Ali Abassene, Directeur Technique à l'EADN (Entreprise d’Appui au Développement du Numérique) et expert en standardisation ICT/TelCo à l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), revient dans cet entretien l’importance des outils numériques dans la gestion de la crise sanitaire.
Vous avez lancé récemment une plateforme sur le Covid-19, de quoi s’agit-il exactement ?
Oui effectivement, l’EADN en tant qu’entreprise publique spécialisée dans les services du numérique a réalisé un portail d’information et de sensibilisation (covid19.sante.gov.dz) au profit du Ministère de la Santé et de la Réforme Hospitalière (MSPRH). Ce portail intègre aussi une carte de reporting épidémiologique du Covid19 où le Ministère a la possibilité de publier les statistiques quotidiennes concernant l’évolution de l’épidémie en Algérie, avec des répartitions par nature des cas, par Wilaya, par sexe, par tranche d’âge, etc.
Cet outil permet au MSPRH de communiquer aux citoyens les informations essentielles concernant cette pandémie, pour qu’ils puissent être au courant de manière transparente de l’évolution de la situation en Algérie.
En dehors de cette plateforme, avez-vous d’autres solutions pour lutter contre le Covid-19 ?
Il est à noter que nous travaillons aussi, avec les membres de la commission nationale Covid19 du MSPRH, sur une plateforme de suivi épidémiologique, en relation avec les DSP (Direction de wilayas de la santé) et les établissements de santé au niveau national. Cette plateforme devrait leur permettre aussi d’établir avec précision les cas suspects, les cas confirmés, leurs contacts (membres de leurs familles, voisins, ou toute autre personne déclarée comme ayant été en contact avec le malade), leur état de santé, mais aussi pour ce qui concerne les moyens disponibles au niveau des établissements de santé, qui prennent en charge les patients.
Comment vous vous êtes adaptés face au Covid-19 ?
Comme « Charité bien ordonnée commence par soi-même ! », l’EADN a réagi très rapidement au tout début de l’apparition de l’épidémie en Algérie, à travers la mise en place d’un plan de continuité d’activités, en mettant une partie de nos employés en « télétravail » et en « poussant » nos clients à « en faire de même ».
Aussi, plusieurs de nos clients, notamment les administrations centrales, nous ont sollicités pour la mise en place de plateformes de télétravail par vidéoconférence. Ces outils pourront par la suite être fédérés, afin de permettre aux différents secteurs de continuer de travailler en synergie, par le biais de ces méthodes de collaboration distantes. La continuité d’activités (pour tout ce qui est PCA « plan de continuité d’activités et PRA « plan de reprise d’activités »», est aussi un sujet qui s’est imposé à tout le monde en Algérie et partout dans le monde, et des pratiques plus « numériques » semblent avoir rejoint notre façon de travailler à tous.
Notre réseau internet a-t-il tenu bon selon vous dans le contexte de cette crise sanitaire ?
Le problème principal, pour ce qui est des réseaux opérateurs est celui de la bande passante internationale. Ceci est dû à notre dépendance à des outils de gestion et délivrance des contenus et de services, qui sont hébergés au-delà de nos frontières.
Il est clair que l’Algérie a besoin de mettre en place des infrastructures d’hébergement de données et de services, pour promouvoir le contenu et les services nationaux, mais aussi pour mieux tirer parti des infrastructures Télécom, sans avoir nécessairement à passer par des goulots d'étranglement pour atteindre le contenu à l’international.
Il apparait aussi urgent de mettre en place des points d’échange Internet entre les réseaux opérateurs, et de travailler encore sur la densification des réseaux de distribution, que ce soit la partie radio des opérateurs mobiles, ou le dernier kilomètre des infrastructures filaires, sans oublier l’exploitation des autres technologies comme le satellite et les réseau sans-fils à large couverture.
La 5G est-elle indispensable pour répondre mieux aux enjeux du numérique, comme la télémédecine ?
La 5G (bien que j’y préfère la dénomination standard de l’UIT IMT-2020) est l’une des technologies incontournables de notre futur proche. Pour certains experts, elle sera la technologie par excellence de l’Internet des objets (IoT) de demain, surtout pour ce qui est de ses applications dans l’industrie 4.0 (IIoT « Industrial IoT ») ou des Villes Intelligentes (sans oublier les espaces suburbains et périurbains).
La 5G grand public, quant à elle, va survenir dans un second temps, d’abord par des applications d’accès mobile très haut débit, puis pour des usages plus « avancés » comme les applications à très faible latence (concept de l’Internet « tactile »), la VR/AR (réalité virtuelle et augmentée) et autres applications holographiques pour les domaines du divertissement, la diffusion de contenu ciblé et localisé, le streaming personnel (les « lives » vont faire foison).
Pour ce qui est de ses applications dans le domaine des services de e-Santé, la 5G (par des technologies de densification « antennes MIMO », par des fonctionnalités de « slicing des réseaux »), permettra de faire de la télémédecine à un autre niveau. On pourra ainsi dépasser les applications conventionnelles de télédiagnostic et téléconsultation, pour avoir des usages dans le domaine de la télé-chirurgie robotisée.
Pour le e-Learning -qui a aussi des applications dans le domaine de la santé entre autres-, la 5G permettra de rapprocher les apprenants de leurs formateurs, par le biais de plus grandes capacités en termes de débit importants et de latence faible, mais aussi à travers la démocratisation des outils de « télé-présence », notamment les applications holographiques VR/AR qui vont permettre aux apprenants de se sentir tous dans la même classe !
La réactivité des Algériens dans le domaine du numérique a-t-elle été à la hauteur des enjeux de la crise sanitaire ?
Cette crise sanitaire a permis à tout le monde de constater l’importance des outils numériques, que ce soit pour la gestion de la crise elle-même (comme tout autre crise ou catastrophe naturelle), que pour permettre la continuité de l’activité économique et culturelle d’un pays.
Dans cette crise, on a pu constater l’élan de solidarité de nos compatriotes sur les réseaux sociaux et autres plateformes numériques, ainsi que la démultiplication des projets et initiatives pour apporter rapidement des solutions dans cette situation d’urgence. Néanmoins, notre gestion « collective » de la crise a démontré que nous manquons de coordination.
La démultiplication des initiatives indépendantes les unes des autres, a réduit considérablement l’efficacité de la réponse. Nous avons appris tous « by the hard way », que nous manquons de coordination dans l’écosystème du numérique en Algérie. C’est un point sur lequel nous devons tous travailler d’avantage, pour être plus performants.