La loi relative au commerce électronique est entrée en vigueur. Publié dans le numéro 28 du Journal Officiel, ce texte juridique donne, désormais, une assise légale à l’activité du e-commerce qui a connu une évolution remarquable ces dernières années. Ce cadre juridique va-t-il booster cette activité ? Eléments de réponse.
Le commerce électronique en Algérie connait de nouvelles règles de jeu. Après plusieurs années d’attentes, l’activité de e-commerce dispose, à présent, d’un cadre juridique spécifique, à la faveur de la promulgation en juin dernier d’un texte de loi, fixant les règles générales du commerce électronique des biens et des services.
D’aucuns estiment que le lancement « légal » du commerce électronique vient à point nommé pour mettre de l’ordre dans cette activité, quand bien même, le texte de loi pèche par des « imprécisions » sur quelques aspects relatifs aux droits des consommateurs notamment en ce qui concerne les droits et délais de rétractation.
Aller vers la professionnalisation
Du côté des webmarchands, on considère que « la promulgation de la loi relative au commerce électronique est une bonne initiative du Gouvernement, « car elle met en place un cadre légal et comble enfin le vide juridique qui pesait sur cette activité, qui pourtant est en plein expansion et qui compte aujourd’hui plusieurs acteurs en Algérie », explique Samir Bouazabia, directeur général et cofondateur du site de vente en ligne, Batolis.com.
Pour lui, la loi qui vient d’être promulguée va d’abord « différencier » les acteurs professionnels de ceux qui ne le sont pas. Ensuite, elle poussera davantage à la « professionnalisation » du métier de webmarchand. « L’Algérie a, certes, accumulé un certain retard en ce qui concerne le commerce électronique mais grâce à l’adoption de cette loi, nous pouvons dire que nous sommes au début d’une avancée que nous espérons exponentielle », affirme-t-il. Toutefois, il estime que d’autres mesures sont à prévoir. « Une communication de la part des différents acteurs est nécessaires afin de promouvoir et mettre en confiance les utilisateurs des nouveaux moyens de paiement », ajoute-t-il.
Mourad Mechta, co-fondateur de la plateforme Guiddini e-commerce applaudit, de son côté, l’arrivée de ce nouveau cadre juridique qui « protègera et le client et le webmarchand ». Cette protection était très attendue par les acteurs de ce secteur. Jumia, l’une des plus importantes plateformes de e-commerce en Algérie, a déjà anticipé sur ce volet, en adoptant dès son lancement en 2014 « les meilleures pratiques en matière de satisfaction client, résultat d’une expérience réussie dans les pays où nous sommes présents », soutient Meriem Toumi Responsable Marketing chez Jumia Algérie.
Quelques réserves
Toutefois, quelques réserves ont été émises s’agissant des conditions d’exercice de cette activité notamment l’obligation d’héberger les sites web en Algérie avec une extension “.com.dz”. L’on craint que cette obligation ne « retarde les démarches des opérateurs ».
« Les articles en relation avec l’hébergement en Algérie ont créé énormément de réticences car à l’heure actuelle les services proposés ne correspondent ni aux exigences du commerce électronique ni même aux besoins des jeunes entreprises. Et le fait de ne pas laisser libre l’initiative va freiner le développement et la création d’entreprises activant dans ce créneau », estime Iheb Tekkour, expert en TIC.
L’on regrette aussi que cette loi soit trop « généraliste » ; ne prenant pas suffisamment en compte la spécificité des plateformes de e-commerce qui jouent le rôle d’intermédiaire de vente. « Un producteur n’a pas le même mode de fonctionnement qu’un intermédiaire de vente », souligne Mme Toumi.
Généraliser le paiement électronique
Mais on reste optimiste chez les acteurs de ce secteur. La loi sur le commerce électronique apporte dans son sillage la possibilité d’implémenter un module de paiement en ligne. « Le GIE monétique a lancé ses premières initiatives envers les grands facturiers et attendait une loi régissant le commerce électronique pour pouvoir généraliser le paiement électronique, rappelle le président d’Algeria Digital Cluster, Mehdi Omar Ouayache. On espère avoir comme conséquence de cette loi le déploiement rapide du paiement électronique pour tous les webmarchands ».
« Nous attendions ce mode de paiement depuis la création de notre entreprise, et sommes ravis que cela ait enfin été ajouté et approuvé pour les sites de e-commerce », se félicite, de son côté, le co-fondateur de Batolis, affirmant avoir déjà entamé les démarches pour se doter de « l’option » e-payment qui, faut-il le souligner, nécessite des procédures auprès des banques de la place et des tests techniques avant sa validation par la Banque d’Algérie.
« Nous espérons seulement que la mise en place du système e-payment pourra se faire dans de bonnes conditions, avec un encadrement et un suivi de la part des différents organismes concernés, et ce dans les meilleurs délais », ajoute-il.
Le paiement électronique va-t-il accélérer le développement du commerce électronique ? L’absence de e-payment est perçu comme un handicap du point de vue des webmarchands « parce qu’il y a une opération supplémentaire de récolte d’argent », explique Mme Toumi. Donc, la loi apporte plus de facilité pour les opérateurs économiques. Pour les consommateurs, on sera encore, en 2018, dans une phase de transition et de découverte du concept.
La loi laisse la possibilité de payer cash à la livraison ou de payer en ligne. Ce choix proposé par le législateur est opportun : obliger « brusquement » le consommateur à payer en ligne ou avec une CIB aurait créé un effet de recul sur l’activité. L’expérience de Jumia en Afrique montre que la majorité des clients préfèrent payer cash à la livraison, et ce, même dans les pays où le paiement mobile est répandu, souligne Mme Toumi.
Quid de la « promesse de livraison » ?
Pour elle, ce n’est pas le e-payment qui va réellement changer la donne en 2018. Tenir « la promesse de livraison », et de surcroit, dans des délais réduits est à même de booster l’activité de commerce électronique en Algérie. « Aujourd’hui on parlera plus d’aller développer des points de retrait avant de penser au e-payment », explique-t-elle.
La ministre de la Poste, des Télécommunications, des Technologies et du Numérique, Imane Houda Feraoun qui s’est exprimée suite à la promulgation de la loi avait indiqué que le commerce électronique ce n’est pas que des transactions dématérialisées. « On oublie une partie importante qui est l’arrivée de la marchandise chez le client », avait-elle indiqué.
La loi permet au webmarchand de livrer lui-même ou d’utiliser les services d’Algérie Poste ou d’un autre opérateur postal privé ou même des entreprises spécialisées. La majorité des plateformes les plus connues sur le marché assurent la livraison sur les 48 wilayas, à travers des bureaux de liaisons régionaux et recourent souvent aux services des opérateurs postaux et des entreprises spécialisées.
« L’e-commerce a de fortes chances de réussir en Algérie, et va se développer avec l’arrivée de plus en plus d’acteurs. Nous pouvons voir cela dans d’autres pays ou l’activité d’e-commerce a révolutionné le quotidien des personnes. Nous sommes dans un monde globalisé aujourd’hui et cela sera de même pour nous en Algérie », conclut le co-fondateur de Batolis.
Les principales dispositions de la loi relative au commerce électronique
La loi relative au commerce électronique énonce une série dispositions qui définissent les droits et obligations des webmarchands et des e-consommateurs. Elle instaure en outre certaines conditions pour l’exercice de cette activité. Les webmarchands doivent s’y conformer dans un délai de 6 mois.
Ainsi, l’activité de commerce électronique est soumise « à une inscription au registre de Commerce et à la publication d’un site ou d’une page web hébergés en Algérie avec une extension “.com.dz” ». Dans ce sens, l’exercice de l’activité de commerce électronique est « subordonnée au dépôt du nom de domaine auprès du Centre national de registre de Commerce. Le fichier est publié par voie de communication électroniques et mis à disposition de l’e-consommateur ».
S’agissant du paiement des transactions, la loi énonce deux modes de paiement : le paiement à distance (e-paiement) ou à la livraison du produit. Pour le e-payment, le texte exige que les plateformes de paiement soient exploitées exclusivement par les banques de la place ou Algérie Poste et connectées aux terminaux de paiement via le réseau d’Algérie Télécom.
Dans le volet sécurité, il est exigé des webmarchands de connecter leurs sites web à une plateforme de paiement électronique sécurisée « par un système de certification électronique ». En outre, les plateformes de paiement électroniques sont soumises « au contrôle de la Banque d’Algérie pour garantir qu’elles répondent aux exigences de confidentialités, d’intégrité, d’authentification et de sécurité d’échanges de données ».
Par ailleurs, la loi encadre d’une manière très stricte les transactions commerciales transfrontalières. Selon l’article7, la vente par voie de communications électroniques d’un bien et/ou d’un service par un e-fournisseur résident à un e-consommateur établi dans un pays étranger est dispensée des formalités de contrôle du commerce extérieur et des changes, lorsque sa valeur n’excède pas l’équivalent en dinars de la limite fixée par la législation en vigueur. Toutefois, le produit de cette vente doit, après son paiement, être porté sur le compte du e-fournisseur domicilié en Algérie auprès d’une banque agréée par la Banque d’Algérie, ou auprès d’Algérie Poste ».
Pour l’achat par voie électronique d’un bien et/ou d’un service numérique à partir de l’Algérie par un e-consommateur auprès d’un webmarchand établi dans un pays étranger « et destiné exclusivement à un usage personnel », il est aussi « dispensé des formalités du commerce extérieur et des changes lorsque sa valeur n’excède pas l’équivalent en dinars de la limite fixée par la législation et la réglementation en vigueur ». Mais, la couverture du paiement par voie électronique au titre de cet achat, doit être « assuré à partir du compte devise ‘’personne physique’’ du e-consommateur domicilié en Algérie ».