Yassir, Tem:Tem, Wassalni, Lahagni, Coursa, Bind et Tymô, ou même Ercab, Hani ou Atlaa (Monte !) ambitionnent toutes d’être un “Uber” algérien et dominer une filière pas encore réglementée. Outre les services de base identiques, chacune de ces applications tend à se distinguer en offrant des fonctionnalités différentes à des clients Algériens tantôt satisfaits tantôt sceptiques. Les chauffeurs, eux, semblent être les « gagnants collatéraux » d’un business model qui marche.
Le recours à des voitures de transport avec chauffeurs (VTC) remonte techniquement à plusieurs siècles. En France, par exemple, des prestataires mettaient des carrosses - appelées “voitures de remises” - aux services de clients désirant se rendre aux abords du Palais du Louvre et du Château de Versailles, où il était interdit de stationner son véhicule. Toutefois, ce n’est que cette dernière décennie que le concept connaît une vulgarisation fulgurante à travers le monde, grâce au succès de la société américaine Uber et ses applications mobiles mettant en contact des utilisateurs avec des conducteurs proposant des services de transport. L’idée vient de Travis Kalanick et Oscar Salazar en 2009 lorsque, à Paris, ils avaient du mal à trouver un taxi et décident de lancer un service de chauffeur privé à la demande.
Le concept de réserver un chauffeur aussi facilement sur son smartphone à l’aide de la géolocalisation atterrit en 2017 en Algérie et finit vite par séduire les Algériens, qui vivent désormais cette expérience grâce à plusieurs applications, dont Yassir, la première à être lancée. En 2018, malgré l’absence d’un cadre juridique, cette filière a suscité l’intérêt de plusieurs investisseurs et porteurs de projets, aboutissant à la naissance de presque dix autres applications.
Une concurrence acharnée
L’offre de base est simple. Ces applications mettent en relation des utilisateurs avec des conducteurs professionnels ou pas, néanmoins confirmés selon certaines conditions fixées par les sociétés. Une fois le service de transport sur commande assuré, ces dernières perçoivent une rémunération selon une marge préalablement établie par leurs partenaires. Toutefois, pour élargir leur clientèle, voire même séduire les utilisateurs de leurs concurrents, ces applications VTC proposent de nouvelles offres aux chauffeurs, promettent une meilleure tarification aux clients et annoncent régulièrement de nouvelles fonctionnalités.
Tymô est le nouveau-né sur le marché algérien. Lancée en 2017 sous une version bêta appelée “PickMeApp”, cette application VTC a été relancée fin 2018 sous son appellation actuelle. Ce “rebranding” n’est pas dû à des difficultés de décollage mais s’inscrit plutôt dans la stratégie de la société éditrice éponyme. “ PickmeApp et DriverApp étaient la version bêta de Tymô. La première nous a permis d’étudier le comportement du consommateur et du marché algérien tandis que la seconde nous a permis de récolter des informations sur les profils des chauffeurs partenaires”, explique Camelia Aissat, Manager des relations publiques, dans une déclaration à N’TIC Magazine. Ces versions bêta étaient destinées à sonder le marché algérien et analyser la réaction des utilisateurs et des concurrents face à un nouveau-né du marché. Une démarche qui a facilité la décision de Tymô de proposer quatre services de mise en relation entre clients et chauffeurs. “Les utilisateurs pourront opter pour un service de transport “Économique”, “Luxury” ou via des “Fourgon-Fourgonnette””, explique-t-elle. La spécifité de Tymô réside notamment dans son quatrième offre ”Girls Drive Girls”, dédié spécialement à la gent féminine. “Ce service est le fruit d'une étude qui a démontré qu'une grande partie des utilisateurs des applications VTC étaient des femmes, tant pour proposer ses services de chauffeur que pour commander un chauffeur”, poursuit Mme. Aissat, qui fait savoir que ce service est indisponible chez les concurrents.
Les partenaires de Tymô, eux, pourront bénéficier d’un portefeuille électronique intégré et d’un système prépayé pour ne pas avoir à se déplacer chaque fin du mois et régler les commissions de l’entreprise, fait savoir la même responsable.
Wesselni, créée dans le cadre du projet d’Alger Smart City avec l’aide de la wilaya d’Alger et lancée fin 2017 à Oran avant de s’étendre à Constantine et Sétif, mise de son côté sur des offres sur mesure, qui permettent aux utilisateurs de cette application de réserver un chauffeur pour une durée déterminée, de 2H, 4H ou 8H en fonction du pack sélectionné. Les chauffeurs de taxis possédant une licence pourront, par exemple, profiter d’un accès illimité aux services de Wesselni contre un abonnement mensuel forfaitaire au lieu des commissions variables selon le chiffre d’affaires. D’autres avantages sont également mis en valeur par ses fondateurs, à l’instar de l’absence d’un tarif de nuit.
Tem:Tem a également misé sur des offres sur-mesure. “Nous offrons des services pour chaque type de client. Par exemple, si vous êtes un professionnel, vous pouvez choisir un véhicule "Business" qui correspond à des véhicules récents et d'un certain standing mais aussi la qualité du service : uniquement les chauffeurs très bien noté (un minimum de 4.85/5, NDLR) et qui proposent une connexion wifi, chargeur, bonbons et bouteille d'eau sont sélectionnés”, explique Kamel Haddar, fondateur de cette startup. Tem:Tem est également “la seule application VTC à proposer une mise à disposition d'un chauffeur pendant 4h et 8h” et de mettre une ligne Corporate au service des entreprises.
Les chauffeurs, eux, peuvent profiter de réductions et avantages exclusifs comme des forfaits téléphoniques, un service après-vente automobile, une assurance santé, une installation GPL une assurance automobile, entre autres”, ajoute-t-il.
Ces applications ne semblent pas intimider Bind, l’un des nouveau-nés de la filière. Lancée au début de 2018, cette société s’est ainsi alignée sur ses prédécesseurs en proposant des services adaptés. Les utilisateurs peuvent commander un véhicule avec chauffeur “Standard”, “VIP” ou un véhicule “Familial”. Mais Bind mise sur d’autres fonctionnalités pour se distinguer, fait savoir son Manager général, Abdelhakim Achour, qui évoque des services de transports de marchandises, de déménagement ou de dépannage.
“La concurrence a été un booster supplémentaire qui a poussé Bind à proposer de nouvelles catégories de véhicules, familiaux, VIP et de transport. Nous avons également lancé récemment l’offre Oudjra (chauffeurs de taxi) et une catégorie de chauffeurs femmes”, poursuit M. Achour.
En attendant un cadre juridique ...
Malgré cette offre diversifiée, il reste beaucoup de choses à réaliser sur ce marché, à commencer par un cadre réglementaire. L’activité VTC n’est pas encadrée par la loi algérienne. Le vide juridique oblige ces sociétés à s’inscrire sous des statuts différents afin de régir leurs relations avec leurs partenaires et protéger les intérêts des utilisateurs.
La société Ya Technologies, éditrice de Yassir, est ainsi affiliée au ministère des Transports comme un prestataire de services de location de voitures avec chauffeurs. “Le cahier des charges n’exige pas que la société détiennent un parc automobile propre à elle”, explique Fatma Mehenni, RP Manager chez Yassir, affirmant que son équipe est en étroite collaboration avec une commission interministérielle afin de régulariser cette activité. En attendant, les chauffeurs sont considérés comme des partenaires. Les services proposés par ces startups sont, toutefois considérés comme opérations de distribution ou de vente de produits et de services sur plateforme numérique.
Chez Tem:Tem, affiliée sous le même statut, “chaque chauffeur partenaire est sélectionné, formé, évalué à l'aide d'un quiz, réalise un test GPS et signe un contrat de partenariat accompagné de toutes les pièces” juridiques nécessaires. De même pour Bind et Wesselni. Cette dernière, possède toutefois une flotte de plusieurs dizaines de véhicules, dont les chauffeurs sont formés par les équipes de la société, ont fait savoir ses responsables lors de son lancement.
“Un marché porteur”
Malgré une concurrence des plus acharnée qui laisse penser qu’on est face à un état de saturation, le marché des voitures de transport avec chauffeur “reste encore vierge en Algérie ”, estime encore Mme. Aissat. Un avis partagé par Fatma Mehenni de Yassir, qui estime “que le marché est porteur, y compris à long terme” (Voir entretien).
“Le consommateur algérien est devenu de plus en plus exigent et cherche des services de qualité. Les VTC viennent renforcer le service de transport en Algérie et donner un plus que les autres opérateurs n’offrent pas, à savoir la disponibilité, les tarifs affichés, les chauffeurs privés, le ramassage et dépôt depuis et vers les lieux désirés”, constate M. Achour.
“Les VTCs sont devenus un service de qualité très apprécié par les clients”. Ces startups en veulent ainsi pour preuves l’intérêt de plus en plus croissant des Algériens ; chauffeurs et utilisateurs, particuliers ou professionnels. Tem:Tem, qui totalise plus de 50.000 téléchargements sur PlayStore, “travaille ainsi avec plus de 100 entreprises avec son offre Business, y compris avec de grands groupes nationaux et internationaux”, fait savoir M. Haddar.
Yassir, qui totalise de son côté plus de 800.000 téléchargements sur Android et iOs, compte quant à elle 6000 chauffeurs actifs actuellement. “Et nous recevons des demandes de partenariat tous les jours”, affirme Mme. Mehenni.
Un concept qui séduit
Le concept séduit tous types de propriétaires de véhicules, particuliers et professionnels. Rabah, tout juste diplômé et embauché, se convertit ainsi en chauffeur de YAssir la nuit tombée. “Cette application me permettait de gagner mon argent de poche avant que je ne trouve un travail dans le domaine de mes études. J’ai quand même continué à proposer ce service pour arrondir mes fins de mois”, a-t-il déclaré.
Mohamed, chauffeur de taxi, explique être satisfait de son partenariat avec quelques-unes de ses applications. “Outre les avantages proposés, cela me garantit un client sans avoir à attendre. Mais ce qui me séduit le plus sont leurs conditions, qui luttent surtout contre la clochardisation du métier de chauffeur”, estime-t-il.
Les utilisateurs sont les autres “gagnants” de cette abondance d’applications de location de voiture de transport avec chauffeur. “Je préfère utiliser une application plutôt que de subir la loi des clandestins, estime Doria, 26 ans, dans une déclaration à N’Tic Magazine. La course est moins chère. C’est plus sécurisé puisque le nom du modèle et le numéro d’immatriculation du véhicule sont affichés avec l’identité du chauffeur, qui généralement, sont polis”.
Yacine a un avis moins tranché. “Je préfère encore les taxis traditionnels pour faire mes trajets habituels. Cela me revient beaucoup moins cher grâce au compteur que le tarif de la course avec l’une des applications VTC”, fait-il savoir. “Par contre, j’opte pour celles-ci en cas de longue distance car le prix de la course revient, dans ce cas-là, moins cher que celui que les taxis souhaitent imposer généralement”. Naima est plutôt séduite par “la disponibilité et la rapidité” dont font preuves les chauffeurs partenaires de ces startups, malgré un comportement “parfois désobligeant”.
Il faut dire que si le concept VTC séduit autant les chauffeurs que les consommateurs, c’est parce que ce service cible un créneau désorganisé. Un exemple où la technologie peut apporter des avantages et rendre service. Mais surtout, les startups qui portent ce marché s’affirment comme le nouveau porte-étendard de l’économie numérique en Algérie.