Contenu DZ : un patient en "Etat" critique

Numéro dossier: 76

Index de l'article

Paiement par téléphone en janvier 2013, internet mobile (3G) en 2012, pénétrance des TIC dans les foyers, projet e-Algérie, projet e-Santé, utilisation pertinente du fonds d’appropriation et des usages et du développement des TIC (le FAUDTIC)…, la liste des arlésiennes, des attentes déçues, et des avortons de belles idées ponctuent l’histoire récente des TIC en Algérie. L’avancée à pas feutrés du contenu DZ dans un monde en pleine ruée sur les TIC est le fil conducteur de cette rubrique. Le dossier du mois n’est pourtant ni un flot de critiques, ni un ruisseau de larmes, mais une succession de questionnements dont le but est on ne peut mieux formuler que ceci :


" Le plus important est que ce que nous faisons puisse servir à aider notre pays à mieux faire dans le secteur des TIC ". Telle a été la teneur de notre dernier échange épistolaire avec le Docteur Ali Kahlane. En préparant ce dossier que nous consacrons au contenu local en matière de TIC, mais aussi aux effets d’annonces et procrastinations qui minent la toile DZ, nous avons soumis nos interrogations à l’analyse sans concession (et non dénuée d’espoir) de Ali Kahlane, dont voici un aperçu du pedigree :

Président de l’Association Algérienne des Fournisseurs de Services Internet (AAFSI), membre de qualité du Comité Sectoriel Permanent de la Recherche pour le Développement des TIC (au Ministère de la Poste et des Technologies de l’Information). Il est aussi membre du Collège international de l’Afnic (Unesco), ancien professeur à l’Ecole militaire polytechnique (ex-Enita), et Docteur en informatique (Ph.D, UK). Il est aussi Président de Satlinker, fournisseur de Services Internet… Maintenant que les présentations sont faites, voici la teneur de nos échanges :


A propos du .DZ


NTIC : 95% des sites algériens sont hébergés à l’étranger, et les sites en .dz restent marginaux. Quelle est votre analyse sur cette situation ? Est-ce lié purement aux causes techniques ? Avez-vous des pistes pour renverser la vapeur à terme ?

Ali Kahlane : « Le constat n’est malheureusement pas très reluisant. Son actuel gestionnaire ne liste que 4 000 noms de domaine enregistrés. Cela fait 17 enregistrements en 20 ans. Sans compter que dans ce nombre, seul un tiers, soit 1 400 sites web, est opérationnel. Comment expliquer ce délaissement quasi total du domaine national ? Comment peut-on accepter cela ? Même si le Cerist, de carcan, est en train de devenir la tombe du .dz, il n’est pas la seule cause de cette désaffection incompréhensible de notre emblème national sur le Net. De toutes les études, de tous les articles et interviews, émissions radio et télévisions ainsi que les avis des professionnels de l’Internet, il semblerait que le frein qui empêcherait l’Algérien à enregistrer son nom de domaine en .dz a été identifié.

Certes, toutes les raisons invoquées par-ci par-là, telles que les procédures bureaucratiques, les lenteurs occasionnées, le problème du paiement des frais (quoique l’enregistrement du .dz est gratuit depuis 2008), en passant par la fiabilité des serveurs d’hébergement et de leur connectivité, sont importantes et peuvent laisser penser qu’elles sont la cause. En fait, elles deviennent toutes secondaires comparées à ce frein, à cet obstacle majeur qui est le manque de confiance dans le .dz. Tous ceux qui rechignent à utiliser le .dz évoquent à un moment ou un autre cette carence manifeste, avec pratiquement la même acuité.

Appelons un chat, un chat, et acceptons comme un postulat le fait que l’Algérien « ne veut pas » héberger son site web en Algérie, car il ne fait pas confiance à l’hébergeur de son site web et encore moins à l’hébergement de sa messagerie qu’il estime ne pas être suffisamment sûr ».

Comment faire alors pour créer un espace de confiance dans lequel le .dz pourrait évoluer et progresser ?

« La solution est simple : une décision rapide et ferme qui sortirait la gestion du .dz de l’organisme Cerist. Il faut la remettre immédiatement à une structure totalement indépendante dont le seul rôle serait de gérer et de promouvoir le domaine national ! Cette structure pourrait être une association dont le bureau exécutif élu serait composé d’un représentant du Ministère de tutelle, de deux représentants des ISP (un public et un autre privé), un représentant du monde universitaire (ESI, universités, …) et des représentants des internautes. Cette association gérera le .dz, elle en vivra car elle n’aura nullement besoin de subventions de l’Etat, les redevances recueillies auprès des clients suffiraient amplement comme partout de par le monde où ce type d’organisation a été choisi ».


 

A propos de la 3G et des technologies « d’avenir »

NTIC : une bonne partie des contenus locaux est solidaire de deux technologies fondamentales: l’internet mobile et la géolocalisation (je pense à StreetView, à Foursquare, à Yelp,...), ce qui pose la question de la 3G. Trouvez-vous la stratégie des autorités pertinentes en matière de 3G (dont l’accès dépend du dossier Djezzy)? Ne faudrait-il pas viser directement des technologies plus récentes si l’on veut réduire davantage la fracture numérique ?

Ali Kahlane : « D’abord, le dossier Djezzy ne devrait plus être une excuse aux tergiversations que nous vivons depuis bientôt plus de 10 ans concernant le lancement ou pas de la 3G. En effet, depuis le 2 décembre 2012, l’actionnariat algérien (un fonds d’investissement étatique avec des privés algériens) est passé à 51% dans OTA (Optimum Telecom Algerie, ex.Orascom Telecom Algerie), qui garde 49%. Le dossier est donc clos. Ceci dit, personnellement, j’estime que les délais et reports successifs du lancement de la nouvelle génération de mobile n’ont jamais rien eu à voir avec le dossier Djezzy, du moins pas au point de tout bloquer. Les allers-retours, annonces-reports datent de plus longtemps que ça. Appréciez :

24 septembre 2004 : Algérie Télécom et Huawei font des tests concluants de la 3G. Le Ministre annonce alors la 3G pour la fin 2005. Puis pour la fin 2006 pour ensuite l’annoncer pour la fin de l’année 2007.

29 mai 2008 : le nouveau Ministre (M. Bessalah) annonce le lancement de l’appel d’offres de la 3G avant la fin de l’année 2008.

16 juillet 2010 : le nouveau Ministre (M. Benhamadi) annonce le lancement de l’appel d’offres de la 4G (oui ! vous avez bien lu, la 4G) avant la fin de l’année 2010.

19 septembre 2011 : volte face ! Lancement officiel de l’appel d’offres de la 3G. Cahier des charges élaboré par le MPTIC, appel d’offres lancé par l’ARPT.

10 novembre 2011 : le MPTIC annonce l’annulation de l’appel d’offres. Il le reporte pour le promettre pour avant le 5 juillet 2012.

19 septembre 2012 : le MPTIC annonce que la 3G sera lancée avant la fin de l’année 2012.

12 décembre 2012 : annonce que la 3G sera lancée avant la fin mars 2013…

J’avais déclaré, il y a un peu plus d’un an, que « la 3G existe et a été adoptée par de nombreux pays depuis longtemps déjà. Certains de nos voisins l’ont et se préparent sérieusement à la 4G ». Je le pense toujours, aujourd’hui encore plus qu’hier. Il est clair que l’adoption d’une nouvelle génération de téléphones mobiles nous permettrait de multiplier par 5 le nombre d’abonnés à Internet et passer ainsi des 1.1 millions abonnés actuels à près de 6 millions d’abonnés, un chiffre magique que le plan e-Algérie prévoyait justement d’atteindre à la fin de cette année. L’internet haut débit mobile et l’ubiquité qu’ils procureront devront permettre à tous les acteurs qui en sont capables de développer des applications et du contenu.

A l’instar de tous les pays qui ont atteint les 100% de télé-densité mobile, notre façon d’utiliser Internet et surtout d’en produire le contenu va changer tout autant que nos habitudes de communiquer, qui en seront profondément bouleversées ».


 

A propos d’e-Algérie


NTIC : e-Algérie représentait un véritable espoir pour tout amoureux de TIC en Algérie. Pourquoi ce projet a tant de mal à se concrétiser selon vous ? Et que pouvons-nous en attendre ?

Ali Kahlane : « Malheureusement, e-Algérie, nous y sommes rentrés et, en 2013, nous y sommes encore et même un peu plus, puisque nous sommes à l’orée de son deuxième trimestre. Nous aurions dû commencer à faire les bilans de ce plan lancé au début de l’année 2009 tambour battant. L’un des nombreux objectifs d’e-Algérie était de permettre à 6 millions de foyers d’avoir accès à un ordinateur. Actuellement, moins d’un million de foyers en serait muni. Il aurait dû permettre à la moitié d’entre eux (3 millions de foyers) de se connecter à Internet, nous comptons moins d’un million d’abonnés.

La 3G aurait du avoir permis d’augmenter substantiellement le nombre de connectés à Internet au moyen du haut débit mobile. Le projet e-Algérie comportait 1 010 actions supposées propulser notre pays dans le concert des nations ayant maîtrisé les TIC. Pour le bien du citoyen à travers la mise en place de services en ligne, pour le bien de l’entreprise en lui permettant de moderniser ses outils de gestion. Pour lancer, suivre et réaliser ces actions, il aurait fallu un Chef de Projet. e-Algérie n’en avait pas et n’en a toujours pas.

Les TIC sont transversales à tous les secteurs, elles ne peuvent dépendre d’un Ministère donné. Ce dernier ne peut raisonnablement donner des instructions aux autres. Il faut créer une structure, une délégation chargée de mener à bien la mise en place d’un tel projet. Elle serait ce Chef de Projet qui nous manque tant. Pour essayer de rattraper ce retard, nous devons être guidés par une démarche pragmatique. Nous avons les hommes. Nous savons que la bataille pour le développement passe par la maîtrise des TIC. Nous savons aussi que la mondialisation impose de nouveaux paradigmes. Pour cela, il nous faut six fondamentaux.

Le premier, comme dit plus haut, serait une délégation, indépendante et transversale à tous les secteurs pour les études et les conseils (relevant de la présidence ou du Premier Ministre). Le deuxième est une politique globale, une espèce de mini e-algérie réaliste et réalisable. Le troisième serait un ensemble de stratégies sectorielles ainsi qu’intersectorielles, au moins autant de stratégies qu’il y a de secteurs ministériels. Le quatrième serait des appuis techniques tels que le Cerist et l’ESI pour la formation de la ressource humaine nécessaire, de la veille technologique, et du développement de la recherche. Le cinquième serait des partenaires fondamentaux tels que l’ARPT, les opérateurs télécoms (AT, OTA, Wataniya,...), les associations professionnelles (Aafsi, Aassel et Aita), et tous les prestataires de services publics et privés. Enfin, le sixième et dernier fondamental serait les sources de financement qui proviendraient du prélèvement d’une taxe spéciale sur les revenus des opérateurs téléphoniques et d’une partie des avoirs de l’ARPT auxquels nous y adjoindrons les revenus de la gestion du .dz.

Dans la majorité des pays, y compris nos proches voisins, nous remarquons que les subventions des TIC par les pouvoirs publics sont rarement nécessaires, exception faite pour la formation de base et certaines activités de recherche et développement ».


 

A propos du contenu local



NTIC : quels acteurs font le contenu local ? De quoi avons-nous le plus besoin, selon vous ? D’informaticiens ? De blogueurs ? Quelles compétences font émerger du contenu local ?

Ali Kahlane : « A l’échelle d’un pays, le premier contenu internet dont nous aurons tous besoin, car immédiatement disponible et structurant socialement, est celui que l’administration et que toutes les institutions pourraient mettre en ligne au service du citoyen pour améliorer notre « vivre ensemble ». Le deuxième contenu, tout aussi utile et structurant économiquement, est celui que les entreprises et toutes les entités économiques pourraient mettre sur leur site web pour une meilleure visibilité de leurs produits et prestations. A l’échelle de l’individu, la possibilité de s’exprimer, communiquer, échanger, maintenir un blog ou tout simplement agrandir et entretenir ces réseaux sociaux contribuent indéniablement à un contenu local et national.

Le reste du contenu viendrait des professionnels de la communication en développant encore plus d’informations en ligne et/ou plus d’oeuvres culturelles ou littéraires. Avec l’avènement de la 3G ou 4G, les professionnels des TIC auront beaucoup à faire pour y développer des applications idoines. A ce propos, le lancement de nouveaux services innovants stimulera la demande pour l’Internet mobile. Celui-ci changera fondamentalement l’approche marketing. Le champ de bataille des opérateurs mobiles, pour améliorer leur revenu moyen par utilisateur (Arpu), n’aura plus comme base le coût à la minute mais la qualité de la connexion Internet mobile et surtout le contenu qu’ils offriront ou pas ».

A propos du FAUDTIC

NTIC : Que nous enseigne l’échec (ou en tout cas la non réussite) du FAUDTIC sur l’intérêt que nous portons sur le contenu DZ ?

Ali Kahlane : « Le Fonds d’Appropriation des Usages et du Développement des TIC a été la première action lancée dans le cadre du Plan e-Algérie avant même que le plan ne soit finalisé. Une loi spéciale l’avait mis en place à la fin de l’année 2008 pour financer d’une manière totale ou partielle des projets initiés par des personnes morales ou physiques, qu’elles soient de droit privé ou public. Il devait surtout prendre en charge le financement et l’aide aux start-up ainsi qu’au développement du contenu, en particulier. Si l’on exclut son utilisation par le Cyberparc de Sidi Abdallah pour l’hébergement de porteurs de projets et de start-up, ce fonds n’a pas été utilisé en dehors de cette tutelle.

Depuis sa création, il a lancé une seule fois un appel à candidature qui a duré 40 jours (du 20 novembre 2011 au 3 janvier 2012), le site www.faudtic.dz est bien opérationnel mais avec un contenu qui date de début 2012. Si nous ne faisons rien, comme par exemple le relancer tout de suite pour tous et dans une transparence totale, le FAUDTIC (comme toutes les bonnes idées qu’ont eues les différents Ministres de la Poste et des TIC depuis 2000), qui a été tué dans l’oeuf par une bureaucratie omniprésente et envahissante, serait alors tout simplement enterré par l’absence de bonne gouvernance ».


En conclusion : il en devient presque comique de ressasser l’historique des retards et des annonces sans suite qui se succèdent depuis quelques années… Toutefois, aux rires nerveux, nous préférons les coups de gueule, avec l’espoir candide que la marche vers le développement des TIC s’en trouve accélérée. « C’est avec entrain et plaisir que je me plierais aux jeux des questions et réponses, si cela peut contribuer à rajouter du contenu au contenu » nous écrivait Ali Kahlane en réponse à notre tout premier mail… Un plaisir partagé.