Après plusieurs années passées dans les plus grands hubs technologiques du monde, notamment la Sillicon Valley où il a mis sur pied plusieurs start-ups technologiques, Riad Hartani est revenu en Algérie où il apporte son expérience et expertise sur des projets numériques notamment « Alger Smart City ». Il nous livre dans cet entretien sa vision du start-upping en Algérie.
NTIC : M. Hartani, Vous êtes aujourd’hui connu comme un pilier dans le secteur du startuping grâce à vos nombreuses success stories. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
R.H : Après avoir fini mes études à l’Ecole Polytechnique d’Alger, j’étais parti principalement vers un doctorat au début, mes recherches était entre trois pays, Etats unis, France et Japon sous la thématique d’intelligence artificielle. Après avoir décroché mon doctorat, je me suis focalisé sur des post-doctorats au niveau recherche appliqué à l’université de Berkeley en Californie et au Japon aussi. Très vite après, l’envie de faire des startups en technologie m’avait prise. Je me suis alors installé en Silicon Valley il y’a de cela 20ans. Et j’ai commencé à faire des startups en technologie, avec le processus classique de l’idée, la mise en place de l’équipe, la levée de fond, le prototypage, la compétition avec tout le monde… J’en ai fait environ 5, tous sur des sujets de technologie avancée, très risqués, très en compétition. Certaines n’ont pas réussies, d’autres ont très bien réussie. C’était le modèle classique de la Silicon Valley. Les 15 ans qui ont suivis ont était très intenses dans l’ingénierie notamment en Asie : Japon, Hongkong, Singapour, Chine… afin de développer les produits, développer les marchés… En 2013, je faisais encore ça, en m’impliquant plus avec des équipes qui font des startups que les faires moi-même, et j’ai mis en place d’autres initiatives en rapport avec le développement de technologies novatrices dans d’autres dimensions, en faisant des petites startups dans des grosses boites afin de résoudre des problématiques stratégiques (internet, cloud…). J’opère aussi dans un autre modèle d’accélération, incubation, capital risque dans tout ce qui est technologie finance (Blockchain…) à travers mes hubs de présence situés principalement à San Francisco, Vancouver, Hongkong.
En parallèle, depuis 2014, j’ai commencé à passer plus de temps sur Alger, pour comprendre comment ces technologies développées un peu partout peuvent être appliqués où adapter dans les entreprises algériennes. La première chose à faire était de répertorier tout ce qui est recherche académique, industriel… à travers des séminaires et workshops pour discuter d’un peu de tout ça. Et au fur et à mesure l’idée principale que j’avais était de comment reprendre l’expérience de création de startups et d’écosystèmes technologique. Ça m’a amené à beaucoup travailler et interagir avec les incubateurs, accélérateurs et centres de recherches R&D pour développer des modèles de création de startups. Aussi, des projets fédérateurs comme le projet smart city d’Alger… A vrai dire, ça reste très centré sur le développement de technologies novatrices et création de valeurs autour de ces technologies-là dans des écosystèmes qui était très développé à ce niveau-là comme en Silicon Valley mais aussi prendre l’expertise d’autres villes et pays autour du monde et les appliquer à Alger.
NTIC : Pensez-vous qu’en Algérie, le pont entre l’académie et l’industrie doit être consolider pour arriver à une maturité dans le secteur ?
R.H : Bien qu’on le ressente fortement, ce n’est pas un problème spécifique à l’Algérie. C’est quelque chose de commun à grand nombre de pays. La question est plus pourquoi qu’autre chose. Si on réfléchit à ce problème-là. On voit que les choses ont changé, il y a une vingtaine d’année. Avant ça, il y avait une liaison très directe entre les centres de recherche de développement technologiques et l’industrie qui travaillaient de manière très étroite avec un budget qui ciblé l’innovation. L’évolution rapide d’internet a changé plus ou moins les choses principalement sur deux points : la première est le fait que la technologie c’est démocratisé, et beaucoup de gens peuvent maintenant faire des choses assez incroyables indépendamment de ce qui se fait en R&D. Le deuxième point est que du moment où ça avancé très vite, une grande partie est passé dans les centres industriels orientés produit fini. Et à un certain moment, il y a eu un décalage assez visible mais les deux sont restés très importants. L’un très stratégique avec une vision à long terme, le reste a été plutôt pour la consommation industrielle. Dans les pays qui suivent d’un point de vu technologique, il y a beaucoup de travail à faire pour adapter les modèles et cibler ce que l’on veut faire avec les laboratoires de recherche et de développement qui sont synergétique avec le développement technologique.
NTIC : Autant que précurseur dans le domaine technologique en Algérie, quel est votre ressenti par rapport à l’Algérie d’il y a 20ans ?
R.H : Précurseur je ne sais pas, mais je peux donner mon avis sur la chose. Je pense que la meilleure façon de voir les choses c’est par rapport à une réalité. Quand j’étais à Alger, je finissais tout juste mon école d’ingénieur en Polytechnique, l’accès à la technologie et l’ingénierie était assez loin il faut l’avouer. En plus la technologie était présente dans quelques régions du monde seulement. 20, 25ans après, j’ai l’occasion de travailler sur différents projets en Algérie, notamment la smart city avec une vingtaine d’ingénieurs et si l’on voit les technologies utilisées, la plupart sont accessible en open source. Je dirais même plus, nous avons accès en temps réel aux personnes qui développent ces technologies si on le désire. Ça nous a permit d’avancer très vite en 4 mois, chose impossible il y a 20ans. Autre phénomène qui est encore plus important et qui se passe maintenant, c’est le fait qu’il y a une concentration de technologie dans les groupes industriels qui viennent avec des technologies destructives pour ouvrir de nouveau marchés. De ce fait, ils les rendent accessibles à tout le monde et c’est quelque chose d’unique qui se passe en ce moment à mon avis.
NTIC : Concernant les jeunes startups, Quels sont les barrières d’après vous, qui les empêchent de devenir les prochains Google ou Amazon ?
R.H : A vrai dire, il y a deux niveaux, « startup réussir » et « startup devenir Google ». J’opère sur une trentaine de pays dans ce sens. Au fond, une startup réussie si elle règle un problème réel d’un client potentiel réel et en général ça veut dire soit tu as du revenu réel qui rentre à partir de ces clients-là, soit avec un financement intermédiaire ou alternatif pour la faire évoluer. En Algérie, il ne faudra pas trop compter dessus immédiatement avec tout ce qui est sophistication, modèle de Angels, Super Angels… C’est des choses qui vont venir, mais c’est des choses qui prennent du temps. Car dans une startup technologique, il y a l’aspect technique, l’aspect finance, l’aspect légal… Je pense qu’en Algérie, il faudra se basé sur l’idée de comment arriver au client le plus vite possible. Si on veut les aider, il faudra les aider à arriver au client tout simplement, puis la loi de la nature n’engardera que les meilleurs. En résumé, pour réussir, une startup doit avoir un lien direct avec la technologie globale à travers le monde mais aussi arriver au client le plus vite possible.
NTIC : Dans la création de startup, vous conseillez les jeunes de plutôt « Plonger dans le bain et espérer que ça marchera » ou bien « Temporiser et prendre le temps de bien étudier les choses » ?
R.H : Il faut se dire qu’en général, les startups qui réussissent autour du monde c’est des gens qui ont beaucoup travaillé ailleurs, puis ont lancé leurs propres boites. Le domaine des startups est un domaine de gestion de risque, et par définition, plus le risque est élevé, moins les chances de réussir le sont, et plus les chances de réussir à grande échelle le sont aussi. La conclusion de tout ça et que les startups, ce n’est pas pour tout le monde. C’est quelque chose, pour les gens qui ont la notion de prise de risque. En Silicon Valley par exemple, peu de startups prennent des risques par rapport au reste. On trouvera un maximum de 5% de gens qui font des startups, le reste travaillent dans des grosses boites. Il faut aussi être prêt pour les conséquences de cette prise de risque et ce n’est pas du tout évident. Autre point à soulever est la faisabilité de la chose. Plusieurs conditions doivent être en place pour qu’une startup réussisse. Je pense que je ne conseillerais pas aux personnes de se lancer sans comprendre ce que ça veut dire, je ne dis pas qu’il faut maitriser le tout, mais avoir une vision macroscopique de la chose. Et c’est là où il faudrait faire attention à ne pas faire des startups à outrance ou dire startup c’est le but. Une startup n’est qu’un moyen pour arriver à autre chose. Avoir une politique de lancer des startups sans aucune vision fait plus de mal que de bien.
NTIC : Quel conseil pouvez-vous donner aux gens startupers qui ne font pas confiance aux mentors de peur de se faire voler leurs idées ?
R.H : Je viens d’une époque où la notion de tout le monde fait des startups et tout le monde à des mentors n’existait pas. Cet aspect de mentors mécanisé d’un incubateur avec 30 mentors, pour moi, ce n’est pas très naturel. Je dis pas que ce n’est pas bien, mais quand on crée une startup, on ne dit pas qu’on l’a fait parce qu’un mentor m’a aidé. En général, les mentors viennent et partent avec une volonté d’aider, et en général, ils viennent parce qu’il y a la confiance déjà. Ce monde des startups est tellement difficile et tout est aligné contre toi, qu’à un moment, il faut mettre le plus de chance de son côté. Donc si le mentor peut m’aider à avancer plus vite et de manière efficace. Au dela de la question de confiance qui ne devrait même pas se poser car ils ne le font pas du tout pour eux, travailler avec tel ou tel mentor doit se faire avant tout au feeling, c’est un art et non pas une science exacte. Pour ma part, je travaille avec une centaine de startups à travers le monde, et ma seule volonté est de les voir réussir. Par la suite ça sera plus une succession de décision qui seront plus feeling (Tel ou tel client, tel ou tel collaborateur, tel ou tel employé…) qui sont difficile parfois à rationnaliser vu de dehors, il est impératif de prendre les bonnes décisions au bon moment.
NTIC : Après avoir fait le tour du monde et travaillé pour les plus grandes sociétés, qu’es qui vous a poussé à revenir en Algérie ?
R.H : Autant qu’ingénieur, j’ai voulu faire de l’engineering, toucher à la technologie. Au cours de mes recherches doctorales, j’ai eu la chance d’être près de personnes qui ont été très influents par rapport à moi et étroitement lié aux technologies novatrices. J’ai fait peut-être les meilleurs centres de recherche au monde, je voulais créer mes propres startups et je l’ai fait. Arrivé en Algérie, c’était beaucoup plus une histoire de comprendre comment faire les choses en adaptant tout ce que j’ai appris dans mon pays. D’autre part, aujourd’hui la notion de partir, revenir n’a aucun sens, je suis basé principalement en Amérique du nord, mais je travaille aussi beaucoup sur Alger, en gros, là où l’on n’est n’a pas beaucoup de sens tant qu’on travaille à améliorer les choses. Pour être honnête avec vous, je gère tous mes projets et mes équipes à partir d’Alger, le plus important c’est d’avoir le lien avec les personnes, car la technologie aujourd’hui c’est des personnes, et ces personnes bougent… c’est ça ce qui est bien avec internet. En gros revenir en Algérie était beaucoup plus un devoir pour moi.
NTIC : Certains experts déclarent que le modèle de la Silicon Valley est spécifique à cette dernière, et qu’il est impossible de recréer ceci en Algérie ou ailleurs dans le monde. Rejoignez-vous ce raisonnement ?
R.H : J’ai passé beaucoup de temps là-bas, et je peux dire que le monde entier voit la Silicon Valley comme le modèle idéal et en fait, tout le monde part de l’optique de prendre ce modèle et essaye de l’adapter chez lui. La question est comment ? c’est clair qu’aujourd’hui en termes de technologie, il y a la Silicon Valley puis le reste du monde, mais ça, ça a pris 40ans à se faire. Mais ça ne veut pas dire que d’autres villes du monde n’ont pas réussi à avoir leurs propres modèles de développement technologique par rapport à leurs propre contraintes, objectifs… Donc faire une autre Silicon Valley quelque part ailleurs ? pour le moment je dirais que c’est impossible. Prendre la Silicon Valley et en faire une à Alger ? clairement non. Apprendre de la Silicon Valley et l’adapter à Alger ? oui sans hésiter, mais il ne faut pas la prendre comme modèle car c’est très lié à la géographie, l’histoire de la région, la culture des personnes…
NTIC : Es que les institutions publics ou privés font appel à vous pour des projets ?
R.H : Vous savez, je n’aime pas trop la notion de faire appel à quelqu’un pour faire quelque chose. Je vois des choses, j’essaye de contribuer à ma manière pour évoluer. Il ne faut rentrer dans une optique, où l’on a des personnes ou des institutions qui font appel, puis faire les choses.
NTIC : Pour conclure, un conseil à donner aux startuppers ?
R.H : Créer une startup c’est comme plonger dans une piscine, on ne sait pas si l’eau est chaude ou froide, ou tout simplement es qu’il y a de l’eau ? c’est une aventure. Il ne faut pas le faire juste pour le faire, mais le faire car c’est très intéressant. Il faut arriver à un point où quelque soit la situation, ça se fera, car derrière, il y’a une envie de le faire et après tout faire pour réussir car ça demande beaucoup d’efforts et de sacrifices. Il faut aligner les choses et juger c’est quoi les choses qui peuvent aider à réussir, c’est les personnes ? l’environnement ?... Mais très vite, il faut sortir du mode de le faire parce qu’on le fait.