Le projet Smart City est tout d’abord une thèse mise en œuvre avec des buts tactiques et stratégiques sur différents horizons de temps. Avant d’élaborer et de défendre cette thèse, actuellement en phase d’exécution avancée, il est utile de revenir d’une manière générale sur la notion de “Smart City”, concept que presque toute grande ville à travers le monde a pour projet de nos jours.
La “City", c’est aussi la “Vie de City", et donc la “Vie" tout court. La Smart City, de façon très générale, a pour but d’améliorer la qualité de vie du citoyen, en tirant profit des nouvelles technologies, notamment les technologies de l'information, qui seront l’axe central de l’économie numérique des données des prochaines décennies. Ceci est évident. Ce qui l’est moins, est "comment ?". La réponse est différente en fonction du contexte, du lieu, du moment et des buts tactiques et stratégiques à atteindre au fur et à mesure.
Ce qui est commun à toutes les démarches, pour les différentes villes du monde, est très clair à mon avis, ayant travaillé sur de nombreux projets smart city à travers le monde : le développement d’un écosystème technologique, basé sur la maîtrise et la valorisation des technologies de l’information est un prérequis indispensable, autour duquel tout le reste se met en place. Le “reste", dans ce contexte, est un éventail de sujets qui va de l’optimisation de la ville au développent d’un écosystème de startups et d’innovation, et à l’implication multidimensionnelle du citoyen. Ce sujet a été largement abordé et débattu par plusieurs centaines d’experts internationaux en juin 2018 à la Conférence Internationale d'Alger.
Le projet “Alger, Smart City” est avant tout une réponse pragmatique à une demande immédiate et réelle de l’écosystème algérien : Fédérer les différentes initiatives en technologie et innovation, ayant pour but de développer de nouvelles synergies et des solutions pour l’évolution de la ville. En réalité, c’est plus un moyen pour y arriver, qu’un but en soi. De manière générale, et de par mon expérience acquise à travers divers écosystèmes technologiques dans le monde, très peu de résultats peuvent se concrétiser en technologie, sans fédérer ce qui est fragmenté et sans développer des modèles qui permettent de connecter les acteurs technologiques, d’abord localement puis à l’échelle mondiale – En effet, les chances de réussite de tout projet sont fonction directe de ce mode de connexions.
C’est clair que ceci n’est qu’une condition essentielle mais non suffisante et que de très nombreux autres prérequis sont aussi nécessaires, avec une exécution continue et accentuée sur des dizaines d’années, pour espérer réaliser les objectifs que toute Smart City définit. C’est long et difficile, mais ainsi est le développement d’écosystèmes technologiques avancés.
Tout d’abord, il faut peut-être, et surtout, recadrer les choses dans un contexte beaucoup plus global. Il est clair que le futur sera “technologique” ou ne le sera pas et toute notion de développement économique sera étroitement associée aux concepts de maîtrise et de souveraineté technologiques. Ce qui est aussi clair est que vu de l’horizon 2030-2040, les décisions prises maintenant dicteront l'évolution des événements et il est donc primordial de bien réfléchir et définir les priorités et modèles d’exécution. Il n’y pas une solution unique et surtout pas une solution nécessairement optimale dès le début. Il y a, je le pense, un éventail de solutions, complémentaires, et qui doivent être adaptées au fur et à mesure en fonction des éléments d’action et des dépendances. Le but est donc en général, de choisir une ou plusieurs approches, rapidement exécuter sur une cible étroitement choisie, observer les résultats et s’adapter avant de généraliser. Un peu comme une startup dans un environnement compétitif qui essaye de se frayer un chemin.
Pour le cas du projet “Alger Smart City”, le but est principalement d’exploiter des discontinuités que nous vivons dans le monde technologique aujourd’hui et donc, une opportunité à valoriser. En effet, les progrès rapides des dernières années en matière de technologies de l’information, conjugués à l’émergence de modèles d’entreprises innovantes, ont récemment donné naissance à une gamme de nouvelles technologies, que l’on surnomme Technologies Leapfrog. Ces technologies ont une caractéristique très particulière « qui s’accommode parfaitement pour le cas d’Alger Smart City » ; en effet, elles ont relativement moins besoin de ce qui a été préalablement fait dans le passé technologique et permettent de formuler une nouvelle thèse : donner la possibilité de transformer un retard relatif en un avantage compétitif potentiel. L’opportunité est aussi unique. Elle existe aujourd’hui pour une toute simple raison : les géants mondiaux des technologies de l’information de cette dernière décennie, ayant pris une avance considérable sur les différents acteurs industriels, ont pour but stratégique de conquérir les marchés dominés aujourd’hui par ces mêmes acteurs industriels dans leurs propres secteurs, en se basant sur la conception et le déploiement accéléré de technologies Leapfrog. Cela constitue aussi, presque par hasard, une opportunité pour le reste du monde d’en tirer grandement profit. Ces technologies peuvent permettre, aux pays émergents en particulier, de sauter les étapes et de dépasser les systèmes et infrastructures hérités du passé pour favoriser la croissance de leur propre écosystème technologique. Cela inclut, notamment, i) : les technologies Cloud planétaire, ii) : les plateformes de Software Open Source, iii) : les solutions Fintech, iv) : les réseaux mobiles alternatifs et v) : l’évolution des sciences des données basée sur l’Intelligence Artificielle et les Blockchain. Ces technologies couplées à la présence d’une nouvelle génération de startups et d’entrepreneurs qui maîtrisent les nouvelles technologies offrent une opportunité de repenser les stratégies de développement technologique.
Avec une vision stratégique qui cible la valorisation progressive de ces technologies Leapfrog sur 15 à 20 ans, associée à une exécution tactique adaptée au contexte, il est donc possible d’obtenir des progrès et des résultats considérables sur de nombreux fronts.
La possibilité est là, mais, comme pour toute opportunité, elle soulève, avec son lot de risques, la question et le problème de l’exécution, s'ajoutant à l'environnement réglementaire favorisant l'émergence d'une économie basée sur de tels sauts technologiques.
L’approche principale mise en œuvre ou en exécution au niveau du projet Smart City est de voir comment certains champions technologiques peuvent se développer autour de ces technologies, à terme. Ceci fut, entre autres, résumé le 30 Décembre 2018 à Alger. Dans ce cadre, différents modèles d’incubation, d’accélération et de co-création sont en ce moment testés et évalués pour atteindre ce but. Aussi, des initiatives pragmatiques ont été mises en place, incluant l’implication de plus d’une centaine de startups dans le processus d’évaluation des besoins relatifs aux solutions Smart City, la sélection de plus d’une dizaine de startups pour réalisations d’ingénierie avancée, le lancement du laboratoire expérimental et hub technologique et l’implication de plus d’une dizaine d’acteurs économiques nationaux et internationaux dans la démarche Smart City. De nombreuses autres initiatives sont également en cours de préparation avec les différents acteurs économiques, en Algérie et dans le monde, ainsi qu’un certain nombre d’institutions internationales, permettant a terme, le positionnement d’une stratégie de leadership régional. En fait, tout cela constitue un puzzle dynamique avec des composantes qui tentent d'y trouver leur place, étape par étape. Le but de tout cela est principalement de voir et mesurer ce qu’il en ressortira, mais surtout de se baser sur ces résultats pour adapter et faire évoluer les approches, et ce de manière itérative et récursive.
A la question de “peut-on vraiment se mettre à ces nouvelles technologies avant de maîtriser des technologies de base?”, la réponse est probablement qu’il serait plus réaliste de se mettre sur de nouvelles technologies qui sont plus ou moins nouvelles pour tout le monde, que sur celles où l’on accuse un retard tellement grand, que s’y accrocher n’est peut-être pas réaliste. Ceci doit se faire au cas par cas.
A la question de “peut-on vraiment développer des champions technologiques dans ces nouvelles technologies à court et moyen termes ?” la réponse est probablement non. On peut juste aller dans cette direction avec le but que ceci se fera sur du long terme. Cela dit, différentes autres choses se feront sur ce parcours avec un potentiel de réussite tactique très probable sur le court et moyen termes.
A la question de “peut-on vraiment mettre en place des approches Smart City sans le cadre réglementaire, financier, infrastructurel et autres déjà en place dans des écosystèmes plus avancés?” la réponse est probablement non, mais c’est cette approche d’exécution à long terme avec adaptation progressive et continue, qui en général peut être le véhicule pour faire progresser de manière très rapide ces différent aspects et pré-requis.
A la question: “peut-on vraiment mettre en place des approches technologies avancées sans être proches des géants et leaders technologiques?” la réponse est probablement non, mais c’est en mettant en place des modèles d’exécution avec progression rapide des capacités de maîtrise des technologies, de négociation technologique, de valorisation de la Diaspora et de mise en relation de l’écosystème local avec les experts et leaders du monde technologique, que nous pourrons tisser des liens plus étroits quasi indispensables.
De manière générale, on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide et je pense que le projet “Alger smart city” approche ceci sur une optique “moitié plein” couplée à une exécution à long terme, en complémentarité avec toutes les autres initiatives en cours. De toutes les manières, ceci est un choix de fait, pour le moment du moins. Un choix qui, il faut le dire, demande et demandera encore plus, une adaptation rapide des différents prérequis. Vu de cette perspective, le projet “Alger, Smart City” a pour but d’être un catalyseur pour accélérer ces différentes évolutions. C’est aussi exactement pour cela, qu’il doit être considéré comme un moyen et non une fin en soi, un catalyseur pour différentes autres initiatives. Il va probablement devoir évoluer au fur et a mesure, au rythme des évolutions technologiques dans le monde et la façon avec laquelle les projets fédérateurs seront structurés au fur et à mesure. Aujourd’hui Smart City. Demain autre chose. Le futur nous le dira.
Pour ma part et pour finir sur une note personnelle, les deux dernières fins d'années ont vu la disparition de deux des personnes qui me sont chères, avec lesquelles j’ai beaucoup appris durant mon parcours de recherche et de startups dans la Silicon Valley. Tout d’abord, le Professeur émérite Lotfi Zadeh à l’université de Berkeley, est l’un des doyens de l’Intelligence Artificielle et le Dr. Lawrence Roberts, l’un des fondateurs de l’Internet. Ce que j’avais le plus appris avec eux et d’autres avec lesquels j’ai travaillés, est que presque toutes les choses vraiment intéressantes à faire sont en général dures, à risque et fonction de la ténacité et de la volonté qu’on y met. J’ai personnellement appris cela dans les nombreuses startups en haute technologie et centres de recherches avancés dans lesquels j’ai passé les deux dernières décennies aux USA, Japon, Canada, Chine, France, Corée du Sud et autres. Mon constat très clair et aussi très simple : “Alger Smart City” est l’exemple même de cette startup, qui essaye de se frayer un chemin et d’exploiter les opportunités qui se présentent devant elle. Tout comme une startup, on sait comment ça commence, on ne sait pas où cela finit en général, mais on se doit toujours de faire de son mieux.
Voilà. Bonne et Joyeuse Année 2019.