L'arrivée de Nouria Benghebrit à la tête du Ministère de l'Education Nationale a impulsé la mise en place d'outils pédagogiques modernes et innovants au sein de l'école algérienne. Responsable pendant longtemps du laboratoire de recherche sur l'éducation et les systèmes de formation, la Ministre a dès le début enchaîné les réformes. Bousculant les habitudes et la léthargie habituelle de son secteur, elle a réussi à allier mutations administratives et structurelles, sans délaisser la modernisation des systèmes pédagogiques aux côtés des statuts des enseignants, de celui des administratifs, de la réforme des programmes et de la révision des volumes horaires.
A pas comptés, les avancées dans ce domaine font leur chemin. Et les classes numériques installées dans plusieurs écoles du pays en sont un bon début. Des lieux censés être des bijoux technologiques aux objectifs révolutionnaires pour l'école algérienne. Après l'inauguration par son prédécesseur d'une première classe de ce type au lycée national des mathématiques à Kouba (Alger), pas moins de trois autres classes ont été installées sous la houlette de Mme Benghebrit à Oran, Constantine et Adrar. Ces projets pilotes doivent donner à la tutelle les orientations nécessaires pour le développement et la généralisation de ces outils pédagogiques au sein de l'école algérienne...pourvu qu'on en fasse un bilan !!
Les projets pilotes, rarement menés jusqu'au bout
Car bien que les projets de ce type (qui se multiplient) sont à applaudir des deux mains, nul n'ignore que rares sont les projets pilotes qui vont jusqu'au bout. Délaissés, oubliés, relégués aux calendes grecques ou abandonnés au profit de dossiers plus prioritaires, les exemples en la matière sont légion, que ce soit dans l'éducation, la santé, la banque et ailleurs. L'exemple le plus probant reste celui des classes numériques dans les hôpitaux.
En effet, en 2013, l'ancien Ministre de la Poste et des Technologies de l'Information et de la Communication, Moussa Benhamadi, procédait à l'ouverture de classes numériques au sein des centres hospitalo-universitaires Nafissa-Hammoud (ex-Parnet) à Hussein-Dey et Lamine-Debaghine (ex-Maillot) à Bab El-Oued. Une révolution. Ce projet, mis sur pied en collaboration avec Algérie Télécom, Condor, Microsoft et Stonesoft, devait permettre aux enfants malades et hospitalisés de poursuivre, dans la mesure du possible, leurs études au sein de leurs établissements de santé. Une initiative noble, novatrice et très pratique pour cette catégorie d'écoliers, qui ont les pires difficultés à poursuivre sereinement leur scolarité lorsqu'ils sont malades ou en convalescence. 3 ans et 3 ministres plus tard, que reste-t-il de ce projet ? Mystère et boule de gomme !
A ce jour, aucun bilan n'a été fait de cette opération lancée à l'époque en grande pompe. Les personnes concernées sont introuvables et fort à parier qu'aucune capitalisation n'a été faite de ce beau projet, malgré les efforts consentis par tous les acteurs qui s'y sont impliqués. Si cela se trouve, le projet est une réussite totale. Ses résultats sont fabuleux, et son exploitation changerait la vie de milliers d'enfants dans la même situation. Cette expérience aurait pu servir de base pour tous les projets de même acabit. Mais cela, c'est impossible de le savoir, faute de bilan ou de retour d'expérience. Un projet qui va au bout est un projet dont on peut faire un bilan. Dans le cas contraire, il est fort probable et même à prévoir que l'expérience se répète... et avec les mêmes erreurs.
Autre frein à l'innovation, la résistance au changement
L'évolution de l'école algérienne vers la modernité et le numérique pourrait également se confronter à un autre écueil : la résistance au changement. C'est un concept éprouvé en matière de développement. La résistance au changement, ce sont tous les obstacles qui freinent un domaine dans son développement, notamment en y bloquant toute innovation ou nouveauté capable de chambouler l'ordre établi. Elle est l'apanage d'acteurs influents bien installés dans une filière, une entreprise ou une institution, et dont le changement bousculerait leurs habitudes. C'est peut-être le cas du domaine de l'éducation où toute tentative de réforme passe difficilement. Décryptage avec l'exemple du fameux « CD Benghebrit » qui restera dans les annales. Flashback.
Nous sommes en Mars 2015, en plein milieu d'une grève des enseignants qui semble difficilement gérée et gérable par la tutelle. Les jours passent et aucune issue n'est trouvée au conflit alors que l'inquiétude augmente chez les parents et surtout les élèves, notamment ceux de Terminale, qui jouent leur va-tout dans quelques semaines. Mais un moment, la Ministre décide de réagir. Elle rassure, elle promet, et s'engage même. Tous les cours seront rattrapés à temps, et les élèves ne seront interrogés que sur les programmes ficelés. Une reprise en main énergique et efficace. Jusque-là, rien d'anormal. Mais tout bascule lorsque, joignant le geste à la parole, le département de Benghebrit diffuse un CD de cours en complément aux élèves. Là, c'est la catastrophe.
" Le Ministère veut remplacer l'enseignant par un CD ", pestent les professeurs. " Il oblige les élèves à acquérir un ordinateur ou à dépenser leur argent dans les cybercafés ", crie au scandale une certaine presse. Les parents sont désemparés ne sachant plus qui croire. Quant aux concernés, ils s'emparent de l'affaire pour la tourner en dérision sur leur terrain d'expression favori, les réseaux sociaux. Pendant des semaines, la polémique est sur toutes les lèvres. Le Ministère aura beau démentir et réexpliquer le concept de "complément", rien n'y fera. Seule la fin des hostilités avec les enseignants et la reprise des cours fera oublier un tant soit peu cette polémique.
Pourtant, bien que le contexte ne soit pas favorable, le Ministère, en décidant de trouver des solutions innovantes à des problèmes classiques telles que le rattrapage des cours, avait agi de manière pragmatique. Les écoles privées en tout genre, qui pullulent un peu partout dans nos villes et dont raffolent les parents qui en ont les moyens, fournissent pour la plupart des CD de cours en complément, sans que cela n'offusque personne. Pourquoi les élèves continueraient-ils à se trimbaler avec des cartables pleins à ras bord et lourds, au lieu de supports modernes ? N'avons-nous pas abandonné le tableau noir et la craie salissante et poussiéreuse pour des tableaux blancs et des encres plus claires ? Mais la résistance au changement a de beaux jours devant elle... Bientôt, il n'est pas improbable que ces supports digitaux remplacent le bon vieux livre, qui se déchire, se perd, se vole, et nous esquinte le dos à cause de son poids. Pourvu qu'aucune résistance à ce changement ne vienne freiner cette évolution naturelle de l'école de nos jours.