« Il a fallu tout réinventer ». Les pionniers du web algérien ont dû composer avec une situation bien particulière : qui embaucher pour remplir des tâches que personne n’a jamais accomplies avant ?
Les métiers du web trouvent un essor de plus en plus important à mesure que la professionnalisation suit son cours : référenceur, web analyste, community manager, rédacteur web, responsable acquisition, mais aussi motion designer, lead designer, et l’on peut continuer ainsi une liste interminable d’anglicismes indistincts, autant de nouvelles carrières qui s’ouvrent sur le marché du travail.
Nous ne verrons qu’un simple fragment des opportunités qu’offre le monde du web, des parcours humains et professionnels qui nous aideront à mieux comprendre comment fonctionne notre web juvénile.
Khaled Djebloun, Directeur Artistique, Houria Bouchama, Community Manager, et Sid Ali Sabaou, Motion Designer, chez Med&Com, ont bien voulu se prêter au jeu des questions-réponses. Quand on pense « métier du web », on a tendance à penser «diplôme en informatique », et que nenni ! Les profils sont aussi distincts que les besoins générés par le passage au numérique des différents secteurs d’activités.
Prenez le post de « chargé de contenu » par exemple. Sous ce terme générique se cachent professionnels et amateurs de tous horizons, titulaires et freelancers de toutes formations et de tous âges. Au-delà du format et des outils auxquels il faut s’adapter, comme les logiciels de gestion du contenu d’un site par exemple, les métiers du web sont souvent une affaire de rencontre fortuite, de compétences diverses, acquises pour certaines en dehors des bancs universitaires.
Typiquement, nous allons voir qu’un ingéniorat en génie mécanique ne vous empêchera pas d’être un sacré directeur artistique.
Le Directeur Artistique est celui qui définit l’identité graphique de l’entreprise. Un professionnel de l’image qui doit avoir l’oeil, et ne manquer ni de créativité ni d’imagination pour donner naissance à des sites à la fois cohérents et inventifs.
" Je ne suis pas le meilleur des exemples à suivre pour ce qui est du choix de la formation. D’ailleurs, par la force des choses, j’ai suivi des études à l’Université des Sciences et de la Technologies Houari Boumediene. Quelques années après, j’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur en génie mécanique, option science des matériaux. Vous l’aurez compris, je suis un autodidacte ".
Vous avez une âme d’artiste ? Vous griffonnez des esquisses en tous genres et pensez à la meilleure façon de transformer ce potentiel en carrière ? Notre directeur artistique nous dit quelques mots sur la formation à suivre…
" Pour un créatif, avoir de bonnes connaissances théoriques est un atout majeur pour son travail au quotidien. Certes, on travaille dans un domaine artistique, mais on vend avant tout de la communication visuelle. Il faut vraiment maîtriser son discours créatif. On ne met pas du bleu parce que c’est joli ou de l’Helvetica comme police de caractère parce qu’elle passe partout! La formation universitaire nous aide à argumenter nos choix, ou du moins, c’est ce qu’il faut absolument chercher à apprendre. Bien qu’il n’y ait pas de formation spécifique, je conseille les jeunes bacheliers « passionnés » voulant se lancer dans ce domaine de passer par une école supérieure des beauxarts. Il y en a une à Alger, une à Oran et une autre à Constantine avec comme disciplines enseignées la communication visuelle entre autres. Il y a toujours après des centres de formation aux métiers de la communication visuelle comme l’institut INSIAG à Bir Mourad Rais (Alger) ou quelques écoles privées. Mais malheureusement, nous sommes loin des formations académiques qui se font à l’étranger ".
Les métiers du web, de part leur apparition relativement récente, ne font pas partie des archétypes sociaux comme le métier d’avocat, de médecin, ou d’architecte. Il faut avoir le « feu sacré » pour se lancer à corps perdu dans l’aventure, et le moins que l’on puisse dire, c’est que Khaled Djebloun n’en manque pas, de feu sacré.
" On ne décide pas du jour au lendemain de devenir Directeur Artistique. C’est un aboutissement logique quand on est passionné par le graphisme, surtout après quelques années de travail dans le domaine. Au début de ma carrière, je n’ai cherché qu’à apprendre. J’ai donc ciblé les studios de créa et les agences conseils en communication, là où il y avait de bons éléments histoire d’avoir de solides bases. Dans notre domaine, les premières années de travail sont très déterminantes pour avancer à pas sûrs dans sa carrière. Un simple exemple : comment résoudre les grands problèmes de thermodynamique ou de mécanique à l’université si dès le départ nous avons mal suivi les cours de maths au CEM ou à l’école ? J’ai eu mon premier poste en juin 2003 dans une boîte qui travaille dans l’aménagement des stands et l’impression numérique. C’était une très bonne expérience étant donné que cela m’a permis de connaître la chaîne d’impression,… Après une année et demi, j’ai intégré une team créa au sein d’une agence conseil en communication en tant que graphiste/webdesigner. Là, par contre, j’ai vécu une expérience complètement différente si l’on se base à la première dans le sens où nous sommes confrontés à une véritable expérience créative sous la responsabilité d’un directeur de création. C’était à mon avis le point de départ de ma carrière. En 2005 et pour des raisons de timing, j’ai fait 2 ans de freelance (passage obligatoire pour un créatif) où j’étais sous contrat avec un studio graphique. Bien que je suis passionné par la pub d’une manière générale, le digital est un domaine qui m’a toujours attiré d’où mon intégration en tant que webdesigner à l’agence Med&Com en 2007, une société spécialisée dans le web marketing. C’est d’ailleurs dans cette entreprise que je travaille actuellement en tant que Directeur Artistique ".
Choisir un métier est aussi une affaire de stabilité, de confiance en l’avenir. L’essor du web crée des opportunités quotidiennes et la proposition d’embauche passe souvent par le format web. Emploitic, emploipartner, et autres sites d’offres d’emploi emboitent naturellement le pas aux médias classiques pour trouver des collaborateurs. Notre directeur artistique nous donne son analyse des opportunités d’embauche et des perspectives d’évolution dans sa branche…
" Il y a 5-7 ans, la mode était portée sur les médias classiques. La plupart des directeurs artistiques étaient d’ailleurs orientés Print. Aujourd’hui et avec l’effervescence du digital, le Web a pris de l’ampleur et a permis une ouverture du champ de recrutement. Du coup, l’offre dans ce secteur est plus importante que la demande. Les créatif web auront moins de mal à être embauchés que ceux des médias classiques. Pour les directeurs artistiques, le processus de recrutement est plus sélectif et dépend des besoins de chaque entreprise. Il est facile de se faire embaucher, avec un book solide en tout cas ! Il faut savoir que notre portfolio est notre image publique. Dans le milieu de la publicité, on est bon graphiste ou bon Directeur Artistique si dans notre parcours on a fait des travaux qui ont été appréciés ou qui ont fait le « buzz » ! Ensuite, il y a des perspectives d’évolution mais cela dépend de la nature de l’agence. Il existe de petits studios qui se contentent d’un seul graphiste par exemple. Les structures plus importantes se doivent d’avoir une équipe créa avec des disciplines variées ainsi qu’une hiérarchie bien structurée, et c’est là qu’il peut y avoir une éventuelle évolution. On passe de graphiste à Directeur Artistique, de Directeur Artistique à Directeur de Création, mais cela n’est pas systématique. Il faut avoir les aptitudes et les exigences de chaque poste. Sinon, cela n’est pas une fin en soi. Parfois, il vaut mieux rester un excellent graphiste toute sa vie que devenir un Directeur Artistique qui n’occupe pas le bon poste ".
Parmi les métiers qui brassent les profils les plus hétéroclites, et davantage que celui de Directeur Artistique, on trouve le Community Manager. Le modérateur web, ou animateur de réseaux sociaux, est un poste de plus en plus clé pour toute entreprise qui possède une image sur la Toile. Place à une seconde chronique :
Le Community Manager représente et optimise l’image de son entreprise sur le web, essentiellement sur les réseaux sociaux. En Algérie, qui dit réseaux sociaux dit Facebook, c’est donc sur ce même réseau que le Community Manager algérien a le plus de tâches à accomplir : gérer, animer et modérer les fan-pages, réagir aux discussions et surtout, faire une veille continue autant sur ce qui est dit à propos de sa marque qu’à propos de ses concurrents.
" J’ai découvert mon métier le jour de mon entretien d’embauche, lol! J’avoue que je ne le connaissais pas du tout, jusqu’à ce que mon employeur me le propose. C’était tout nouveau pour moi, il a vu que j’avais plus ou moins les qualités requises pour ce poste et m’a expliqué en quoi ça consistait, et ça m’a assez séduite ! J’avais quelques appréhensions au début mais une fois que j’ai commencé, je me suis très vite adaptée. J’étais en plus entourée par des personnes avec qui j’ai beaucoup appris, le métier m’a plu, et je ne le regrette pas du tout ".
Encore un parcours atypique… manifestement. C’est dans ce contexte où tout est à faire dans le domaine du web qu’il faut croire en ses aptitudes. Vous pensez savoir rédiger ? Osez ouvrir des pages Word, écrire pour un média donné, et envoyez vos travaux. C’est bien souvent « la bonne personne au bon post » qui fait loi, davantage que la chronologie des études. Houria Bouchama décrit d’ailleurs ce qu’il faut pour devenir un bon Community Manager.
" Le Community Manager doit absolument avoir une bonne connaissance du web, car c’est là que tout se passe pour lui. Il doit bien connaitre sa marque et l’humaniser au maximum pour être crédible envers sa communauté. Connaitre sa cible est aussi très important pour un CM afin qu’il puisse savoir communiquer et s’assurer que son message arrive correctement à la communauté qu’il anime. Sans oublier évidemment avoir de bonnes qualités relationnelles et faire preuve d’un grand sens de diplomatie et d’ouverture d’esprit, ainsi que d’excellentes qualités rédactionnelles: tout ce qui est fautes d’orthographe est à éliminer sinon le message perd toute sa crédibilité. Il n’y a malheureusement pas de filière destinée au Community Management en Algérie. Le futur CM doit d’abord avoir un minimum des qualités citées ci-dessus, et le reste viendra avec la pratique. Il doit faire ses propres recherches, et surtout sa propre veille, afin de se perfectionner et maitriser le métier. Il faut s’habituer à faire de la veille, du benchmarking, chercher le maximum d’idées et de concepts qui peuvent promouvoir une marque sur le web. Ne pas hésiter à s’inspirer de ce qui se fait à l’étranger, essayer au maximum de prendre des initiatives, tenter de rester à jour côté technologies/web et laisser libre court à sa créativité et à son imagination ".
Les communautés web influencent drastiquement l’image de marque d’une entreprise, et notre Community Manager explique en quoi la demande d’emploi dans ce domaine est promise à un bel avenir.
" La communauté web ne cesse de grandir, et son impact aussi. On voit que ceux qui sont tout le temps « connectés » sont toujours les premiers à être au courant de ce qui se passe dans n’importe quel domaine. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à réagir immédiatement et dire tout ce qu’ils pensent. Les marques l’ont bien compris et essayent de tourner cela en leur faveur, c’est pour cela qu’ils commencent sérieusement à s’intéresser à la communauté présente sur les réseaux sociaux et à y consacrer une importante partie de leurs stratégies. Si ces marques s’y prennent bien et trouvent le moyen de toucher l’internaute, ça peut vraiment jouer en leur faveur et ils pourront facilement se faire apprécier par une tranche extrêmement importante et grandissante de la société. Le Community Manager exerce généralement dans les agences web/digitales. Cependant, en Algérie, les agences qui consacrent tout un département aux médias sociaux ne sont pas très nombreuses, mais je suis sûre que d’ici quelques années, cela va se démocratiser encore plus et devenir une vraie structure à part entière ".
Retour à nos artistes en herbe avec l’un des métiers les plus récents sur le marché du travail : Motion Designer. Sid Ali Sabaou a « toujours eu une passion pour l’animation », et il y a une époque où produire des contenus animés était le rêve d’une foule de gosses à l’imagination débordante, et dopée aux mangas. 3ème chronique d’un métier du web tout en mouvements…
Le rôle du Motion Designer est de réaliser des contenus animés sous forme de messages publicitaires. Ces derniers sont le plus généralement diffusés, d’une part sur le web en tant que bannières publicitaires (on parle aussi de « Rich Media » lorsque ces contenus sont interactifs), et d’autre part comme spots TV, destiné donc à être diffusés sur une chaine de télévision.
" J’ai toujours voulu faire de l’animation. A l’époque où j’étais encore étudiant en arts graphiques, je m’amusais à créer des animations pour des mini-projets qu’on nous demandait de faire alors que ce n’était même pas prévu dans le cursus… Toutefois, ça n’était pas évident de trouver du travail en tant que Motion Designer, car la demande y était quasiment absente jusqu’à quelques années de cela. En parlant de rêve et d’animation, je ne peux ne pas évoquer ce grand maître de l’animation japonaise «Hayao Miyazaki » qui, grâce à son génie, est devenu une grande source d’inspiration et de motivation pour pas mal de gens de ce domaine… Il se trouve que je fais partie de ces gens-là ".
Sid Ali Sabaou est donc arrivé à se lancer dans une carrière de Motion Designer, et malgré les options de formation limitées sous nos cieux, il a maximisé ses chances à travers le parcours qu’il nous raconte.
" En Algérie, il n’y a malheureusement pas de cursus dédié pour se professionnaliser dans cette branche. Il existe bel et bien des formations destinées à la maîtrise de logiciels (3D, Flash), et donc plus axées technique, mais cela est loin d’être suffisant à mon avis. Pour ma part, le fait d’être diplômé en arts graphiques était loin d’être suffisant. J’ai dû (comme beaucoup de créatifs et designers en Algérie), m’auto-former pour « compléter» cette insuffisance là, que ce soit et du côté théorique (composition, animation, couleurs,…), que du côté pratique et technique (maitrise des logiciels). Les bons Motion Designers d’aujourd’hui sont ou ont été le plus souvent de bons designers. C’est donc un avantage de choisir une filière artistique, avant de se lancer dans des formations pour maitriser les logiciels de 3D, d’effets spéciaux, etc. Chose qui est je pense accessible à toute personne motivée. J’ajouterais que pour moi, la principale inspiration et formation se trouve sur Internet. Il est donc important de faire de la veille, lire des articles sur le Net, visiter des blogs, etc ".
On ne s’improvise donc pas Motion Designer et l’acquisition des compétences est plus simple si l’on correspond au profil de Sid Ali Sabaou. Les outils qui font un bon Motion Designer sont autant d’ordre logiciel, que d’ordre personnel.
" Comme pour chaque métier du domaine artistique, la créativité et une bonne vision artistique sont des qualités essentielles. En plus des notions de base telles que la composition, la typographie, et la couleur, le Motion Designer doit savoir utiliser les aspects de la physique à son avantage: un objet léger ne va pas être animé (vitesse, déformation,…) de la même manière qu’un objet lourd par exemple. Côté software, en plus des logiciels de retouche d’images comme Adobe Photoshop, de dessin vectoriel comme Adobe Illustrator, et Autodesk Maya pour la 3D qui permettent de préparer les éléments graphiques qui vont être animés par la suite, il faut savoir utiliser Adobe Flash, principalement pour les animations vectorielles qui sont légères et donc pas très gourmandes niveau bande passante, parfaites pour être diffusées sur le web. Il y a aussi Adobe After effects, pour des animations plus complexes et pour d’éventuels effets spéciaux. Il faut savoir que le métier de Motion Designer est un métier relativement nouveau. Il y a quelques années, il aurait été impossible d’avoir un tel statut professionnel. En Algérie, le possesseur de ce statut peut travailler dans une boite de communication interactive et donc réaliser principalement des campagnes publicitaires sur le web ou encore grâce à la privatisation de l’audiovisuel, travailler sur des spots TV pour des chaines de télévision ".
« Je te lance un défi : tu as 48 heures pour écrire et m’envoyer un article sous le thème « ADSL en Algérie, une vitesse de tortue » », me disait Samia Addar, coordinatrice de rédaction de N’TIC Magazine, 5 minutes après notre première rencontre. Deux ans plus tard, la chronique de mon métier du web continue à s’écrire parmi les pages que vous lisez, et nul doute que bien d’autres chroniques minées d’anglicismes indistincts contribuent à faire murir notre web juvénile. Il ne reste donc plus qu’à se lancer !