Si être femme et entrepreneure est de plus en plus courant dans le monde de l’entreprise en Algérie, l’entrepreneuriat féminin dans la sphère numérique est plutôt timoré. Il suit les balbutiements de cette économie numérique encore naissante dans notre pays.
Les statistiques sur l’entrepreneuriat féminin dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC) sont inexistantes si ce n’est quelques évocations disparates de ce segment à chaque occasion de la célébration de l’entrepreneuriat féminin.
Lors d’une récente rencontre organisée au mois de d’octobre dernier à Alger par le Forum des chefs d’entreprises (FCE) autour du thème : « Entrepreneuriat féminin : Un vecteur pour une croissance économique durable », il a été fait mention d’un chiffre accablant : Alors que 70% des diplômés qui sortent des universités chaque année sont des femmes, leur participation dans la création d’entreprises est de moins de 13% contre plus de 87% pour les hommes.
Jusqu'à fin 2015, l'Algérie comptait 136.204 femmes d'affaires (Femmes commerçantes-gérantes d'entreprises et femmes commerçantes- personnes physiques) contre 130.416 en 2014 et 115.241 en 2010, selon le Centre national du registre du commerce (CNRC).
En cinq ans, le nombre de femmes gérantes d'entreprise (personnes morales) a presque doublé passant de 4.451 en 2010 à 8.754 en 2015. Quant aux femmes commerçantes-personnes physiques, elles étaient à 127.450 en 2015 contre 122.253 en 2014 et 110.790 en 2010. Mais sur l'ensemble des commerçants que compte le pays (1,84 million), les femmes commerçantes n'en représentent que 7,4%.
Les chiffres du CNRC ne mentionnent pas le segment d’activité de ces femmes d’affaires, mais soulignent que ces femmes exercent notamment dans les services pour près de 40% d’entre-elles. Soit la catégorie où pourrait être rangé le secteur des TIC. C’est dire le poids des femmes dans une activité encore considérée comme une affaire d’hommes.
Florilège d’aventures entrepreneuriales
Dans le monde du numérique, cet univers très masculin, des femmes ont pourtant réussi une percée. De petites mains, certes, mais qui commencent à dégager de grandes pistes dans ce secteur qui a beaucoup à offrir en termes d’opportunités. Imane Haddad, une jeune entrepreneure d’à peine 25 ans, diplômée de l’Institut national des arts et industries graphiques, a fondé une agence de communication « 100% digitale ». Elle a pour ambition de réinventer la communication et la publicité sur le web et mobile en « accompagnant le client depuis la conception du projet marketing digital jusqu’à sa mise en ligne ». La jeune femme s’est également lancée dans les Ciworks ; des ateliers de travail en groupe autour des sujets liés au domaine des nouvelles technologies comme le graphisme, la vidéo et les différents langages de programmation.
Mais il ne suffit pas d’être à la page et faire des études en rapport avec le monde du numérique pour entreprendre. L’avènement de nouvelles technologies apporte les opportunités, le reste est une question d’intuition. C’est le cas de Esma Djigouadi, la fondatrice du magazine en ligne féminin Zeinelle. Ce webzine interactif spécialisé dans le domaine de la beauté et du bien-être, se décline en plusieurs rubriques : Beauté& bien-être et astuces, Bons plans, Société, Zeinelle Club, 1001 Questions beauté, Régimes & Nutrition, Carnet d'adresses Beauté, Forme & Mariage etc.
L’idée de créer ce magazine féminin était pour combler le « grand manque d’information dans le domaine de la beauté et du bien-être en Algérie ». Venue ensuite la création d’ateliers ludiques pour les femmes (atelier maquillage, atelier mécanique, atelier détente pour les candidates au Bac etc). Zeinelle propose également, à travers les articles et les conseils de spécialistes, des pistes de solution voire même un accompagnement personnalisé.
Diplômée en marketing, Esma Djigouadi a travaillé dans l’univers des multinationales, avant de songer à se former dans l'art du modélisme, de la peinture, de l'esthétique et du maquillage. Sans formation dans le domaine du web, elle fait appel à une société de web développement, "Edisoft.dz" pour la réalisation du webzine.
L’entrepreneuriat dans le numérique passe aussi parfois par des choix fortuits. C’est le cas de Mira Gacem qui a fait de sa passion pour l’histoire son univers entrepreneurial. Elle n’avait pas idée comment concrétiser sa passion pour l’histoire et l’écriture. Et au départ, le web était loin d’être à ses yeux un moyen viable pour le magazine socioculturel qui traite de l’histoire et du patrimoine culturel algérien. « C’est grâce à mon mari qui m’a orienté vers le web », confie-t-elle dans une interview à une chaine de télévision privée.
Aujourd’hui, le portail Bab Z’man est très en vue sur la scène des médias qui traite de la culture et de l’histoire. Les articles sont quotidiennement mis à jour avec des éphémérides. Le magazine part aussi à la rencontres de personnalités historiques, reçoit des contributions d’historiens mais aussi de petites histoires qui ont fait la grande Histoire de l’Algérie, revisite le patrimoine culturel national etc.
La dure réalité
Ce petit florilège d’aventures entrepreneuriales féminines plutôt réussies ne saurait toutefois cacher la dure réalité à laquelle sont confrontées les femmes entrepreneur d’une manière générale. Les femmes autant que les hommes font face, pour tout projet entrepreneurial, à de multiples difficultés.
Il s’agit notamment des obstacles juridiques, du manque d'accès à la formation et à l’aide aux entreprises, de l'accès limité à la propriété et au crédit et des problèmes d'infrastructure économique. Les comportements des chefs d’entreprises différent selon qu’on est une femme ou un homme, selon une étude menée par la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) sur six Etats : le Brésil, la Jordanie, la Suède, la Suisse, l’Ouganda et les Etats-Unis portant sur l’entrepreneuriat féminin et l’innovation.
Ses résultats montrent que les hommes se concentrent plus sur la réalisation de bénéfices alors que les femmes prêtent plus attention à la prestation de services, et aux clients. Elles sont en recherche continue d’innovation sur de nouveaux produits. Les femmes se concentrent également plus sur la création de partenariats afin d’améliorer la production et les services.
Toutefois, les femmes entrepreneurs supportent un autre fardeau du fait des normes sociales et culturelles traditionnelles. Cette double contrainte pèse lourdement sur l'entrepreneuriat féminin qui, bien qu’en évolution constante, il n’a augmenté que d'environ 18% sur les cinq dernières années, selon les chiffres du CNRC. Pourtant, le monde du numérique offre des perspectives très intéressantes aux femmes d’autant qu’elles représentent le gros du contingent des nouveaux diplômés universitaires. Le secteur des TIC est appelé à croître davantage durant les prochaines années avec l’accès grandissant (et démocratisé) à la technologie (3G, 4G mobile) et l’explosion des usages (e-commerce surtout), ouvrant un champ très vaste à l’économie numérique où toutes les idées sont bonnes à prendre.
Un secteur en plein essor
Ce secteur qui contribue qui contribue pour moins de 3% au PIB, sera amené durant les 5 prochaines années à une moyenne de 7%, dans le cadre de la nouvelle politique de diversification économique du gouvernement. Une attention particulière est d’ailleurs accordée à ce secteur considéré comme l’un des moteurs de la croissance hors hydrocarbures.
Des dispositifs de financement et d’accompagnement des startups technologiques commencent à voir le jour, à coté des dispositifs ANSEJ et CNAC qui, bien qu’ils financent des projets liés aux TIC, ils demeurent insuffisamment adaptés pour ce genre d’entreprises.
Ces nouveaux dispositifs sont souvent initiés par le secteur privé en collaboration avec des organismes publics. On peut citer l’initiative de Ooredoo en partenariat avec l’Agence nationale de développement des petites et moyennes entreprises (ANDPME) baptisée tStart qui consiste à transformer les idées en « opportunité de projet ». Il s’agit aussi de compétitions de Startups technologiques, comme SeedStars World, parrainée par l’opérateur Djezzy ou le programme Viatic, financé par les Etats-Unis sous la conduite de l’Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche et du développement (Anvredet) dont le but est d'accompagner les jeunes entrepreneurs par la formation et l’assistance dans la mise en œuvre du projet.
Les TIC sont une chance pour l’entreprenariat féminin, pour peut que l’on promeut le rôle primordial de la femme algérienne dans la société de l’Information et du savoir. «Le numérique, c’est le futur de l’industrie, mais c’est un futur qui ne pourrait pas être réalisé sans les femmes. Encourager l’égalité femmes-hommes dans le secteur, c’est la condition d’en faire une filière exemplaire et avant-gardiste », résume Bruno Vanryb, président du collège Editeurs, SyntecNumérique.