Après avoir été présentés comme des espaces d’ouverture vers le monde à travers le Web, les cybercafés en Algérie sont sur le chemin du déclin. Un constat unanime fait par les internautes et les propriétaires de cybers. Comment en est-on arrivé là ? Y a-t-il une volonté d’organiser ce secteur ou de s’en débarrasser ? Décryptage.
Les cybercafés ont vu le jour pour palier au manque de PC et la cherté de l’accès à Internet. C’était en 1997 où le PC coûtait presque 100 000 DA, ce qui était loin des possibilités des entreprises et des familles. Il fallait trouver une solution pour permettre aux citoyens de découvrir cette toile riche en informations. En septembre 1997 a été créé le premier cybercafé en Algérie, à Alger Centre plus précisément. Une année après, en septembre 1998, un deuxième cybercafé a vu le jour à Hydra. Le nombre a augmenté d’une manière vertigineuse pour atteindre 5 000 cybercafés depuis 2007, selon un document du Ceneap. Le même document précise que « les propriétaires de cybercafés maintiennent leur activité en attendant l’annonce d’offres intéressantes d’Algérie Télécom ».
Un déploiement très faible de l’ADSL
Les gérants des cybercafés étaient confrontés à l’époque à des problèmes de deux types: des problèmes communs à ceux rencontrés par les chefs d’entreprises (financement, ANSEJ, recrutement, rentabilité) et d’autres spécifiques à leur activité liés à la connexion Internet qui est chère, instable et avec des coupures fréquentes et un support défaillant de l’ISP unique (Algérie Télécom). Des tentatives de regroupement en association ont eu lieu afin de défendre les intérêts communs mais sans succès. Des appréhensions quant à l’avenir des cybercafés sont apparus avec l’intention de l’Etat de généraliser l’accès à l’ADSL et l’acquisition de PC par les foyers à travers le projet «Ousratic » mais ceci n’a pas affecté en réalité leur activité. Les raisons ? Un déploiement très faible de l’ADSL et l’ échec du projet « Ousratic » qui n’a pas eu le succès escompté. La raison est à chercher du côté des banques qui n'ont pas suivi malgré les assurances du MPTIC. Ces dernières observent toujours des règles prudentielles draconiennes. Les porteurs de projets des TIC sont le plus souvent exclus du système bancaire.
« Des établissements de divertissement et de spectacles »
Face à la prolifération de ces espaces publics, les autorités ont tenté de maîtriser ce phénomène. Officiellement, l’objectif est de savoir avec exactitude leur nombre mais surtout d’avoir un oeil sur ce qui se fait à l’intérieur. Des rumeurs de plus en plus persistantes faisaient état que des jeunes ont été recrutés par des groupes terroristes et que ces lieux sont exploités comme lieux de débauches pour détourner les mineurs. Ainsi, il a été demandé aux gérants de procéder à la déclaration de leur activité. Tout nouveau cybercafé devait disposer de cette déclaration d’existence. « Le ministère de l’Intérieur, en considérant les cybercafés comme espace public au même titre que les salles des fêtes par exemple, a exigé des gérants de régulariser leurs situations en présentant un dossier assez contraignant: certificat de conformité du lieu, hygiène, sécurité, etc », déclare Younes Grar, spécialiste et conseiller en TIC. Visiblement, l’Etat a décidé de resserrer l’étau. Il est impératif selon la loi de fournir 10 copies pour un dossier administratif et technique qui recommande le certificat de conformité de la construction, des plans de situation du futur cybercafé par rapport au voisinage.
Ainsi, les cybercafés sont relégués au regard du législateur algérien à « des établissements de divertissements et de spectacles » ! Cette perception, erronée selon plusieurs analystes, a engendré une situation qui n’encourage pas vraiment la création de ces espaces.
Comment est défini un cybercafé ?
Jetons un coup d’oeil à la loi. Le décret exécutif n° 05-207 du 4 juin 2005 nous fournit la réponse. Le cybercafé est « un espace public qui met à la disposition des usagers des moyens de communication et d'information permettant d'accéder au réseau internet, à l'effet d'entrer en relation avec des tiers pour des raisons personnelles et/ou professionnelles. Il peut offrir des prestations d'initiation à l'internet et à la messagerie électronique. Il peut être servi au bénéfice exclusif des clients des boissons non alcoolisées et ce, conformément à la réglementation en vigueur ». Mais trop de règlements, de textes de lois et une bureaucratie étouffante, tout cela met autant de barrières à la création de cybercafés dans notre pays. Les cybercafés ne sont pas considérés comme des lieux où les jeunes peuvent apprendre à communiquer, à résoudre leurs problèmes, à trouver du travail, s’éduquer et à se cultiver. En axant seulement sur les dangers qui peuvent survenir des cybercafés (pornographie, extrémisme religieux, désinformation), les autorités semblent faire fausse route. Certes, il faut sécuriser la Toile et lutter contre le piratage informatique mais en restant juste sur la logique sécuritaire, on isole un pan de notre jeunesse des bienfaits de « la société de l’information ».
Les cybercafés ont un rôle moteur dans la politique d’appropriation des TIC par la population et d’inclusion numérique, et de développement des services de proximité. Ils ont pour mission de faciliter l’accès à l’information, de permettre aux populations dans les zones enclavées de rompre l’isolement et de créer des synergies, de permettre la recherche de l’information, de faire de l’alphabétisation numérique et d’offrir un large choix de services à valeur ajoutée par un transfert de savoir faire, en capitalisant les expériences menées ailleurs, par l’incubation et la promotion des initiatives arrêtées dans les dispositifs d’aide à la création de l’emploi (CNAC,ANSEJ,ANGEM). Ils fonctionneront en synergie pour devenir un projet de solidarité numérique. Ces lieux d’accès devront être considérés comme des foyers où le lien social et la solidarité pourront être tissés. Les cybercafés peuvent être un moyen de s’adresser à la jeunesse pour les impliquer dans la vie politique, culturelle et scientifique en temps réel et avec une écoute permanente.
Dans ce contexte, les cybercafés peuvent avoir une influence positive sur les relations entre l’administration et les administrés et sur les politiques de mobilisation et de sensibilisation sociale. Ils peuvent en outre permettre de rendre accessibles en tout lieu et en tout temps les informations publiques comme les formulaires et les guides administratifs, l’organisation et les programmes d’activités des départements ministériels et de mettre en place des procédures online pour permettre une meilleure transparence de l’administration, la suppression des interminables déplacements et attentes dans les services administratifs et de meilleurs rapports avec les administrés. Le ministère de l’intérieur veut sensibiliser par exemple les citoyens à aller voter aux législatives en mai 2012. Or, il n’y a pas meilleur moyen qu’Internet et les cybercafés.
En somme, un moyen pour l’amélioration du débat politique et des processus électoraux. Il faut savoir que la wilaya d’Alger a fermé plusieurs cybercafés et a contribué ainsi indirectement à la suppression de dizaines d’emplois.
N'TIC 62 / Kamel RAHMOUNI