27 août 2019. Cela nous a servi de leçon. Vous savez que le pire qui puisse arriver à une institution, à un gestionnaire, est de faire des promesses et de ne pas les tenir. Une institution qui perd sa crédibilité ne peut plus rien espérer après. Nous nous sommes promis de ne plus faire de déclarations sur ce que nous projetons de faire, mais plutôt d’attendre à ce que cela soit fait. Notre souhait est de regagner la confiance de nos concitoyens, de redevenir crédibles. II est indispensable au jeune promoteur de pouvoir planifier son projet d’entreprise. Ceci est d’autant plus vrai quand il s’agit de projets technologiques. Dans les TIC un projet innovant perd de sa pertinence très rapidement. Les jeunes sont aux aguets de bonnes nouvelles, de vrai bonnes nouvelles. Leur temps est important, il ne faut pas qu’on le leur fasse perdre par des fausses promesses et de fausses bonnes nouvelles. A l’ANPT, nous nous efforçons de faire mieux, toujours mieux, parce que nous croyons que nos jeunes méritent mieux, que notre pays mérite mieux, parce que nous savons que la déception casse la volonté et que la volonté est le moteur de la réussite. On nous reproche aussi de ne pas communiquer, certainement que nous ne communiquons pas autant que certains autres. Je trouve que l’Agence communique assez, nous laissons nos jeunes porteurs de projets, nos startups, les PME/PMI évoluant dans nos structures communiquer sur leurs expériences. Nous, notre rôle est de les écouter afin de faire mieux, de mieux répondre à leurs besoins, de leurs offrir des solutions réelles à leurs problèmes réels. Promesse faite, promesse tenue.