Les avancées technologiques de ces vingt dernières années ont complètement bouleversé les pratiques quotidiennes des citoyens. Les progrès dans l’utilisation d’internet ont contribué a faciliter les usages quotidiens aux personnes dans de nombreux secteurs. Notre pays reste à la traine et accuse un retard conséquent dans ce domaine. Les promesses des autorités ne sont tenues qu’à moitié.
La dématérialisation des administrations dans notre pays patine. L’Algérie enregistre un grand retard par rapport aux objectifs qu’il s’est fixé dans le passé dans la généralisation de l’utilisation des nouvelles technologies. De petites avancées sont tout de même réalisées ces dernières années, comme la délivrance du passeport et de la carte d’identité biométriques, la numérisation des documents civiles, et des documents de la justice.
Cela a permis de faciliter, un tant soit peu, la vie aux citoyens et d’éradiquer les interminables queues devant les guichets de quelques administrations, ou encore les longs déplacements dans les mairies pour se faire délivrer un acte de naissance. Le citoyen algérien peut, désormais, se faire délivrer son acte de naissance dans n’importe quelle mairie au niveau national, une Carte d’identité en s’inscrivant sur le site du ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales, ou encore imprimer des documents de justice sur internet. Mais cela n’est rendu possible qu’après plusieurs années d’attentes.
Des promesses et des retards
Aller vers la modernisation de l’administration est de mise pour un pays qui tente bec et ongle de redresser sa situation économique. Mais la volonté a souvent fait défaut. Les nombreuses années de promesses non tenues par certains ministres et responsables concernées en sont pour preuve. L’exemple qui illustre au mieux cet état de fait n’est autre que la pièce d’identité biométrique. La délivrance de ce document « nouvelle génération» est restée au stade d’un chantier en souffrance pendant très longtemps. Au même titre que celui du permis de conduire et de la carte grise biométrique. Ce pendant, restons avec la pièce d’Identité Biométrique. Elle a tardé à arriver malgré les annonces répétées faites par le ministre de l’Intérieure et son collègue des Transports. Mais comme dit l’adage : « les promesses n’engagent que ceux qui les créent». Nous étions pendant plus de cinq longues années dans ce cas puisque ce document n’a vu le jour qu’en septembre dernier. Et dans la capitale seulement. Et pour cause : leur projet n’a été présenté devant le Conseil du gouvernement que le mois de mai dernier. Pour leur délivrance, il a fallu attendre encore. Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les Algériens avaient à attendre ce précieux document. Il y a déjà près de deux ans, en effet, soit en juin 2014, l’ancien ministre des Transport Amar Ghoul a clairement annoncé que « l’opération de délivrance du nouveau permis de conduire, joint d’un permis à points, sera entamée dans les prochains jours». Résultat: la promesse n’a pas été tenue les jours qui ont suivis les déclarations de Ghoul. Plus loin avant, en 2011, Amar Tou, alors ministre du Transport, avait déclaré que la mouture finale du décret exécutif allait être soumise au gouvernement les jours qui suivaient sa déclaration. En vain. Les promesses des deux ex-ministres du Transport se sont faites attendre jusqu’au 4 septembre 2016. Mais bien avant, leur successeur Boudjemaâ Telai, a affirmé, quant à lui, en novembre 2015 lors d’une visite de travail dans la wilaya de Boumerdes que « nous aurons notre permis biométrique en début 2016». Il a encore fallu plus de 8 mois pour que le projet se concrétise et encore, dans la capitale seulement.
Les responsables concernés, ministres y compris n’ont cessé de vanter les mérites de la révolution numérique et électronique dans les différents services, administrations et institutions notamment celles en rapport avec les besoins quotidiens du citoyen. Mais cette « révolution numérique», est arrivée avec beaucoup de retard en Algérie contrairement à ses voisins. La Tunisie ou le Maroc sont, effectivement, passés au biométrique depuis plusieurs années déjà. Le permis de conduire à point est, également, mis en place dans ces deux Etats. Ce qui est étonnant dans ce retard, c’est que le service biométrique avec matériel et personnel était en place depuis au moins 2012. Les passeports biométriques sont, pour preuve, délivrés depuis 2013 conformément aux exigences de l’Organisation de l’aviation civile internationale (ICAO).
Parlons du passeport biométrique. Celui-ci était le soufre-douleur de plusieurs millions d’Algériens, notamment des binationaux se trouvant à l’étranger. En effet, étant mis sous pression par l’ICAO, les autorités algériennes se sont vues vite rattrapées par le retard causé dans la délivrance de ce document de voyages. Du coup, c’est le citoyen qui a payé le prix cher. De longues files d’attente dans les consultas d’Algérie en France et ailleurs se prolongeaient chaque jour un peu plus. Les rixes des demandeurs a causé pas mal de blessures et de tensions au sein de ces administrations. Combien de binationaux ont, effectivement, dénoncé leur mauvaise prise en charge dans les consulats. Dans certains cas, des citoyens ont même fait état d’agression à l’intérieur des représentations algériennes en France. Conditionné par le timing de l’Organisation de l’aviation civile internationale, les autorités ont, du coup, opté pour des solutions misères. Ils ont, d’abord, permis aux binationaux de voyager vers l’Algérie avec un passeport français (ou autre nationalité). Accompagné d’une pièce d’identité algérienne. Puis c’est le ministère de l’Intérieur et des collectivités locales qui annonce une nouvelle facilité pour les citoyens algériens désireux d’obtenir un document de voyage. Il a pour nom « le passeport biométrique d’urgence» dont les caractéristiques et la date de mise en service ont été définies dans deux arrêtés publiés au Journal officie n67 publié le 20 décembre dernier. Celui-ci a pour objectif, expliquait le ministre de l’Intérieur et des Collectivités Locales Nourdine Bedoui de soulager les Algériens détenant une carte de séjour dans un pays tiers voulant rentrer au pays dans des cas d’urgence. Les émigrés algériens établis à l’étranger devront d’ailleurs, dès janvier prochain, présenter un passeport biométrique pour pouvoir renter en Algérie. Sans ce document les ressortissants algériens « doivent» être munis d’un visa pour pourvoir se rendre en Algérie. C’est ce qui est mentionné dans plusieurs communiqués rendus public dans les différents consulats du pays à l’étranger.
Le secteur de l’éducation et de l’enseignement à la traine
Dans les écoles algériennes, la dématérialisation reste à inventer. Dans les pays développés, l’utilisation des moyens technologiques pour l’apprentissage est devenue une évidence. Différents supports multimédias modernes sont mis à la disposition des élèves, des enseignants et administrateurs. Les bienfaits de ce mode d’enseignement moderne ne sont plus à démontrer. La qualité de l’enseignement a gagné en qualité et en économie.
En Algérie, le Centre national d’enseignement à distance (CNEPD), qui a fait, depuis quelques années une plateforme e-learning. Cela a permis de faire de considérables dépenses dans l’impression de livre et une meilleure prestation pour les apprenants et les responsables de cet organisme public. L’expérience réussie du CNEPD aurait pu inspirer les autres organismes de ce secteur, deuxième budget de l’Etat.
Dans l’enseignement supérieur, les évolutions se limitent, pour le moment, aux formalités d’inscription des nouveaux bacheliers. Mais cela a l’air de « plaire » à la tutelle. La distribution de CD aux nouveaux étudiants au lieu des habituels « volumineux paquets de papiers » pour faire leur choix a fait gagner au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique une enveloppe de 7 milliards de centimes, avoue le Tahar Hadjar, ministre de l’Enseignement supérieur. Celui-ci déclare que son département s’apprête à lancer l’utilisation du logiciel « Progress » dans les années à venir. C’est un logiciel utilisé un peu partout ailleurs, et qui permet de gérer la carrière des étudiants durant tout leur cycle universitaire.
Concernant l’école nationale, au lieu de réfléchir a établir une réforme dans ce sens, et mettre l’école algérienne aux nouveaux standards internationaux, celle-ci s’est embourbée dans des polémiques stériles et rétrogrades. Ce qui laisse présager que la révolution dans l’utilisation des moyens technologiques dans les écoles peut attendre encore beaucoup années.
E-paiement m-paiement : de renvois en revois
La dématérialisation dans les banques algériennes peut encore attendre. Pour cause, le lancement de l’e-paiement ou du m-paiement, annoncés depuis des années n’est jamais concrétisé.
« Nous sommes en train de réunir toutes les conditions pour libérer le paiement par Internet pour les grands facturiers et les compagnies de transport en septembre prochain.
Ce sera une première phase qui sera suivie, dans le futur, par une deuxième étape pour les sociétés de services, et une troisième phase qui est celle de généralisation », annonçait Mouatassam Boudiaf, ministre délégué auprès du ministre des Finances, chargé de l’Économie numérique et de la modernisation des systèmes financiers, dans un entretien accordé à l’APS, en juin dernier. Mais cette promesse reste un vœu pieux qui s’ajoute aux nombreuses autres jamais tenues, annoncées par ses collègues du Gouvernement.
De son côté, la ministre de la poste et des Technologies de l’information et de la Communication, Imene Houda Feraoun, avait indiqué, début du mois de septembre, que l’avant-projet de Loi relatif au e-commerce n’a toujours pas été remis au gouvernement. Cet avant-projet de loi, qui conditionne le lancement du e-commerce, sera soumis au gouvernement avant la fin de l’année en cours, annonce la ministre, sans précision de date. Cela veut dire que les Algériens doivent encore et toujours patienter pour pouvoir effectuer des opérations bancaires par internet.
L’utilisation des nouvelles technologies dans notre pays est une obligation qui s’impose face à l’évolution mondiale que connait ce secteur. L’Algérie est condamnée, tôt ou tard, à prendre le train de la modernité. Mais la conjoncture actuelle exige des efforts considérables
Entretien avec Ali Kahlane, expert en TIC’s
N’TIC : Il y a trois ans, l’Algérie a lancé l’ambitieux programme e-Algérie. Quelle évaluation faites-vous de ce programme trois ans après son lancement ?
Ali Kahlane : Ce programme a été lancé en janvier 2009 et devait se terminer 5 ans plus tard, en Janvier 2014. Un bilan devait en être dressé et des conclusions tirées au plus tard à la fin de cette même année. Malheureusement rien de tel ne semblât avoir été fait et, c’est toujours le cas jusqu’à aujourd’hui. C’est le premier constat.
Voyons un peu la genèse de sa fabrication. Ce programme, je dois le préciser, a été élaboré d’une manière tout à fait nouvelle et, en fait très innovante, ce qui correspond admirablement à ses objectifs, quoi de mieux que de définir l’innovation en l’utilisant. Je peux dire sans trop me tromper que c’était la première fois, en Algérie, qu’un programme est élaboré avec une portée aussi transverse et aussi importante pour le futur immédiat de notre pays. Il a été consulté et invité un nombre impressionnant d’acteurs et de personnalités autour de lui et pour lui. Des gens qui venaient d’horizons aussi diverses et dont l’origine et les compétences ne se limitent pas aux seuls fonctionnaires des institutions concernés par le Programme e-Algérie.
En effet, non seulement il a été demandé à la société civile de donner son avis et d’enrichir ainsi qu’à de nombreuses personnalités y compris la diaspora, mais en plus une synthèse du Programme a été mise en ligne sur le site du MPTIC pour que les citoyens puissent également la consulter et y réagir en utilisant une adresse mail, en 2008 c’était quand même bien lancé par ses concepteurs.
Durant toute la période qui court de 2009 à 2013, très peu d’actions avaient été menées dans le cadre du Programme qui en comprenait exactement mille, si l’on excepte celui de la 3G, lancée in-extremis en décembre 2013. Bien sûr que beaucoup de choses ont été faites dans le développement des TIC et qui ont été forcément prévu dans e-Algérie. Mais sans bilan, comme écrit plus haut, il est impossible de reconnaître et d’affecter les actions réalisées par les différentes institutions à e-Algérie si celles-ci ni le reconnaissent et encore moins le déclarent.
Dans l’absolu, une étude interne à l’AAFSI (Association Algérienne des Fournisseurs de Services Internet) a estimé que la réalisation de e-Algérie aurait atteint 15% en 2014. Si nous devons additionnées toutes celles qui ont été réalisées après janvier 2014 à nos jours, il est évident, et toujours dans l’absolu nous devons avoir allégement doublé ce taux.
Nous sommes tentés de penser que cela est bien et va dans le bon sens. Oui c’est bien, par contre que ça aille dans le bon sens je suis moins sûr. Bien que définies dans e-Algérie, la quasi totalité des actions qui auraient été réalisées en son dehors n’ont aucune accroche avec la stratégie qui y était développée.
Cela donne tout naturellement une redondance d’actions qui étaient supposées se compléter pour une totale interopérabilité. C’est ainsi, par exemple que de nombreuses institutions a commencé à prendre au sérieux les cyber menaces, des crimes induits ainsi que des moyens à mettre en oeuvre pour s’en prémunir, ce qui est très bien en soi. Quelques uns vont jusqu’à lancer des programmes de prises en charges individuels et spécifiques pour se protéger. Chacun à sa manière, selon sa compréhension et peut être le degré d’utilisation du cyber espace. Alors que nous savons tous qu’au niveau d’une nation, ce type d’actions devraient être non seulement coordonnées mais surtout avoir une optimisation des ressources utilisées aussi bien matériels que logicielles pour une meilleure protection et des contre attaques efficaces et pérennes. Le terrorisme n’a pu être vaincu militairement que par un commandement unifié. Ceci n’est un qu’un exemple des dangers et du gaspillage manifeste que nous encourons avec une non stratégie numérique.
N’TIC : Les avancées enregistrées, par rapports aux attentes sont maigres. Quels sont les facteurs qui entravent l’avancement de cette opération ?
A.K : Le numérique est son utilisation est un et transverse. Il est un car tout le monde s’y interconnecte à lui, il est transverse car en plus de l’interconnexion il y a l’interopérabilité. Nous savons maintenant que l’absence de stratégie globale a conduit plusieurs secteurs à développer leur propre vision et appliquer des solutions taillées à leur mesure pour s’arrimer au mouvement numérique sans se soucier du voisin et encore moins de ce qu’il peut lui apporter. Or nous savons qu’à l’ère du tout numérique et du cloud, les data centers devront être mutualisés pour une économie, pour une meilleure performance avec une interconnexion et une interopérabilité naturelles, et surtout pour une meilleure sécurité et une protection de données à la mesure des enjeux.
N’TIC : Croyez-vous que l’Algérie dispose de suffisamment de moyens humains et matériels pour rattraper le retard enregistré dans ce domaine ?
A.K : Bien sûr qu’il est toujours possible de rattraper tout le retard du monde. Il suffit de le décider, de l’inscrire dans une stratégie, d’en sortir une feuille de route inscrite et limitée dans le temps, de s’y tenir avec des évaluations et des mesures de redevabilité des acteurs concernés à tous les niveaux. Il semble qu’avec la conjoncture actuelle les services publics soient beaucoup plus sensibles aux demandes incessantes de nos jeunes diplômés de leur faciliter l’accès au marché de la commande publique pour prendre en charge notre transition vers l’économie numérique. La création récente du Cluster numérique ou l’Algerian Digital Cluster va dans ce sens. Une quarantaine d’entreprises aussi bien des grosses PME/PMI tels que Condor, Bomare, Mobilis ou Irisat que de jeunes start up se sont constituées en Groupement d’Intérêt Economique (GIE) pour répondre et prendre en charges aussi bien la commande publique que la création d’un écosystème dans lequel elles évolueront avec un partenariat à 4-gagnants qui sont : les deux partenaires du Cluster, l’Etat et le citoyen ou consommateur.
Si les clivages sont combattus et écartés, si la méfiance n’est plus de mise, si la confiance est instauré sans préalable rien ne s’oppose à ce que le Ministère de l’Industrie et des Mines dont le Cluster est son initiative, à ce que le MPTIC, à ce que le Ministère du Commerce, le Ministère délégué chargé de l’économie numérique et de la modernisation des systèmes financiers puissent utiliser cette manne de potentiels humains comme un réservoir de compétences et un creuset de cette innovation que nous recherchons tous alors qu’elle est là réunie et prête à partir.
N’TIC : En votre qualité d’expert dans le domaine des TIC, quelles sont les solutions que vous suggérez pour booster la généralisation de l’utilisation des nouvelles technologies dans les administrations ?
A.K : Tout un programme! Mais je peux quand même essayer de donner grossièrement quelques pistes absolument indispensables. L’interopérabilité étant une nécessité absolue, il est plus qu’urgent d’avoir une feuille de route qui doit obligatoirement émaner d’une stratégie globale du gouvernement. Elle doit être appliquée et suivie à la lettre en y intégrant sérieusement la prise en charge de la résistance aux changements. Avec l’intégration de tout ce que peuvent donner de mieux les TIC, Cette feuille de route doit comporter d’abord une profonde réorganisation qui doit aboutir à la production de procédures simples et claires qui devant déboucher à terme sur une administration mieux organisée, allégée mue par par des pratiques qui profiteront à un citoyen désormais connecté et qui évolueront avec ses besoins. L’appropriation des TIC en général et la transition vers l’économie numérique en particulier ne seront alors plus de vains mots.