Le 22 septembre 2018 se révélait au grand jour le pouvoir de mobilisation des réseaux sociaux. Ce jour-là, un parfait inconnu du grand public a réussi rassembler des milliers de jeunes à l’Office Riadh El Feth, à Alger.
« Rifka », de son vrai nom Farouk, un jeune de 21 ans connu sur le réseau social Snapchat pour ses vidéos-défis à caractère humoristique, avait lancé une invitation à ses fans pour fêter son anniversaire. Résultat, des milliers de jeunes, adolescents pour la plupart, se sont déplacés à Riadh El Feth qui n’a pas pu tous les contenir. Les forces de l’ordre débordées par ce soudain rassemblement de jeunes, ont dû embarquer le jeune « Rifka » pour maitriser la situation.
Il faut dire que des personnes comme « Rifka » ont pullulé sur le web social algérien ces trois dernières années. Sur Instagram, Youtube, Twitter, Snapchat, Facebook et autres réseaux sociaux, les Algériens qui rassemblent de grandes communautés virtuelles se comptent par milliers. Ils viennent d’horizons différents, mais partagent la particularité de s’imposer sur les réseaux sociaux comme des références dans leurs domaines respectifs. La gastronomie, la mode, le bien-être, les voyages et l’humour sont les domaines les plus investis par ces nouvelles figures qui émergent du web social algérien.
Nouveaux leaders d’opinion et créateurs de contenus
On les appelle influenceurs. Ces nouveaux leaders d’opinion et créateurs de contenus cumulent les réseaux. Youtube, Instagram et Facebook sont les plus populaires. Leur émergence a accompagné l’évolution de l’internet mobile en Algérie, avec le lancement de la 3G en décembre 2013.
Sur Youtube, c’est Oum Walid qui est incontestablement à la tête du podium avec ses 3,5 millions de fans, suivie de DZ Joker et Anes Tena. « Il est difficile de déterminer le nombre d’Algériens qui suivent effectivement ses chaînes, contrairement à Facebook où il est possible de déterminer l’audience « algérienne » d’un influenceur », explique Younès Saadi, journaliste, administrateur du site Fanzone DZ, spécialisé dans le monitoring des réseaux sociaux en Algérie. Pour lui, Facebook demeure le réseau social le plus populaire en Algérie et le plus indiqué pour les influenceurs en ce sens qu’il permet plus d’interactivité, suivi de près par Instagram qui a fait une percée fulgurante ces deux dernières années.
Selon une étude de l’agence algérienne «2PI» de novembre 2017 intitulée Algeria Digital Trends et basée sur un échantillon de 15 000 internautes représentatif de la population algérienne, « 96% des internautes algériens consultent Facebook et en deuxième position on retrouve Instagram avec 45% ».
Une communauté qui s’accroît à grande vitesse
Mais, il demeure difficile de mesurer l’audience des influenceurs sur les réseaux sociaux, de l’avis même des professionnels en matière de marketing d’influence. « La communauté d’influenceurs en Algérie s’accroît à vitesse grand V. Tous les jours, nous constatons l’émergence de nouveaux profils, parfois des copie-conformes des grandes réussites web dz, parfois des profils vraiment très atypiques. Nous manquons de chiffres sur le sujet, même nous, professionnels », explique Sonya Akli, Responsable du pôle influence de Pi-Relations, une agence de relations publiques qui a pignon sur rue à Alger.
Selon elle, en Algérie comme partout dans le monde il y a deux types d’influenceurs : les macro- influenceurs qui ont une forte communauté. Dans cette catégorie nous pouvons compter Amira Riaa et Ryma Beauty Addict dans la beauté, Mourad Ouadia et DZ Joker dans l’humour et bien d’autres dans différentes catégories. Les micro- influenceurs encore plus nombreux ont une proximité parfois encore plus importante avec leurs abonnés, car la communauté et encore jeune et regroupée, ajoute Sonya Akli qui a assisté à l’émergence des influenceurs en Algérie.
Selon elle, la première bloggueuse à s’être lancée comme influenceuse est Femme Algérienne sur Facebook. C’était en 2011. La première youtubeuse c’est Imène Magherbi Shetae, en 2013. Les autres se sont lancés plus tard.
Durant les trois dernières années, les influenceurs sont en plein « boom ». « Tous les jours je découvre de nouveaux influenceurs dont j’ignorais l’existence », témoigne-t-elle. Ce n’était pas une surprise ! C’est dans l’ordre naturel des choses, vu la popularité qu’avaient certains influenceurs marocains ou français souvent d’origine algérienne ici en Algérie. Et l’internet mobile y a joué un très grand rôle ».
L’influenceur et les marques
Le grossissement de la communauté des influenceurs n’a pas échappé aux marques qui s’arrachent les pépites les plus en vue du moment. Le but pour elles, est de tirer bénéfice de l’aura que dégage l’influenceur-censé être source d’information et d’inspiration-, auprès de sa communauté, et à petit budget. Mais pas souvent. « Un grand équipementier sportif a dû annuler sa campagne d’influence en Algérie parce qu’il considère que ce demandaient les influenceurs algériens était ‘’hors budget’’ consacré à la région MENA (Moyen Orient- Afrique du Nord) », nous affirme sous couvert d’anonymat une responsable marketing digital au sein d’une agence de communication, en charge de démarcher les influenceurs algériens.
Rémunérer une campagne pour un influenceur dépend de plusieurs facteurs : Le type de campagne, sa durée, la charge de travail, le nombre de contenus à créer… et surtout de la qualité de l’influenceur, son audience et sa relation avec ses abonnés. Il ne faut pas croire que les marques ne cherchent que celui qui a une forte communauté. L’authenticité de l’influenceur joue un rôle très important, en plus de l’interactivité avec sa communauté. « Pour certaines marques, il préférable d’avoir un influenceur qui rassemble un millier d’abonnés engagé sur le thème de blog qu’un million d’abonnés aux profils hétéroclites et sans interaction », explique encore Sonya Akli.
Certains influenceurs recourent même aux services d’un manager pour prendre en charge la gestion de leurs notoriétés. Ce sont pour la plupart des jeunes qui ne comprennent pas forcément les enjeux des contrats qu’ils ont à signer. « Beaucoup s’en sortent très bien seuls, mais il est compréhensif que certain y trouvent de la difficulté au départ ». Le rôle des agences est de servir d’intermédiaire entre les marques et les influenceurs pour que tous les deux vivent une bonne expérience et soient satisfait du partenariat.
L’influenceurs et ses fans
Les influenceurs sont aussi exigeants vis-à-vis des marques. Ils n’acceptent pas facilement de travailler avec n’importe quelle enseigne. Pour Sonya Akli : « La pertinence du contenu de la marque et les valeurs véhiculées par celle-ci sont très importants aux yeux des influenceurs avec qui nous travaillons. Ils savent très bien que leur capital ce sont leurs abonnés. Leur communauté juge tout ce qu’ils font, et s’ils ressentent trop l’aspect publicitaire, ils vont critiquer le post et ça tourne vite au bad buzz. Donc généralement, ils n’acceptent pas n’importe quoi et ils font très attention à leur image, et par ricochet, à leurs abonnées ».
Mais la « publicité déguisée » distillée dans les posts et autres contenus de l’influenceur rend la relation qui le lie à sa communauté si fragile. Pour rester viable à long terme, le marketing d’influence « a besoin d’une dose de transparence et de respect des règles », selon Laurent Vibert, expert en e-réputation (voir entretien).