Le monde de la finance est en pleine ébullition. Il a subi des vagues successives de révolutions, soutenues par des révolutions technologiques et des innovations radicales venues le plus souvent du monde des startups.
Bien que le monde des banques soit aujourd’hui méconnaissable par rapport à ce qu’il fut dans les années 1990, et contrairement à ce qu’on serait tentés de croire, les bouleversements les plus radicaux restent encore à venir. Le point de mire de ces bouleversements pourrait bien être la disparition pure et simple des banques ! Pourquoi ?
La confiance dans le système financier mondial s’est beaucoup dégradée, c’est un doux euphémisme, depuis le début du siècle. La crise de 2008 est passée par là. Alors que des milliers de salariés clients de banques se sont retrouvés sur le carreau, le gouvernement américain n’a pas hésité à dépenser $700 milliards pour sauver le système bancaire et éviter la contagion de Lehman Brothers.
Les opérations de quantitative easing (portant le doux nom de financement non conventionnel) consistent à racheter massivement la dette des institutions, notamment en imprimant de nouveaux billets, en accroissant la masse monétaire et par voie de conséquence en appauvrissant la population. Les citoyens ont alors compris qu’ils ne sont plus désormais le centre de l’économie. Leurs gouvernants sont prêts à les sacrifier sur l’autel de la stabilité macro-économique.
Notre usage de la monnaie a radicalement changé durant les dernières décennies, mais il risque de changer encore davantage dans le futur proche. Et avec ces changements, des intérêts colossaux des opérateurs qui apparaissent et disparaissent.
Les opérateurs tech ont longtemps cherché à s’introduire sur le terrain des banques pour proposer des solutions à leurs lacunes et défaillances. Citons parmi leurs cibles :
- Faciliter les opérations d’achat, fluidifier et sécuriser les opérations pour les transactions moyennes (> 2000 DZD)
- Trouver des solutions aux très petites transactions (< 1000 DZD)
- Proposer des solutions de substitution pour les personnes non bancarisées.
- Trouver des solutions pour les endroits sans connexion au réseau, sans équipement ou sans présence bancaire.
- Faciliter le transfert d’argent entre pays ou entre personnes du même pays.
- Créer une monnaie stable, indépendante des politiques des banques centrales.
Facebook, une banque centrale mondiale
Désormais, les problèmes des cryptomonnaies ne sont plus d’ordre technique. La technologie est parfaitement maitrisée. Il existe un grand nombre de monnaies en circulation sans qu’aucune d’elle n’acquière une stature mondiale et une hégémonie sur ses concurrentes. Ceci est peut-être en passe d’arriver...
Il y a quelques semaines à peine, Facebook annonçait la création prochaine de sa cryptomonnaie : le Libra. Comme à son habitude, Facebook a tiré profit de toutes les expériences passées dans le domaine pour être le premier opérateur à réussir pareil exploit : lancer une cryptomonnaie de portée économique mondiale.
En 2009, Facebook lançait Facebook Credits, une monnaie locale utilisable exclusivement à l’intérieur de l’écosystème Facebook. Elle fut arrêtée en 2013. C’était un grand échec. C’est pour cela que la nouvelle monnaie devait avoir une vocation universelle. Elle doit être convertible et utilisable n’importe où.
L’un des reproches faits au Bitcoin c’est d’être très énergivore. Le Libra a bénéficié des avancées technologiques qui lui permettent d’avoir une empreinte énergétique quasi nulle. Ceci est absolument nécessaire dans un futur où le coût de l’énergie est une problématique mondiale. Les coûts des transactions du Libra sont de fait également proches de zéro.
L’autre grosse problématique liée aux crypto-monnaies c’est leur extrême volatilité, c’est-à-dire la grande fluctuation de leurs cours. Le Libra est, lui, ce qu’on appelle une stable coin. Il a une valeur constante. Pour cela, il est convertible à un taux fixe face au dollar. Pour assurer cela, Facebook a constitué, avec des partenaires, une réserve en dollars. C’est un peu comme lorsque le dollar était convertible en or. Chaque dollar imprimé a son équivalent en or.
Autre problème, c’est l’aspect générique de certaines cryptomonnaies, qui ambitionnaient de dominer le monde bancaire. Le Libra démarre déjà avec un ensemble de partenaires qui lui assure un usage de niche, du moins pour ses débuts : le transfert d’argent entre amis sur Whatsapp ou Messenger. Mark Zuckerberg veut rendre l’envoi d’argent aussi simple que l’envoi d’une photo. Comme Libra compte plusieurs partenaires financiers comme Visa et MasterCard, on pourra très bientôt l’utiliser pour payer son café ou sa baguette de pain.
Enfin, le plus grand problème des cryptomonnaies jusqu’à aujourd’hui c’est leur crédibilité : comment imposer une monnaie, un mode de paiement à des institutions, à des pays, etc. Et qui va utiliser la quantité phénoménale de datas que cela va produire : nos habitudes de consommation, nos goûts, nos marques préférées, nos déplacements, etc. Et est-ce que ces données seront en sécurité, ne seront pas utilisées contre nous et/ou fuiter chez d’autres personnes encore moins bien intentionnées ?
Connaissant la fâcheuse tendance de Facebook à monétiser tout ce qui lui passe sous la main, le doute est plus que permis. C’est pour cela, que pour inspirer la confiance, Facebook n’a pas souhaité lancer le Libra à son nom. Il a formé un consortium de 27 entreprises de la tech et de la finance, dont aucune autre des GAFAM. Mais ceci ne trompe personne : les entreprises gloutonnes en données pourront s’en donner à cœur joie.
Levée de bouclier
Il y a à peine quelques jours, le ministre français des Finances a fait un réquisitoire sans nuances contre la Libra de Facebook. Il a en effet appelé les européens à lui refuser l’autorisation d’exploitation sur le sol européen. Et pourquoi ?
N’est-ce pas la monnaie l’ultime outil de l’exercice de la souveraineté d’un gouvernement. Dématérialiser et déléguer ou sous-traiter sa monnaie à un organisme privé, fut-ce une ONG, est une situation sans précédent dans l’histoire de l’humanité et les conséquences qui vont en découler seront tout aussi exceptionnelles. En cas de généralisation de l’usage du Libra ou d’une autre cryptomonnaie, plus de dévaluation concurrentielle, plus de quantitative easing, plus de contrôle des changes, plus de manipulation des taux d’intérêt !!
Que dire d’un pays économiquement mineur, dominé par l’informel comme le nôtre ? Autant s’y préparer parce que l’interdiction pure et simple de telles technologies, comme c’est le cas actuellement, est loin de nous préserver de ses effets.