Voilà ! Nous avons désormais un président de la république et un ministre qui se charge de nous et de l’innovation. Voilà : on avance ! Que dis-je ? Nous avons deux ministres, même ! Un ministre chargé des startups et un autre chargé des incubateurs. Voilà qui est parfait.
Si ce n’est que…
Ce sont des ministres délégués. C’est-à-dire des ministres sans locaux propres, sans budget propre et sans autonomie de décision.
OK. Ce n’est pas grave. C’est quand-même une avancée. N’est-ce pas ? D’autant que j’entends ici et là que la nouvelle économie algérienne, version 2020 et au-delà, sera basée en premier lieu, dixit les officiels, non pas sur le pétrole, le gaz et leurs dérivés mais sur les microentreprises.
Une génération startup
L’Algérie a plus d’un million de naissances par an. La moitié de la population algérienne a moins de 25 ans. Une génération de millenials qui est née avec internet, avec des smartphones et des tablettes entre les mains, avec Google, Facebook, Netflix,...
Le plus grand miracle des nouvelles technologies, c’est d’avoir réécrit les business models les plus anciens et les plus inamovibles : news, téléphonie, publicité, énergies, livre, musique, TV, cinéma, jeux, production, irrigation, transport, logistique, distribution, paiement,… Le terme le plus à l’ordre du jour depuis une trentaine d’année est le terme « disruption » (c’est également l’un des plus galvaudés malheureusement). Quand la technologie s’empare d’un secteur, elle ne fait pas que l’améliorer ou l’optimiser. Elle rend les anciennes pratiques complètement obsolètes et définit une manière complètement nouvelle de le pratiquer.
Et encore ! On croit avoir tout vu alors que nous n’avant pas encore entamé le deuxième âge de la machine. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que la technologie facilite la vie ; elle redessine plutôt les vies. Et si la technologie ne change pas radicalement et périodiquement nos vies, c’est que nous la prenons de la mauvaise manière.
Un petit problème de taille…
Voilà déjà mon premier malaise de taille ! On associe sans arrêt le terme startup au terme microentreprise ou très petite entreprise. Donc en fait : une startup serait une entreprise de très petite taille. N’est-ce pas ?
Et si je vous disais que Tesla, qui vaut plus que PSA, Renault, General Motors, Ford et Fiat réunis, est une startup. Hein ? Vous-y croyez ? Que Uber, valorisée à 82 Milliards de dollars est une startup ! Alors ?
En un mot comme en cent, une startup est une entreprise qui ne marche pas. C’est une entreprise qui est en mode exploration de son marché : elle a un produit et elle est en recherche de sa clientèle ou en exploration de nouveaux business models c’est-à-dire de nouvelles façons de gagner de l’argent. Elle peut avoir détecté un besoin et en recherche de la meilleure façon de l’adresser. Et le terme clé dans ce cas-là c’est « incertitude ». La startup est donc une entreprise qui agit dans l’incertitude. Qui n’est pas du tout sûre de ce qu’elle doit offrir. Et pour adresser cette incertitude, elle utilise des outils comme la commercialisation de MVP qui sont des produits à peine viables, le A/B testing et l’analyse par cohorte qui sont les bases de la méthode Lean initialement développée par Toyota à la sortie de la deuxième guerre mondiale et adaptée aux startups dans les années 1990.
Un corolaire de tout cela, c’est que la startup tombe extrêmement fréquemment à la limite de la loi, voire de l’autre côté de cette limite. En innovant, elle introduit de nouvelles pratiques qui sont parfois interdite ou pas autorisée par la législation en cours mais elle va le plus souvent se retrouver dans une sorte de zone grise, de flou artistique où l’interprétation de la loi est laissée aux personnes chargées de l’appliquer. Et c’est précisément là que notre nouveau gouvernement peut innover : passer de la mentalité où tout est interdit sauf ce qui est explicitement autorisé par la loi au côté diamétralement opposé où tout est permis en économie sauf ce qui est explicitement proscrit dans la législation. Il faut sortir de l’état d’esprit où n’importe quel petit fonctionnaire dans un sombre bureau peut bloquer un projet parce qu’il interprète à sa façon un texte de loi.
De vitesse…
Le temps est un facteur très critique pour une startup. Sortir son produit 6 mois trop tard, c’est parfois le condamner à une mort certaine. Très souvent, plusieurs startups adressent le même besoin et la vitesse de réaction est le facteur clé (combien d’entreprises de VTC ou de e-recrutement y a-t-il déjà sur la place ?)
Quand on sait qu’il nous faut des mois de lutte contre la bureaucratie pour le moindre document, on voit déjà où l’exécutif doit orienter ses efforts. Seulement voilà : ce n’est pas la tâche d’un ministre des startups mais de tout un Etat.
Et d’argent
Deux corolaires à ce qui précède. D’abord que très souvent, les dépenses d’une startup sont essentiellement composées de charges fixes non matérielles : salaires, loyers, licences de logiciels, brevets,… qui ne sont pas du tout candidates à un financement bancaire ni aux aides de l’Etat. Ce qui exclut complètement les startups des méthodes de financement conventionnelles. C’est pour cela qu’ont été inventées des formes alternatives de financements comme les fonds d’investissement, le capital-risque, le crowdfunding ou financement participatif, et j’en passe.
Le deuxième corolaire est que la startup est quasiment tout le temps déficitaire !!! Une horreur financière quoi ! Tout ce que les banquiers exècrent.
Parmi les problèmes de la startup nation, le financement est en très bonne place. En effet, la startup est très consommatrice de fonds. Elle carbure à la monnaie. La vitesse de développement est souvent proportionnelle à la quantité de cash disponible. L’idée c’est d’utiliser l’argent pour accélérer le développement. Par exemple, au lieu de développer un module, ce qui prendrait du temps et confisquerait l’avenir de la startup, utiliser le cash disponible pour l’acheter ou le faire externaliser afin d’aller plus vite. Entre toutes les startups qui se lancent à l’affut d’un problème, celle qui avance le plus vite vers la solution a une chance de prendre le dessus sur les autres.
Alors quoi faire pour rendre l’argent disponible ? On a entendu parler de banque pour les startups. C’est d’un amateurisme déconcertant. Le capitalisme est construit de façon à ce que les banques ne perdent jamais, quel que soit l’état de l’économie. Et les startups font faillite plus qu’elles ne réussissent. Aucune banque ne prêtera intrinsèquement aux startups.
Moi je dis une chose simple : pas la peine de nous sortir des théories fumeuses sur le financement des startups ni de nous promettre de créer une banque pour les startups. L’argent coule à flot dans le système. Ce qu’il faut c’est le réorienter vers l’innovation. Et comment faire cela ? On le sortant de la spéculation. Je vais être honnête et ce n’est vraiment pas la peine de se mentir : si j’avais 20 ou 30 millions de dinars, j’ai tout à gagner à investir dans l’immobilier ou le foncier : il est sûr et avec un rendement élevé. Plutôt que de le mettre dans une startup qui a toutes les chances de faire faillite dans les quelques années à venir. Et tout le monde trouverait ce comportement normal. Ce qui manque c’est les lois anti-spéculation qui rendent le risque startup payant. Et les lois anti-spéculation tout le monde les connait, j’en ai vu une bonne giclée à l’étranger. Mais là : a-t-on le gouvernement qui aura la force de les instaurer ?