La recherche de fonds est, incontestablement, l’un des premiers défis auquel font face les porteurs de projets innovants. Le financement est un besoin perpétuel dans la vie d’une startup. Il est d’autant plus crucial dans la phase d’amorçage et celle dite « early stage ».
De par son statut d’entreprise innovante et son business model qui propose un service ou une activité en rupture avec le marché, la startup se trouve exclue du financement bancaire, étant considérée comme une entreprise à très haut risque.
Dans la phase de création, après l’autofinancement, les porteurs de projet recourent souvent à la « love money », en sollicitant les personnes de leur cercle proche. C’est le cas de la plupart des startupeurs qui se sont lancés dans l’aventure entrepreneuriale.
« Depuis la première idée de fonder la startup Freehali.com, nous avons été indépendants dans le financement de notre activité. On pense qu’on aurait pu avancer beaucoup plus rapidement avec un fonds. Cela nous aurait permis de recruter plus de personnel, diversifier nos activités et développer plus de solutions, mais aussi toucher plus de monde avec un bon budget Marketing », témoigne Walid Benblidia, co-fondateur de Freehali, une plateforme dédiée à la freelance.
Le fonds destiné à l’accompagnement des startups est encore un projet. La Loi n° 17-02 du 10 janvier 2017 portant loi d’orientation sur le développement de la petite et moyenne entreprise (PME) prévoit pourtant de créer auprès du ministère Chargé de la PME, des fonds de garantie des crédits et des fonds d’amorçage, « afin de garantir les crédits aux PME et de promouvoir les startups dans des projets innovants ».
L’énigme FAUDTIC
Sa mise en place est en attente de textes d’application qui tardent à venir. Il faut relever toutefois qu’il existe depuis près de 10 ans un fonds destiné à financer les jeunes startups, mais qui demeure peu connu du grand public. Il s’agit du Fonds d'Appropriation des Usages et du Développement des Technologies de l'Information et de la Communication (FAUDTIC).
Institué en 2008 dans le cadre du financement des actions de mise en œuvre du programme stratégique Algérie électronique (e-Algérie), le FAUDTIC est un fonds destiné à accorder un financement total ou partiel aux projets initiés par toute personne morale de droit public ou privé, de nature à promouvoir les usages et le développement des TIC.
Depuis 2018, le compte d’affectation spéciale n° 302-128 auquel est rattaché le FAUDTIC connait de nouvelles modalités de fonctionnement. Un nouveau amendement proposé dans la loi de finances 2018 accorde aux bénéficiaires un nouveau mécanisme pour concrétiser leurs projets et son exécution financière, dans le cadre de conventions avec le ministère de la Poste, des Télécommunications, des Technologies et du Numérique (MPTTN). Mais cet amendement est surtout orienté vers organismes et entreprises publics, selon l’exposé des motifs.
Avec une dotation initiale de 5 milliards de DA, le FAUDTIC est passé à 10,2 milliards de DA au 31 décembre 2015, selon la loi portant règlement budgétaire pour l'exercice 2015. Mieux encore, il sera renfloué davantage avec les nouvelles taxes sur les recharges téléphoniques et le chiffres d’affaires des opérateurs de téléphonie mobile, instaurées dans la loi de finances 2018.
Ainsi, bien qu’il soit bien doté, il n’a financé que des projets portés par des institutions publiques comme le Ministère de l’Education Nationale et l’administration des Douanes. Aucun bilan sur le financement des startups n’a été rendu public. « La gestion administrative et bureaucratique de ce fonds n’est pas faite pour encourager les startups à solliciter ses ressources. Je connais des porteurs de projet qui ont déposé des dossiers en ligne. Aucune suite n’a été donnée à ces dossiers », témoigne Salah Slimani, gérant de la startup Access Medias, éditrice de Ecostat-Algeria, la première plateforme web dédiée à l’information statistique en Algérie.
D’autres solutions et ressources existent en Algérie pour accompagner les entrepreneurs. Mais elles sont diluées dans des dispositifs d’aides à l’entreprenariat des jeunes, ne respectant pas les spécificités des startups.
C’est le cas des dispositifs ANSEJ (Agence Nationale de Soutien à l’Emploi des Jeunes) et CNAC (pour les 35-50 ans) mis en place par les pouvoirs publics pour le soutien et l’accompagnement des jeunes chômeurs porteurs de projet de création d’entreprises. Ces dispositifs offrent une aide financière directe sous forme de prêt non rémunéré et/ou à taux d'intérêt bancaire bonifié.
L’ANSEJ malgré tout !
Beaucoup de porteurs de projets ont eu recours à ces dispositifs, notamment ANSEJ. Il existe même des champions, issus de ce dispositif, comme la startup Emploitic. Mais ces aides sont considérées comme « insuffisamment conçues » pour les startups.
« En 2011 nous avons bénéficié de l’aide de l’ANSEJ pour l’acquisition des équipements. Ça nous a vraiment été très utile. Mais nous aurions préféré avoir un financement pour l’acquisition d’un patrimoine immatériel comme les logiciels et les licences », explique Mourad Mechta, fondateur de la startup Guiddini E-Commerce.
Les délais, jugés trop longs pour les startups, de la procédure d’octroi de cette aide sont également pointés du doigt. « On pense que si on avait cherché des financements, on aurait perdu beaucoup de temps à essayer de convaincre sur la pertinence de notre projet. Donc, on a préféré investir dans notre projet avec nos propres économies […] D’ailleurs, généralement, les financements sont difficiles à avoir et ça prend du temps et quand on exerce dans le web et l’innovation, le temps se compte à la minute », affirme Karim Ibachirene, co-fondateur de PharmNet.com, une plateforme numérique et une encyclopédie des médicaments commercialisés en Algérie. « En autofinancement, nous essayons de faire croître les revenus générés par notre startup rapidement pour couvrir nos charges. Néanmoins le point d’équilibre dans notre type de business arrive tardivement, c’est d’ailleurs l’une des principales raisons d’échec des startups », renchérit Karim Sidi Said, fondateur de la startup Nkheyar qui a récemment lancé un comparateur de banques.
L’ANSEJ ce n’est pas que l’aide financière, il y a aussi les avantages fiscaux, ce qui en soi une forme de financement. Vu la longueur de la procédure, certains porteurs de projets « ne font appel à l’ANSEJ que pour bénéficier des exonérations fiscales dans la phase de développement de la startup », explique Salah Slimani.
Des experts et des acteurs de l’économie numérique ne cessent de réclamer la mise en place d’un cadre juridico-fiscal spécifique aux startups technologiques et la création d’une antenne ANSEJ dédiée aux startups. En vain.
Le marché PME de la Bourse d’Alger
Mais si l’ANSEJ ne s’est pas adaptée, la Bourse d’Alger semble prendre conscience de l’utilité de se tourner vers les startups, en s’ouvrant aux PME. Le marché PME de la Bourse d’Alger, créé en 2012, peut offrir aux startups une alternative pour accéder aux capitaux. L’entrée sur ce marché est réservée à toutes les PME dont les startups qui ont un projet de développement, d’innovation, une position commerciale et un équilibre financier.
Dans le chapitre des soutiens publics, il y a aussi l’offre de l’ANPT (Agence Nationale de Promotion et de Développement des Parcs Technologiques) qui est surtout versée dans l’accompagnement, à travers ses incubateurs. En plus des espaces équipés de commodités nécessaires à l’épanouissement des startups, les incubateurs gérés par l’ANPT offrent un coaching technique et financier pour maturer les projets ainsi qu’un réseautage avec les entreprises de l’écosystème ANPT.
L’ANPT veut aller au-delà de cette offre, projetant la création d’un fonds d’amorçage pour soutenir les jeunes entrepreneurs, selon le Directeur de cet établissement, Abdelhakim Bensaoula.
Des incubateurs privés commencent à se généraliser. Les opérateurs de téléphonie mobile en sont les précurseurs dans ce domaine, suivant une stratégie de création d’un contenu digital local. Leurs incubateurs offrent toutes les conditions pour que les startups puissent atteindre une certaine viabilité économique.
L’apport du privé
Un signe que le privé s’intéresse de plus en plus aux startups. D’ailleurs, s’agissant des financements privés, le concept Business Angels (investisseurs providentiels) a fait ses premiers pas en Algérie, à travers le réseau Casbah Business Angels qui s’est constitué en 2012. Les Business Angels investissent personnellement dans des projets innovants auxquels ils croient profondément, tout en apportant leur savoir-faire et leurs réseaux.
De grandes entreprises aussi commencent à s’intéresser aux startups. La compagnie d’assurance Macir Vie a annoncé il y a quelques mois son intention d’entrer dans le capital de quatre startups algériennes activant dans différents domaines (Nkheyar, Mamps Bros, Turing Innovation Technology, LCS). « Nous en sommes encore au niveau des évaluations et des audits […] nous sommes sur une bonne voie », nous confirme Hakim Soufi PDG de la Compagnie Internationale d’Assurance et de Réassurance (CIAR), la maison-mère de Macir Vie.
D’autres entreprises essayent de mettre un pied dans l’environnement startups algérien. A en croire, Mme Amina Yadi, gérante de l’espace Coworking CapCowork, de grandes entreprises algériennes veulent investir dans les startups à fort potentiel de développement. « De grandes entreprises et des banques privées commencent à s’intéresser à l’investissement en capital-risque dans les startups algériennes. Nous comptons mettre sur pied un incubateur privé qui apportera, en plus de l’accompagnement, les financements nécessaires aux startups à travers des prises de participation au capital », nous a-t-elle fait savoir.
L’investissement en capital-risque est quasi inexistant en Algérie, bien qu’officiellement, six sociétés de capital-risque sont opérationnelles ou en cours de création, toutes des filiales de banques publiques, selon le ministère des Finances. Les startups algériennes peuvent toutefois prétendre à un financement de fonds régionaux comme celui de société de capital-investissement Africinvest. Cette dernière a récemment lancé le fonds d’investissement Maghreb Private Equity Fund IV.
En 2017, 560 millions de dollars ont été investis en capital-risque dans 124 startups technologiques africaines, en progression de 53 % en un an, selon les chiffres d’une enquête annuelle réalisée par le fonds de capital-risque Partech Africa. 63% des volumes sont investis dans 3 pays : Afrique du Sud, Nigeria et Kenya. 3,9 millions ont été investis au Maroc, 1,5 millions en Tunisie. Aucun investissement pour l’Algérie. Il est temps pour nos startups d’aller chercher ces fonds. Surtout que le talent ne manque pas. La consécration du talent algérien dans différents concours internationaux de startups le prouve bien. D’ailleurs, les concours sont aussi une source de financement. Il faut donc garder un œil sur les appels à projets.