Le développement rapide de l’internet et les progrès réalisés dans le domaine de la connectivité et de la numérisation ont bouleversé le monde. La révolution numérique est en marche. Elle va inéluctablement modifier le monde industriel de manière structurelle.
L’usine du futur se dessine à l’horizon, dans le cadre de ce qui est appelé la quatrième révolution industrielle. Le concept usine du futur ou industrie 4.0 (en référence à la 4ème révolution industrielle) est fraîchement sorti du stade de la réflexion. C’est en Allemagne que ce concept a été formalisé pour la première fois par des académiciens, à l’initiative des industriels allemands. Le rapport « Recommandations pour la mise en œuvre de l'initiative stratégique d’Industrie 4.0 » sorti à l’occasion de la Foire de Hanovre en avril 2013 est le premier document qui théorise cette nouvelle réorganisation des moyens de production. Les puissantes fédérations des industriels allemands cherchaient à travers ce projet comment assurer l'avenir de l'industrie manufacturière allemande.
Ce projet industrie 4.0 a été incorporé dans le plan d’action du gouvernement allemand « High-Tech Stratégie 2020 ». D’autres puissances économiques mondiales n’ont pas tardé à rebondir sur cette vision de l’industrie du futur, à travers des actions de promotion de l'informatisation de la fabrication : « Smart Manufacturing Leadership Coalition » aux Etats-Unis, « L'Industrie du Futur » en France et « La Fabbrica del Futuro » en Italie.
C’est quoi l’industrie 4.0 ?
L’industrie 4.0 fait référence à la quatrième révolution industrielle. Après la mécanisation (industrie 1.0), la production en série (industrie 2.0) et l'automatisation (industrie 3.0), l’industrie 4.0 correspond à l’intégration du monde virtuel des technologies de l’information et de la communication dans le monde réel des installations industrielles.
Ainsi, « l'introduction de l'Internet des objets et des services dans l'environnement de fabrication inaugure une quatrième révolution industrielle », est-il écrit dans le rapport des industriels allemands, estimant qu’à l’avenir les entreprises établiront des réseaux mondiaux incorporant leurs machines, leurs systèmes d'entreposage et leurs installations de production sous la forme de systèmes cyber-physiques ».
Selon la conception allemande, l’industrie du futur est un système global interconnecté où l’information entre les différentes parties de la chaîne de valeur circule en temps réel. La Fédération française des industries mécaniques (FIM) la définit comme « une réponse à plusieurs transitions simultanées : énergétique, écologique, numérique, organisationnelle et sociétale. Chacune de ces transitions fait appel à de nombreuses nouvelles technologies ou modes d’organisation arrivant à maturité, en cours de développement ou à concevoir ».
Les experts prévoient que les entreprises pourront augmenter leur productivité d'environ 30% en utilisant Industrie 4.0, alors que les pertes de production imprévues pourraient diminuer de 60 %. En plus de moderniser les moyens de production, de réduire les délais et les coûts et d’améliorer la qualité des produits, les technologies de l’industrie 4.0 peuvent potentiellement créer des opportunités de croissance extraordinaires et des avantages concurrentiels pour les entreprises. Les usines connectées permettent de satisfaire les besoins individuels des clients et des articles uniques peuvent même être fabriqués de manière rentable.
De nouvelles façons de créer de la valeur
Dans l’industrie 4.0, les processus permettent des changements de dernière minute en production et offrent la capacité de réagir avec souplesse aux perturbations et défaillances de la part des fournisseurs, par exemple. Selon les industriels allemands, l’usine du futur créera également de nouvelles façons de créer de la valeur et de nouveaux modèles économiques, en particulier, les petites entreprises auront la possibilité de développer et de fournir des services en aval.
La réorganisation des moyens de production, à l’ère de l’industrie 4.0, implique aussi de nombreux défis à relever. Le premier défi est d’impliquer l’ensemble des collaborateurs au sein de l’entreprise mais aussi de les accompagner dans ces changements. La nouvelle manière de produire aura besoin de nouvelles compétences qu’il faudra former. Il s’agit aussi de faire évoluer le poste de travail au bénéfice de l’homme, pour faire face à la problématique du « remplacement de l’homme par la machine ». L’autre défi crucial, c’est d’assurer la sécurité des objets connectés, les données qu'ils génèrent et des réseaux qui les transportent. Selon un rapport de Grand View Research, 64% des fabricants industriels ambitionnent de connecter entièrement leurs usines d’ici à 2022, alors que le marché mondial de IIoT (Internet Industriel des Objets) devrait atteindre 933 milliards d’ici 2025.
L’industrie 4.0 est encore à ses balbutiements. En Allemagne, le berceau de l’industrie 4.0, la diffusion de ce concept bénéficie du dynamisme de ses entreprises industrielles. A titre d’exemple, sur les sites de production du groupe Bosch, plus de 150 projets autour de l’usine du futur ont déjà été déployés. Aux Etats-Unis aussi, on dénombre plusieurs projets-pilotes notamment dans le secteur des hydrocarbures. En Chine, Sany, le plus grand fabricant de machines du pays affirme avoir atteint l’industrie 4.0.
Où en est-on en Algérie ?
En Algérie, le concept d’industrie 4.0 est au stade de la réflexion. Plusieurs événements ont abordé ce thème ces derniers mois. Après Progisys qui a organisé un séminaire sur le sujet, le Centre de Développement des Technologies Avancées (CDTA) a lancé en partenariat avec Siemens Algérie, le premier workshop annuel sur l’industrie 4.0 ayant regroupé des académiciens, des industriels et des laboratoires de recherche.
La Sonatrach s’est également penchée sur ce sujet à l’occasion de la tenue, début mars dernier au siège de sa direction générale à Alger, d’un workshop technique sur la thématique de la digitalisation. Intitulé « Digital and Advanced Analytics in the Gas Industry », ce workshop, animé par des experts de sociétés de références dans le domaine de la digitalisation, a traité des problématiques de la transformation digitale des activités gazières et pétrolières qui est, faut-il le souligner, un axe fondamental de la stratégie de transformation de Sonatrach « SH2030 » qui vise à exploiter les nouvelles technologies du numérique et de l’intelligence artificielle pour l’optimisation des performances de l’entreprise.
Atteindre l’industrie 4.0 dans 15 ans
Au niveau gouvernemental, l’ancien ministre de l’Industrie et des Mines, Youcef Yousfi avait lancé la réflexion au niveau de son département ministériel autour de l’industrie 4.0. Il avait fixé comme objectif pour l’Algérie d’atteindre cette phase industrielle dans les « 10 ou 15 prochaines années ». Un document produit par ce ministère publié dans le dernier numéro de la revue Algérie Industrie fait état d’ « une mutation qui est en train de prendre forme » dans certains secteurs. «D'abord, au niveau des hydrocarbures et de l'énergie, les nouvelles unités du groupe Sonatrach et les nouvelles centrales électriques sont toutes dotées des technologies de l'industrie 3.0 et même de certains aspects de l'industrie 4.0», souligne le document. Et d’ajouter : «Il en est de même des nouvelles cimenteries, usines sidérurgiques, mécaniques, textiles, pharmaceutiques, électroniques ». Selon le document, le ministère de l’Industrie attend « beaucoup » de l'industrie automobile pour entrer de plain-pied dans cette phase industrielle.
« L’industrie 4.0 offre une opportunité énorme pour l’Algérie. Si elle est saisie, elle réussira à accélérer notablement son développement économique. Les gains en productivité seront importants assurant la compétitivité de notre industrie, l’attractivité économique du pays sera accrue dans le cadre de la compétition internationale», note le document qui préconise d’impliquer tous les acteurs qui gravitent autour du secteur de l’industrie à l’instar des universitaires, chercheurs, spécialistes dans les systèmes éducatifs et de formation professionnelle, dans le processus de numérisation, d'informatisation, de communication et de sécurisation des informations. «Ils pourraient détecter les obstacles à franchir, proposer les voies à suivre et recommander les moyens à mettre en œuvre pour progresser », est-il noté.
Une première « Smart Manufacturing Plateform » à Alger
Mais s’il est primordial d'entamer, dès aujourd'hui, la formation à tous les niveaux des futurs spécialistes devant mener à bien ces mutations technologiques, il n’en demeure pas moins que le rôle des centres de recherche et développement est capital pour tracer la voie à suivre pour concrétiser cette révolution industrielle.
Il est utile de rappeler à ce propos le partenariat conclu en 2017 entre le CDTA et Siemens Algérie qui a abouti à la mise en place de la première « Smart Manufacturing Plateform » dédiée à l’industrie 4.0, localisée à Baba Hassen, à Alger. Cette plateforme technologique de démonstration, d’expérimentation et de formation dans les domaines de l’industrie 4.0 s’avère être le cadre approprié pour soutenir les industriels et les entreprises innovantes dans cette nouvelle mutation mondiale induite par la 4ème révolution industrielle.