Chams-Eddine Bezzitouni, Président de In-Community et ambassadeur de Seedstars World en Algérie estime que « les incubateurs, accélérateurs ou toutes autres formes d’accompagnement commencent à s’essouffler partout dans le monde».
N’TIC Magazine : La recherche de fonds semble être le premier défi pour la création d’une startup. Comment relève-t-on ce défi ?
Chams-Eddine Bezzitouni : Il est certain que le financement de l’innovation est un véritable défi que le porteur de projet doit relever, et ce, dès ses premiers pas, mais la pierre angulaire du projet reste l’idée ou plutôt la proposition de valeur. En d’autres termes, la solution « innovante » qu’apporte cette idée à une société, une ville, un pays, une population ou tout simplement au monde. Il faut noter qu’une startup ne se pense pas et ne se conçoit pas comme une entreprise naissante uniquement, elle est une entité innovante qui apporte une valeur nouvelle à haut risque vu par l’investisseur. Chose qui complique fortement la décision de l’investissement. Mais si l’idée portée par un porteur de projet solide arrive à prouver un véritable plan de création de valeur, elle saura trouver l’investissement nécessaire. Plus simplement, pour répondre à votre question je dirai que le premier véritable challenge c’est l’équation ; porteur de projet additionné à une idée à forte valeur ajoutée avec un marché visible et une nouveauté prouvée. Pour revenir à notre environnement en Algérie, il existe un grand flou dans l’approche, car les différents mécanismes mis en place sont destinés à la création de petite ou moyenne entreprises et non pas aux entreprises innovantes et encore moins celles qui se fondent sur les nouvelles technologies. Nous pourrions en faire toute une thèse. D’ailleurs, c’est mon travail dans le cadre de la thèse que je conduis au sein de l’Ecole Nationale Supérieure des Sciences Politiques. Mais pour donner une idée générale, aujourd’hui le startupeur emprunte des modèles qui ne lui sont pas adressés, il en prend ce dont il a besoin et essaye de se débrouiller d’autres aides à droite et à gauche ; en l’occurrence en participant à des compétition et concours ou tout simplement en essayant d’offrir des services numériques basiques (conception de site web, développement d’applications, gestion de pages sur les réseaux sociaux) ce qui le dévie littéralement de sa vocation principale à savoir son idée initiale.
N’TIC : Comment jugez-vous les mécanismes de financements des startups en Algérie ?
CB : Comme je vous l’ai dit juste avant, aujourd’hui, il existe plusieurs mécanismes d’appui et de soutien à la création d’entreprises. Plus ou moins pour la jeunesse. Ce qui est un élément discriminatoire pour certains startupeurs qui ont dépassé l’âge pré-requis. Ceci dit, des mécanismes pour l’émergence d’une poussée de startups telle que nous devrions les définir, il n’en existe pas forcément. Il serait judicieux de parler d’abord des différents cadres à mettre en place avant de parler de mécanismes de financement. En effet, le financement des startups devrait provenir du privé et non des pouvoirs publics. Financer une startup ce n’est pas lui donner une somme d’argent et attendre qu’elle pousse. Il faut la financer mais aussi l’accompagner et s’assurer qu’elle utilise cet argent dans le sens le plus favorable pour sa proposition de valeur. C’est pour cela que le privé, jaloux de ses investissements reste le meilleur bailleur de fonds, mais pour que ce dernier puisse le faire il faudrait qu’il soit conforté par des lois et une réglementation qui encadre son activité d’investisseur à risque. Depuis peu il existe des textes qui organisent l’existence de fonds d’investissement et leur relation avec les entreprises de gestion de fonds, d’où la naissance récente de deux initiatives de fonds portés par des entreprises régulées spécialisées dans ce domaine, mais il manque encore pas mal de chose à mettre en place sur le plan de la fiscalité de l’investisseur et l’encadrement des porteurs de projets innovants à haut risque. Néanmoins certains hommes d’affaires font le pas et commencent à se pencher sur ce nouvel éventail d’investissement.
N’TIC : Le modèle business angels est-il donc le plus adapté ?
CB : Je ne dirais pas que les business angels soient un modèle mais plutôt un des maillons de la chaîne de l’investissement innovant. Permettez-moi de faire une analogie pour expliquer cela ; tout comme un système éducatif qui se conçoit sur plusieurs paliers, en l’occurrence le primaire, le collège, le lycée puis l’université, la chaine du financement pour une startup consiste à lier de manière très organisée une chaine de maillons allant du business angels qui, lui, accompagne en ressources financières mais aussi en coaching et formation le porteur de projet jusqu’aux plus grands fonds d’investissement qui interviennent à des âges plus avancés dans la vie d’une startup. Donc, l’émergence d’un maillon de la chaine ne signifie pas l’existence de l’écosystème financier favorable, que direz-vous d’un système éducatif où il n’existe pas de lycée et d’université, inscririez-vous votre enfant dans un primaire en sachant qu’il ne pourra pas faire le collège et encore moins prétendre à un diplôme universitaire ?
N’TIC : Que pensez-vous du financement par introduction à la bourse des startup et PME ?
CB : En règle générale, dans les pays où les marchés financiers et les tissus de startups sont développés, la bourse constitue une voie de sortie pour les entrepreneurs et non pas un mécanisme de financement pour l’amorçage. Quand une startups franchit toutes les phases de son développement et atteint son plein potentiel elle peut faire une opération d’introduction en bourse afin de capitaliser tout l’investissement consenti au passé. Mais comme il n’existe pas de règles dans ce domaine et que tout peut être pensé et exécuté selon le contexte local de chaque écosystème startup, j’ose croire que le Bourse d’Alger puisse offrir une alternative intéressante pour les startups en l’absence de capital risques à proprement parler.
N’TIC : Les incubateurs et accélérateur de startup commencent à se généraliser en Algérie. Comment peuvent-ils être la solution pour l’émergence de ces startups jusqu’à ce qu’elles soient entreprises autonomes ?
CB : Les incubateurs, accélérateurs ou toutes autres formes d’accompagnement commencent à s’essouffler partout dans le monde. Même si sur plan marketing on continue à utiliser ce terme, mais sur un plan pratique, le contenu de ces structures-là évolue et se modernise. Très rares sont les incubateurs à l’origine de grandes startups, mais il en existe quand même. Pour revenir à notre écosystème, en effet depuis quelques mois, nous constatons plusieurs annonces, ce qui est une bonne chose car un incubateur essaye d’accompagner les porteurs de projets dans leur premier pas pour revenir à l’analogie du système éducatif, l’incubateur représente tout le cycle fondamental dans la vie d’une startup. Il apporte espace de travail mais surtout une communauté qui évolue ensemble. Dans ce sens, avec deux investisseurs, nous avons lancé le chantier d’un nouvel espace à Alger, Hydra qui offrira tous les services nécessaires à l’émergence d’une grappe de startups innovantes et les différents nouveaux métiers du digital de la créativité et de l’art. Notre vision, c’est d’en faire un hub d’innovation qui accélère les talents mais surtout les connexions avec l’écosystème global.
N’TIC : Quel rôle peuvent jouer les concours nationaux et internationaux, à l’égard de SeedStars, dans le développement de l’entrepreneuriat en Algérie ?
CB : Ils sont très importants dans le cycle de développement d’une startup, car ils permettent une médiatisation qui apporte à son tour des opportunités. Tout comme ça rapporte aussi des voies d’investissement et de sponsoring ou tout simplement un réseautage significatif quand ils sont de qualité. Vous citez SeedStars, cette rencontre annuelle permet l’interconnexion de plus 80 villes du monde toutes liées par le caractère émergent de leurs marchés, tout comme elle représente le point de contact entre de grands acteurs de la technologie comme Facebook, Amazon, lastminutes.com et des startups naissantes.