Fin janvier, le Gouvernement décide de mettre fin aux restrictions sur les importations d’un millier de produits dont les téléphones mobiles. Une délivrance pour les marques de téléphones mobiles présentes en Algérie ? Le marché devra en tout cas composer avec une autre mesure nommée DAPS.
Le marché des téléphones mobiles a vécu depuis 2017 au rythme des soubresauts de la politique gouvernementale visant à réduire la facture des importations. Le Gouvernement a décidé le 30 mai 2017, au titre des licences d’importation pour la même année, d’élargir les contingents quantitatifs aux téléphones mobiles.
L’objectif était de réduire la valeur des importations de ces produits qui ont atteint le montant de 600 millions de dollars en 2016, selon Abdelmadjid Tebboune alors Premier ministre. Au lendemain de cette décision du Gouvernement d’instaurer des licences d’importation pour les téléphones mobiles, le ministère du Commerce publie un avis, fixant un délai, allant du 31 mai 2017 jusqu’au 14 juin 2017, pour l’introduction des demandes de licences d’importation. L’avis du ministère du Commerce avait été suivi d’une note adressée par la Banque d’Algérie aux banques de la place via l’Association des banques et des établissements financiers (ABEF), demandant de surseoir à toutes les opérations liées à l’importation des téléphones mobiles, alors que le délai du 14 juin 2017 était encore en vigueur.
Cette cacophonie a mis les nombreuses marques présentes en Algérie dans l’expectative. Et la situation est restée au stand-by jusqu’à janvier 2018 où il a été décidé que les importations des téléphones sont « temporairement » suspendues « jusqu'au rétablissement de l'équilibre de la balance des paiements ».
Impacts
Le marché des téléphones mobiles est estimé, selon des sources concordantes, à 10 millions d’unités annuellement. L’arrêt brusque des importations a porté un coup dur aux opérateurs, tout rang confondu, qui activent sur le marché. Mais aussi aux consommateurs. Car, en premier lieu, une telle décision a eu comme effet immédiat une situation d’indisponibilité et de renchérissement des téléphones mobiles. L’Association de Protection et d’Orientation du Consommateur et de son Environnement (APOCE) estime entre 10 à 20% l’augmentation des prix des téléphones de base.
« Depuis l’interdiction des importations, les prix des téléphones mobiles ont sensiblement augmenté. Le téléphone reste toujours cher surtout par rapport au pouvoir d’achat local », nous confie pour sa part Mohamed-Bachir Tabti, le Président de la Commission Nationale de la Téléphonie et de l'Electronique, relevant de l'Association Nationale des Commerçants et Artisans Algériens (ANCAA).
Selon lui, les téléphones mobiles sont plus ou moins chers selon leur gamme. « Le milieu de gamme a connu une augmentation de 30% alors que pour le haut de gamme elle est de l’ordre de 20% », a-t-il précisé.
Alors que la demande était restée sur une tendance haussière, le blocage brusque des importations a induit une stagnation de l’offre. Même si le stock accumulé dans les réseaux officiels des marques de téléphones mobiles a permis un temps de stabiliser le marché. Le manque à gagner pour ces marques qui résultent de cette décision est estimé à plusieurs millions de dollars, selon un opérateur qui a souhaité garder l’anonymat. Mais ils ne peuvent aller à l’encontre d’une décision du gouvernement et de la législation en vigueur. Et comme la nature a horreur du vide, « les importations frauduleuses qu’on appelle pudiquement ‘’cabas’’ a vite pris le relais ; elles ont commencé une semaine après la décision de suspendre les importations », affirme notre interlocuteur.
Prolifération du ‘’cabas’’
Durant l’année 2018, les services des Douanes au niveau du seul port d’Alger ont traité 8 affaires qui ont permis de saisir 20060 téléphones mobiles pour une valeur de 42 millions de Dinars.
Selon M. Tabti, le ‘’cabas’’ représente actuellement 30% du marché des téléphones mobiles. « Le consommateur algérien suit les tendances et achète pour les performances des terminaux mobiles. Ce que les marques présentes en Algérie ne peuvent satisfaire entièrement. C’est pour cette raison que cette importation frauduleuse continuera de constituer une part importante de ce marché surtout pour certaines gammes de téléphones », a-t-il analysé.
Sidali, un vendeur dans une boutique qui a pignon sur rue au marché de Belfort (à El-Harrach) avoue que les téléphones ‘’cabas’’ constitue plus de 50% des modèles exposés. « Certains commerçants font Alger-Dubaï 4 à 5 fois par mois pour satisfaire une demande sans cesse grandissante sur certains modèles de smartphones. Avec la dépréciation de la monnaie nationale, les prix affichés sont souvent plus chers que ceux d’avant la suspension des importations », explique-t-il. Et d’ajouter : « Nous enregistrons toutefois une différence de prix de l’ordre de 15% entre le produit assemblé en Algérie et celui du ‘’cabas’’ et ce malgré la baisse de la valeur du Dinar. Cela s’explique surtout par la garantie offerte par le produit assemblé en Algérie, contrairement au produit ‘’cabas’’ ».
La percée du produit local
Selon lui, durant l’année 2018, les produits des fabricants locaux ont eu la cote chez le consommateur algérien qui « redécouvre des produits qui n’ont rien à envier à ceux des constructeurs étrangers notamment pour l’entrée et le milieu de gamme ».
Pour recouvrer leurs parts de marché que la production locale ne cesse de grignoter, les marques étrangères présentes en Algérie ayant investi des montants considérables dans les réseaux de distribution et de service après-vente ont pris le chemin de l’assemblage sur le schéma de l’industrie automobile naissante sur un modèle de montage local de type SKD/CKD.
Un temps tétanisées par la suspension des importations, les marques les plus populaires en Algérie n’ont pas tardé à lancer des unités d’assemblage. Il faut dire que c’est la seule solution qui s’offre à ces marques : soit une unité d’assemblage ou perdre un marché en forte croissance.
La suspension des importations a eu comme effet positif d’opérer une décantation sur le marché. Seules les marques ayant investi en Algérie qui sont restées sur le marché. Il demeure que cette industrie balbutiante est livrée à elle-même. Car, contrairement à l’industrie de montage automobile qui dispose d’un cahier des charges et des avantages fiscaux, l’assemblage de téléphones mobiles est sur la corde raide. Cette industrie ne dispose pas d’un cahier des charges et encore moins d’avantages fiscaux dédiés.
Les balbutiements d’une industrie
Le ministère de l’Industrie et des mines avait évoqué, quelques temps après l’instauration des licences d’importation, un projet de cahier des charges qui viendrait mettre de l’ordre dans cette activité. Depuis l’activité patauge dans l’incertitude.
Actuellement, les unités d’assemblage font dans l’assemblage à 100%. Certaines marques ne s’en cachent pas. Amine Harzelli, Directeur Commercial chez Huawei Algérie a affirmé lors du lancement de l’unité d’assemblage de Huawei à Oued Semmar (banlieue Est d’Alger) que l’assemblage s’effectue à 100%. Selon lui toutes les marques qui se sont lancées dans cette activité « font toutes de l’assemblage à 100% sans aucun taux d’intégration locale ».
Des barrières douanières
Ces marques se défendent en affirmant qu’elles sont en phase d’apprentissage et « qu’on ne va pas griller les étapes ». Il est évident que la téléphonie mobile est un domaine de la haute technologie et qu’elles ne vont pas commencer par fabriquer le microprocesseur dès le début. Toutefois, il est possible, une fois cette phase d’apprentissage assimilée, de passer à des taux d’intégration conséquent de l’ordre de 30% à 40%, en fabricant localement des pièces non sensibles comme l’emballage, les coques, les batteries et les vibreurs.
Il faut savoir que les droits de douane appliqués pour une carcasse de téléphone est de l’ordre de 30% et pour un téléphone complètement assemblé c’est 5%. Mais le Gouvernement vient de décider la levée des restrictions à l’importation moyennant le paiement d'un droit additionnel provisoire de sauvegarde (DAPS). Ce droit additionnel a été fixé à 60%. Ce qui rendra encore plus cher l’importation des téléphones mobiles. Ce qui va renforcer l’industrie naissante de l’assemblage.
« Le plus cher dans un smartphone c’est l’écran et la carte mère. Pour ces deux composants, il est appliqué un droit de douanes de 5%. Pour les autres composants comme la batterie, la carcasse, le vibreur, la caméra, ils coûtent plus cher avec un droit de douane à 30% », nous affirme un représentant d’une marque chinoise en Algérie. Et d’ajouter : « Donc je pense que les droits de douanes tels qu’ils sont appliqués encouragent l’installation d’usines de fabrication de certains composants, comme les coques, les vibreurs etc qu’on peut faire en Algérie. Ainsi, la barrière douanière qu’exerce le gouvernement actuellement est nécessaire pour le développement de ce marché ».
Mais avec le DAPS le marché n’est pas prêt de se stabiliser. Les unités d’assemblage ne produisent que quelques modèles souvent dans l’entrée et le milieu de gamme avec des capacités de production qui sont loin de répondre à la demande du marché. Le consommateur algérien aura donc le choix entre une offre locale réduite et des téléphones mobiles plus cher à l’importation. Le commerce du ‘’cabas’’ aura encore de beaux jours devant lui.