Les vieilles femmes fréquentent de plus en plus ce service. Grâce à la webcam, elles discutent avec leurs progénitures émigrées dans les lointaines contrées.
L’Internet, un service venu rompre le morne quotidien des jeunes, s’est, en quelques années, imposé comme un besoin primordial. Même si les catégories avancées dans l’âge demeurent encore éloignées, il n’en demeure pas moins que les jeunes se ruent en masse sur les quelques cybercafés existant à travers la wilaya de Tizi Ouzou. En l’espace d’une petite décennie, «l’analphabétisme numérique» a été vaincu parmi cette frange. Ainsi, l’Internet se propage à une vitesse fulgurante parmi les jeunes. Sauf que cet engouement se heurte à une réalité qui contrarie dramatiquement l’espoir de les voir se hisser au niveau d’utilisation des pays en voie de développement comme la Tunisie. En effet, malgré cette avidité, les jeunes vivent une frustration énorme de par le grand déficit en cybercafés.
Les cybercafés ne désemplissent pas
«Dans les cybercafés, il y a plus de chaises pour attendre son tour que de micro-ordinateurs», ironise Samir, un jeune étudiant qui attendait son tour. L’affirmation exprime, sans ambiguïté, le manque flagrant de cybercafés. En effet, en ville comme à travers les communes, les jeunes se plaignent énormément des longues attentes pour voir son tour de se connecter arriver. Karim, un propriétaire de ce service, dans la ville de Tizi Ouzou, reconnaît cette frustration, en relativisant. «C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de cybers mais, il faut aussi reconnaître que la demande est énorme» constate-t-il.
Un tour à travers la ville de Tizi Ouzou et plusieurs communes de la wilaya renseigne effectivement sur le manque en cybercafés. Tous possèdent, en effet, une salle d’attente munie de dizaines de chaises. «Il y a beaucoup de jeunes qui viennent alors, on leur offre des commodités pour les mettre à l’aise pendant cette attente. Si tout le monde venait uniquement pour consulter du courrier, il n’y aurait pas autant d’attente mais beaucoup viennent pour chatter alors, imaginez combien de temps peut passer un jeune en discussion ave une Anglaise ou une Française», affirmait Mohammed, un autre «commerçant de l’Internet» à Boudjima. Par ailleurs, l’engouement pour ce service des temps modernes a poussé les propriétaires à prolonger les horaires d’ouverture jusqu’à des heures très tardives de la nuit. «Après le dîner, je préfère passer quelques heures à chatter avec des filles étrangères. Il y a aussi le problème du décalage horaire. Pour discuter avec une habitante des Amériques, il faut veiller tard la nuit», nous confie Saïd. Afin de doter les familles d’un outil informatique et d’une connexion Internet, l’Etat avait préconisé la formule «Ousratik». Mais, hélas, après des années, les jeunes, essentiellement, ont fini par déchanter. Ils ont compris les limites de sa réalisation. «Comment voulez-vous avoir une connexion chez soi alors qu’on n’a pas le téléphone à la maison?», s’interroge un jeune.
La formule «Ousratik», une chimère
En effet, l’Internet nécessitant une ligne téléphonique fixe, ne peut être à la portée de tout le monde. Jusqu’à aujourd’hui, la majorité des communes situées dans les zones rurales n’ont pas de téléphone. Seuls les chefs-lieux sont raccordés pour permettre certains services dans les administrations. C’est la raison pour laquelle, pareille formule ne peut être réalisable. Les seuls services par satellite ne peuvent permettre l’émergence de nombreux cybercafés. Alors, les jeunes se sont rabattus sur les connexions Internet via les opérateurs de téléphonie mobile. Mais, encore une fois, l’engouement se retrouve face à une autre entrave. Ces derniers débordent et n’arrivent plus à satisfaire une demande toujours croissante. «Je préfère attendre des jours que de faire la chaîne quotidiennement dans les cybercafés», affirmait une jeune fille abordée devant l’agence de wilaya d’un opérateur de téléphonie mobile à Tizi Ouzou. Tant bien que mal, beaucoup de familles ont pu réaliser le rêve d’avoir une connexion Internet à la maison. Toutefois, l’accès à ce service n’a pas freiné la ruée vers les cybercafés en ville comme à la campagne. A Tizi Ouzou, les lieux sont toujours pleins à craquer. «Tous les cybers sont occupés car les gens viennent des villages pour se connecter en ville», affirmait une jeune propriétaire. Questionné, Hamid, un jeune venu justement de son village, confirme ces propos. «Dans ma commune, il n’y a que deux cybers pour plus de quinze mille jeunes», répondait-il.
Notons également que parmi les freins qui entravent l’engouement pour l’Internet, il y a le manque d’utilisation par les différentes institutions de l’Etat. Le monde économique de son côté, n’est qu’à ses premiers pas dans l’emploi de ce service. «J’utilise l’Internet pour chercher les procédures d’inscription dans les universités européennes», déclare Kamel, fraîchement sorti de l’université de Tizi Ouzou. «Quelquefois, il m’arrive de télécharger des cours et leçons de ma spécialité. Pour le reste du temps, je chatte», poursuit-il. «Que voulez-vous qu’on fasse d’autre?», nous interroge à son tour Kamel. «Ailleurs, les gens se sont créés des métiers et des emplois avec l’Internet. Le e-commerce, par exemple, n’est pas à notre portée. Que pouvez-vous vendre ici par Internet?», continue-t-il. En effet, tous les jeunes espèrent trouver des débouchés dans ces créneaux. Sur ce plan, les pouvoirs publics ont beaucoup à faire. L’Algérie accuse un énorme retard par rapport aux pays voisins. Alors que dire de l’écart qui nous sépare des pays développés!
Les vieilles femmes dans les cybercafés, une mode en vogue
Enfin, dans ces files d’attente, un phénomène vient s’intégrer. Les vieilles femmes fréquentent de plus en plus ce service. En fait, leur présence devant le micro ne signifie point qu’elles maîtrisent l’outil informatique. Pour leur majorité, elles sont analphabètes. Elles sont toutes accompagnées d’une jeune fille ou d’un jeune garçon.
«C’est un don du ciel, cette machine. Je parle avec mon fils qui est au Canada!», dit une vieille femme, l’air aussi ravi qu’étonné. En effet, ces femmes découvrent petit à petit, ce service venu comme une providence pour leur permettre de voir de visu leur progéniture émigrée dans les lointaines contrées. Après les colombes et les lettres, l’ère est au Webcam. Les temps ont changé mais pas les hommes ou bien est-ce le contraire?
Source: L'Expression