Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune a annoncé lors de sa première visite officielle dimanche 22 décembre la création d'un ministère de l'économie numérique et des entreprises émergentes, ainsi que d'une banque dédiée aux jeunes porteurs de projets. Il a promis que ces institutions seront dirigées par de jeunes cadres. Les réactions à cette double annonce n'ont pas tardé à affluer sur les réseaux sociaux, et les avis sont mitigés sur la forme et se rejoignent sur le fond.
Pour Midou Bab Ali, fondateur de "Nboujiw", une entreprise émergente qui active dans le secteur du tourisme local, la première chose à faire est d'abord de définir ce qu'est une startup, et à quelle moment elle cesse d'en être une. Il déplore que l'on continue encore dans les médias nationaux à appeler startup, des entreprises qui existent depuis plusieurs années et dont le modèle économique est établi.
Il craint que tout que « le lancement de cette banque ne vire très vite à un ANSEJ bis », dont nous connaissons tous les résultats. « Le gouvernement a découvert le mot startup il y a une année, et ne cesse de le coller partout, à tort et à raison en pensant que c'est la solution à tous les problèmes économiques de l'Algérie », nous confie-t-il. Il ajoute qu'avec cet état d'esprit, nous verrons probablement d’indues personnes, bénéficier de tous les fonds et de tous les avantages, au détriment des vraies startupeurs. Il souligne également que malgré tout cet engouement autour des startups, il n'existe toujours pas de statut juridique pour elle en Algérie.
Moncef Hammou, co-fondateur de LegalPlace, une startup qui digitalise les aspects juridiques des entreprises en France, et qui vient de lever 6 million d'euros, partage les mêmes craintes. Pour lui, c'est le mode de fonctionnement de cette banque, et les modalités de financement qui détermineront si elle sera utile ou pas.
En ce qui concerne l'annonce d'un ministère dédié au numérique, il souligne que « l'Algérie n'a pas d'économie numérique pour ouvrir un ministère dédié ». Ce jeune entrepreneur estime que la première chose à faire, est la libération de la justice. Selon lui, les startups ont plus besoin d'un système bancaire fiable et d'une fiscalité avantageuse, que d'une banque qui leur sera dédiée, et qui risque de surcroit de vite devenir un puits d'argent où les « opportunistes » vont se servir.
Discours politique ou réelle valeur ajoutée ?
Si les avis divergent sur la pertinence et la valeur ajoutée d'un ministère de l'économie numérique et d'une banque destinée aux startups, tout le monde est d'accord que sans réglementation et cadre juridique clairs, et sans expliquer au préalable les mécanismes de fonctionnement, ces projets ne resteront que des discours sans lendemains.
Mais pourquoi ne pas encourager les banques à accorder des crédits aux nouvelles entreprises et à l'inclure dans leurs activités ? Et pourquoi ne pas créer des cellules chargées du numérique dans chaque ministère déjà existants ? C'est ce que leur répondent les internautes qui sont défavorables à cette initiative.
Pour Soumia Benallal, cadre chez Microsoft à Paris, c'est d'une refonte de la stratégie économique et de l'entreprenariat dont a besoin l'Algérie actuellement. Et de construire un pont entre l’industrie et la recherche universitaire, pour faire évoluer le système des brevets et les droits d’auteurs, pour pousser la créativité.
Un pont entre l'université et l'entreprise
Samy Daoud, doctorant en informatique à l’Institut National de Recherche en Sciences et Technologies du Numérique de France considère que l'université algérienne est déconnectée de l'entreprise. Il témoigne que lors de son master dans une université française, l'une des premières choses qui l'a frappé est que parmi les enseignants, il y avait des chefs d'entreprise. Pour lui, un ministère de l'économie numérique est une bonne chose mais une banque dédiée aux startups ne servirait à rien, tant que les étudiants ne sont pas formés au marketing, au management, à la gestion de projets, et à un certain nombre de modules essentiels. « A ce stade, nous avons plus besoin d'incubateurs dans chaque wilaya que d'une banque dédiée », affirme-t-il. Une chose est certaine : un projet d'une telle envergure nécessite une réflexion profonde, un objectif précis et une raison d'être solide.
C’est quoi une startup ?
Traduit littéralement vers le français, le mot startup désigne une société qui démarre. Mais est-ce qu'une nouvelle pizzeria est une startup ? Non ! Une PME n'est pas forcément une startup. Quels sont alors les critères pour désigner une start-up ? Les experts s'accordent à dire qu'une startup est liée à la notion d’expérimentation d'une nouvelle activité, sur un nouveau marché, avec un risque difficile à évaluer. Ce qui fait que sur les nombreuses nouvelles entreprises qui se lancent chaque année en Algérie, seule une petite fraction rentre dans cette catégorie. Et pour celles qui remplissent les critères, dès lors que la phase de recherche arrive à son terme, elles cessent d'être des startups. Soit, elles échouent, et donc disparaissent, soit elles réussissent, et deviennent de ce fait, des entreprises avec un cadre traditionnel et un modèle économique établi. Conclusion : ce n'est finalement qu'un passage temporaire où les porteurs d'idées ont besoin d'accompagnement et de financement.