Quand pour les routards du pad, le média vidéoludique a depuis l’ère 8 bits fait son coming-out artistique, une horde de nez pincés en œillères méconnait littéralement les œuvres et éructe ses anathèmes pré-formatés en direction de qui veut l’entendre. « Je ne connais pas les jeux vidéo, et je ne veux pas les connaitre» me disait-on, un roman à la main, le défi dans le blanc des yeux. « Le comte de Monte-Cristo », pouvait-on lire sur la couverture…l’histoire du vengeur le plus borné de la littérature, j’ai alors su de quel jeu nous allions avoir un aperçu ce mois-ci.
Dishonored
Par où commencer ? Dishonored fait partie de ces jeux qui nous rappellent pourquoi nous sommes gamers. Edité par Bethesda Softworks (à qui l’on doit, entre-autres, The Elder Scrolls : Skyrim) et développé par Arkane Studios, ce jeu d’aventure à la première personne pousse loin, très loin les standards du gameplay et du level design.
Prenez n’importe quelle capture d’écran, vous reconnaitrez qu’elle est issue de Dishonored au premier coup d’œil. On y évolue dans Dunwall, un univers achronique, sorte d’amalgame d’empires britanniques ; d’abord celui du XIXème siècle avec sa patte architecturale, ces faubourgs, ces habits, mais aussi sa révolution industrielle et scientifique…
Ensuite, la Grande-Bretagne du XIVème, balafrée par la peste noire qui inonde l’ile. Les relents steam-punk de Dishonored viennent essentiellement de la distorsion de la révolution industrielle ; les bobines Tesla, les machines improbables, jusqu’aux lentilles et au cuivre du masque derrière lequel Corvo, notre protagoniste malchanceux, réclamera vengeance, un plat qui au choix se mange chaud ou froid.
Le choix est en effet au cœur du jeu. Corvo, Protecteur de l’impératrice, assiste impuissant à l’assassinat et à l’enlèvement de la fille de sa protégée. Le contexte politique est instable, marqué par le complot du Régent qui prend le pouvoir et fait passer Corvo pour l’auteur du crime. On se retrouve donc au bagne, déshonoré et sans espoir…mais pas pour longtemps. Un groupe de loyalistes travaille dans la clandestinité pour entraver les plans du Régent et sauver la fille de l’impératrice, et leur plan est…de vous laisser faire tout le boulot ! On s’évade donc et on se lance dans une aventure écrite d’une plume de maître.
Quand Monte-Cristo suit son plan vengeur selon la dictée de Dumas, Corvo vous laissera en partie tempérer les évènements. Comprenez que vous pouvez jouer les assassins furtifs comme vous pouvez opter pour une approche non létale qui véhicule, elle aussi, son lot de récompenses.
La furtivité est au centre du gameplay, et bien que Corvo soit amplement équipé pour la baston pure et dure, la durée de vie du soft, le nombre d’objets, de quêtes, de révélations sur l’univers du jeu, mais aussi purement et simplement l’issue finale, feront préférer une approche subtile. Grimper sur les toits, scruter les rondes des gardes, se mettre à couvert, voler des clés, regarder par les trous des serrures, écouter aux portes, ou de façon plus exotique prendre le contrôle d’un animal ou d’un personnage humain pour dissimuler votre présence aux gardes est une partie des activités à pratiquer le long du jeu.
Ce gameplay à tendance furtive est rehaussé par des combats au corps à corps où il est malavisé de se lancer sans un minimum de précaution. L’épée à la main droite, et une arme de jet ou un pouvoir surnaturel à la main gauche, ce n’est pas en fonçant sourcils froncés qu’on ira loin dans Dishonored.
Le surnaturel fait partie de l’univers du jeu où deux cultes s’opposent ; une religion officielle que les Superviseurs maintiennent d’une main de fer, et un culte vodouisant dédié à l’Outsider, une entité qui nous apparait en rêve et nous arme jusqu’aux dents avec la possibilité de se projeter sur une courte distance, idéal pour explorer l’environnement complexe du soft, d’invoquer une nuée de rats carnivores qui décimeront littéralement vos ennemis, de projeter une bourrasque assez puissante pour projeter vos ennemis (de préférence à travers un balcon), de prendre le contrôle momentané d’une créature, de ralentir le temps, asséner des combos mortels, et j’en passe d’augmentations diverses qu’il faudra débloquer à l’aide de runes éparpillées dans l’environnement de jeu, ou venant récompenser une quête secondaire.
Dishonored n’insulte pas votre intelligence, il vous laisse incarner le personnage principal dans toutes ses réflexions sur comment infiltrer tel bâtiment, cacher tel garde inanimé hors de la vue de ses collègues, et hors de portée des rats. Les rats, dans leur conception, ont subit une distorsion aussi marquée que le reste du design du jeu. Il s’agit ici de nuées féroces et mortelles qui se nourriront des victimes que vous êtes susceptibles de faire. En réalité, Dunwall tout entier change dépendamment de vos actions, évincer les comploteurs de l’échiquier politique sans les assassiner directement (ou en tout cas sans faire passer cela pour un accident de hammam) et les gardes seront plus nombreux, le couvre feu plus dur, la peste plus féroce, et les albums de Justin Bieber plus écoutés que jamais (rien d’aussi terrible, rassurez-vous).
Ceux qui ont joué à Deus Ex reconnaîtront ces dizaines de façons d’aborder les difficultés du soft. Ceux qui ont joué à Bioshock retrouveront ce je ne sais quoi de cuivré, de référence à l’eau, de journaux vocaux, et de technologies retro futuristes. Dishonored a été fait avec amour, dans le sens où les possibilités de gameplay n’ont pas toutes été pensées par les développeurs, et c’est suite aux feed-back des joueurs eux-mêmes, pendant la période de test du jeu, que les développeurs ont optimisé certains éléments, comme le fait de pouvoir renvoyer une torpille à l’ennemi à coup de bourrasques bien synchronisées.
La palette d’actions à la disposition du joueur permet de combiner de façon originale ses différents pouvoirs pour accomplir des choses aussi jouissives que de «posséder » un garde ennemi, de se défenestrer, puis de se téléporter avant qu’il ne heurte le sol et ainsi ne pas souffrir soi-même de la chute…Corvo wins ! Fatality !
Nous ne saurons détailler tous les aspects du soft, ni les scènes acrobatiques à travers les toits, ni le système de charmes d’os qui améliore vos compétences, et encore moins celui du forgeage d’objets. Nous ne parlerons pas de comment détourner l’attention des gardes en jetant une bouteille vide, de comment piéger une zone grâce à des mines de lames, comment détourner les pièges ennemis, et bien d’autres friandises esthétiques, de références écologiques (n’oubliez pas de sauver les baleines), et j’en passe et des meilleures sur ce titre hors normes. Dishonored fait définitivement honneur aux référentiels culturels qu’il exploite, un chef d’œuvre.