Alors que l’aoûtien finit de savourer ses courtes vacances, notre dossier du mois joue les trouble-fêtes et nous ramène vers les bancs de l’école…ou presque. L’e-learning, encore loin d’être confortablement installé dans le paysage éducatif algérien, n’est toutefois pas resté inerte durant cette dernière année. A une poignée de semaines de la rentrée, nous donnons la parole à Amel Behaz, experte en formation par les TIC, et nous faisons une mise au point sur quelques initiatives réussies en la matière. Tour d’horizon sur ce qui est fait, et sur ce qui reste à faire dans un domaine résolument d’avenir.
E-learning : un avis d’expert
C’est à travers sa thèse intitulée « Approche de modélisation d’un apprenant à base d’ontologie pour un hypermédia adaptatif pédagogique » que nous avons découvert notre intervenante du mois et, avant de plonger à corps perdu dans nos échanges épistolaires, une petite présentation est de rigueur.
Qui est Amel Behaz ?
Maitre de conférences, elle est enseignante chercheuse à l’UHLB (Université Hadj Lakhdar de Batna), faculté des sciences, département Mathématiques/Informatique, depuis 1993. Membre du comité pédagogique du département et responsable de la formation licence Maths/ Informatique, elle est aussi membre de Projets de recherche Cnepru et PNR (Projet de Recherche National). Amel Behaz est aussi membre du réseau FormaTIC http://formatic.dzportal.net, dont l’objectif est de former les chercheurs algériens en TIC. Elle compte à son actif la création de nombreux cours en ligne sur http://elearn.univ-batna.dz, ainsi que la signature de nombreux articles scientifiques dans des revues et conférences internationales.
Ses travaux en cours n’étant pas tous au stade de publication, c’est un tour d’horizon global qu’elle nous soumet à travers un jeu de questions/réponses, dont la plus fondamentale est :
Qu’est ce que l’e-learning ?
Wikipédia apporte une définition simple et efficace: l’e-learning est l’utilisation des nouvelles technologies multimédias de l’Internet pour améliorer la qualité de l’apprentissage en facilitant d’une part l’accès à des ressources et à des services et, d’autre part, les échanges et la collaboration à distance.
Quels concepts de base faut-il définir pour mieux le comprendre ?
Nous savons bien que les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication appliquées à l’Education «TICE» ont beaucoup contribué à la diffusion des connaissances via ce nouveau mode d’apprentissage. Celui-ci est basé sur l’accès à des formations en ligne interactives, à travers des environnements d’apprentissage médiatisés (Moodle, Claroline, Ganesha,...). Un environnement d’apprentissage médiatisé est un dispositif global fournissant à un usager (apprenant, enseignant/tuteur, administrateur) un point d’accès unique (à travers les réseaux informatiques) à l’ensemble des ressources et des services numériques en rapport avec leurs activités.
Le tuteur crée des parcours de formation type, et incorpore des ressources pédagogiques multimédias ainsi que des ressources de suivi des activités des apprenants. L’apprenant peut consulter en ligne (ou télécharger) les contenus pédagogiques qui lui sont recommandés, effectuer des exercices, s’auto-évaluer et transmettre des travaux à son tuteur pour les corriger. L’administrateur, de son côté, assure l’installation et la maintenance du système, gère les droits d’accès, et crée des liens vers d’autres systèmes et ressources externes, etc.
Quel état des lieux faites-vous du e-learning en Algérie ?
En Algérie, devant la croissance du nombre d’étudiants ainsi que l’insuffisance de l’encadrement pédagogique, l’e-learning permet d’apporter des solutions à ces problématiques. Ainsi, l’e-learning se renforce de plus en plus en Algérie grâce à plusieurs plateformes qui poussent. Citons par exemple la plateforme expérimentale appelée AVUnet (Université virtuelle algérienne), et le portail des TIC en Algérie (Elabwab), dont je suis membre. On y a recensé environ 50 000 accès, et plus de 50 cours ou compléments de cours. Ces plateformes fournissent aux apprenants des cours structurés et des interfaces pour y accéder et communiquer entre eux et/ou avec un enseignant. Une autre expérience e-learning est née, Tarbiatic, qui renferme près de 600 cours multimédias (Maths, Physique, Chimie, Science, ...), et près de 4 000 exercices multimédias avec leurs corrigés. L’école numérique Tarbiatic se présente comme une solution intégrée qui offre aux écoliers la possibilité d’accès à des programmes d’apprentissage ».
Quels sont les avantages et inconvénients du e-learning? Qu’est-ce que votre expérience vous a appris quant à la faisabilité de la chose, vu notre système éducatif ?
Notre expérience d’enseignement mixte avec l’université algérienne nous a permis de nous rendre compte sur le terrain des avantages et des difficultés réelles de la mise à distance et de l’accès aux ressources éducatives.
Les avantages du e-learning sont cités comme suit :
• accès facile et peu coûteux aux diverses ressources éducatives disponibles,
• possibilité d’exploiter et de développer des interactions de qualité,
• flexibilité de la gestion du temps de formation avec possibilité de revenir en arrière,
• économies de temps.
En revanche, la formation e-learning nécessite:
• une bonne motivation de la part de l’apprenant, car nous savons très bien que ce type d’apprentissage conduit les apprenants à avoir moins de contacts avec les enseignants et les amène à être plus autonomes, à être davantage acteurs de leur formation,
• que les écoles, les universités et toutes les institutions à caractère pédagogique aient un accès à Internet à très haut débit,
• que les institutions proposent le développement d’actions pour soutenir les enseignants universitaires (impliqués par le e-learning) à plusieurs niveaux, par exemple : formation continue dans leur domaine de spécialité, dans les méthodes didactiques et dans les TIC ; ouverture de postes ; flexibilité pour travailler à l’extérieur du campus universitaire.
Zoom sur vos travaux : sans trop en dévoiler, que pouvez-vous nous dire sur le système d’e-learning sur lequel vous travaillez ?
Avec l’explosion d’Internet et le développement des technologies, c’est le savoir constamment actualisé qui va vers l’apprenant. Il se trouve que la forme des ressources numériques n’est pas toujours bien adaptée à une exploitation pédagogique efficace. Nos recherches ont essayé de comprendre les relations entre les caractéristiques des apprenants, le matériel pédagogique et le contexte dans lequel se déroule l’apprentissage, afin d’introduire une adaptabilité du système au profil de l’apprenant.
En effet, un facteur important, qui est souvent masqué ou non pris en considération dans la plupart des environnements, est l’adaptation des contenus par rapport aux préférences d’apprentissage de l’élève. Donc, même avec un outil performant et un contenu très élaboré, si le mode d’apprentissage préféré de l’apprenant n’est pas pris en considération, il y a de fortes chances d’aboutir à des situations d’échec. Ainsi, notre environnement MEDYNA de type hypermédia adaptatif dynamique permet d’améliorer la qualité des contenus pédagogiques, d’aider l’enseignant à créer ses ressources, et d’offrir un apprentissage sur mesure aux apprenants.
Ainsi, l’e-learning n’est pas une entité monolithique. Plusieurs types de cursus en ligne existent, certains pensés en complément à des cours classiques (avec la présence d’un enseignant), d’autres encore reposent sur des évaluations très rapprochées pour orienter l’apprenant vers le contenu le plus adapté à son niveau, mais jusqu’ici, aucun cursus purement en ligne ne remplace parfaitement un apprentissage à l’ancienne. Le système d’e-learning doit en effet être capable de « comprendre » l’apprenant, d’établir des correspondances entre les envies de l’élève et le contenu des cours, et de maintenir l’intérêt et la motivation de l’élève. Ce sont ces aspects qui sont pris en compte dans une approche par ontologie, afin de rendre l’e-learning plus humain. Une ontologie permet d’établir des liens entre différentes données, elle est aux données ce que la grammaire est au langage.
Actuellement, pour valider nos propositions, un prototype est développé autour de XML et Java, destiné aux étudiants et enseignants de la communauté universitaire. Ce prototype est encore à un stade expérimental au niveau de l’Université de Batna en Algérie. Nous confirmons l’importance du nombre des ressources pédagogiques impliquées pour pouvoir prétendre avoir un système qui s’adapte réellement à l’apprenant.
Quels objectifs vise le prototype en cours d’évaluation dans votre département ?
Nous visions dans notre travail à satisfaire essentiellement les objectifs suivants :
• proposer un modèle complet, incluant différentes ontologies descriptives,
• mettre en place un mécanisme d’interactions qui met l’apprenant au centre du système afin d’identifier ses styles d’apprentissage,
• permettre à l’apprenant de devenir actif dans le processus de formation, et qui en même temps le responsabilise,
• offrir une interface graphique ergonomique permettant à l’utilisateur (enseignant/apprenant) de visualiser les contenus pédagogiques.
Besoins et perspectives : de quoi a-t-on besoin en Algérie pour faire de l’e-learning une réalité pour un maximum d’apprenants? Comment voyez-vous les choses à moyen et long terme concernant l’e-learning ?
Si l’usage de l’Internet se généralise en Algérie, son implication dans le développement du e-learning reste très limitée. Ceci est sans doute dû, en grande partie, à l’absence d’une politique de recherche sur les moyens et les méthodes à adopter pour l’intégration de ce mode d’apprentissage dans les différentes institutions, en particulier l’enseignement. Afin de généraliser son usage, il est primordial de développer une politique de sensibilisation et une formation des formateurs pour une bonne maîtrise dans la manière d’utiliser les outils informatiques, multimédias et de l’Internet.
E-learning : des initiatives concrètes
L’envergure du chantier donne le vertige, et bien que l’avancement des travaux semble se faire à une vitesse pachydermique, l’e-learning a réussi cette année à provoquer quelques buzz sur la toile algérienne. Piqûre de rappel pour deux d’entre eux.
Evoquer l’e-learning en Algérie fait irrémédiablement sombrer dans les tergiversations. Peu de solutions concrètes arrivent sur le marché, quand de nombreuses démonstrations, projections, et débats s’organisent autour du sujet. La grande messe algérienne de l’e-learning, le salon Tarbiatech, est une parfaite illustration de cet état de fait. Sa deuxième édition, il y a quelques mois, placée sous le thème de « l’école à l’ère du numérique », gravitait essentiellement autour d’initiatives non renouvelées dans le temps, et autour de solutions qui n’ont pas trouvé d’écho audible dans le monde de l’enseignement.
Le salon Tarbiatech est pourtant salutaire car il a fait vivre l’e-learning dans les médias. Certes, initier quelques dizaines d’élèves à l’utilisation des tablettes ne va pas révolutionner le domaine, mais des opérations telles que le « Programme de découverte technologique » redonnent de l’espoir et gomment cette fâcheuse impression de stase qui entoure l’e-learning.
Programme de découverte technologique
Pour rappel, ce programme que l’on doit au duo Microsoft Algérie et Condor Informatique (en partenariat avec le Ministère de l’Education Nationale) est une sorte de caravane numérique qui vise à apporter matériel et formation à un ensemble d’écoles pilotes réparties sur 10 wilayas.
5 chapitres constituent cette formation. Après un cours d’introduction où l’on découvre les composants de l’ordinateur, les notions fondamentales du système d’exploitation, ou encore la façon d’utiliser une souris et un clavier, on passe au chapitre Internet. Se connecter, surfer, utiliser un moteur de recherche ou échanger des mails précèdent les cours sur la bureautique, la sécurité informatique, ou encore les changements de mode de vie que provoquent les TIC.
L’e-learning ne peut s’envisager que si ces bases sont acquises, et force est de constater que si l’on prend l’ensemble du territoire national en considération, ce genre d’initiatives font sens, car jamais on ne vulgarisera l’e-learning dans les zones qui en ont le plus besoin si l’outil informatique ne fait pas partie intégrante du mode de vie des apprenants.
Condor œuvre pour l’e-learning par bien d’autres voies. Quand Condor informatique s’occupe du volet matériel, Condor ICT encourage le développement du contenu local à travers un ensemble de solutions logicielles et de services. On citera par exemple la bibliothèque numérique, mise en place en partenariat avec les maisons d’édition Dar El Houda et Noon Books.
Pour autant, il n’est pas évident de trouver des solutions clés en main pour suivre un cursus structuré, avec des examens sanctionnant, et un suivi personnalisé sans quitter le confort de son canapé. C’est encore une fois vers une institution privée, en partenariat avec une organisation non gouvernementale, qu’il faudra chercher pour trouver une telle offre :
English Discoveries Online
EDO pour les intimes, il s’agit d’une solution hybride entre e-learning et cours particuliers qui constitue une sorte de panacée pédagogique pour apprendre la langue des Monty Python: coûts maitrisés, courbe d’apprentissage plus rapide, flexibilité,…le « blended learning », ou apprentissage mixte, prend le meilleur des deux mondes. En Algérie, c’est à l’Algerian Learning Center, ALC pour les intimes, que le programme est accessible, et il faut dire que la méthode est plutôt séduisante.
Ce n’est pas un hasard, car la conception d’EDO est le fait d’Educational Testing Service (donc ETS pour les intimes), l’organisation à but non lucratif qui a inventé le fameux TOEFL. ETS est une référence inégalée quand il s’agit de tester le niveau d’un candidat en anglais. Le TOEIC est aussi l’une de leurs créations, mais ETS fait en plus dans la formation, notamment à travers sa filiale Edusoft, qui a conçu EDO.
Détail qui a son importance, ETS, qui est présent dans plus de 180 pays, a un Managing Director bien de chez nous, Zoubir Yazid, le docteur en sciences politiques au CV à rallonge qui passe du rêve américain dans « une firme à milliards » au monde des ONG. Il dira « il n’y a aucune école de psychométrie dans le monde comparable à ETS ». Le contenu d’EDO se quantifie à 1 200 heures, est multiplateformes, permet des interactions sociales entre ses membres, et s’adapte au niveau et au rythme de l’apprenant.
En conclusion, l’e-learning avance oui, mais très lentement. Initiatives sporadiques, solutions fonctionnelles rares et limitées à certaines niches, bibliothèques en ligne peu consultées par le monde estudiantin, c’est tout un programme ministère-dépendant qui manque cruellement au développement du e-learning. Tout ce que l’on peut espérer, c’est que l’année qui commence apportera assez de nouveaux éléments pour que ce dossier sur l’e-learning devienne obsolète aux prochaines vacances aoûtiennes...