Le mouvement populaire du 22 février n’a pas enclenché chez les Algériens une dynamique politique uniquement. En quelques semaines, plusieurs initiatives “2.0” en quête de la démocratie à laquelle aspire le peuple algérien à travers le Hirak ont vu le jour.
Après avoir été un outil mobilisateur, notamment à travers les réseaux sociaux, les nouvelles technologies de l’information et de la communication deviennent peu à peu le moyen incontournable des Algériens pour imposer leur voix et exercer leur droit à la décision.
Tandis que certains recourent aux réseaux sociaux pour lutter contre les Fake News, sensibiliser les Algériens à la Constitution, susciter le débat en donnant la parole aux citoyens, d’autres préfèrent créer des applications pour encourager la démocratie participative, réformer les institutions de l’État et garantir la transparence des élections.
Les réseaux sociaux en avant-garde
Les réseaux sociaux- notamment Facebook- restent sans doute le canal préféré des Algériens depuis le début du Hirak. En sortant par centaines de milliers le 22 février dernier contre la candidature de l’ex-président de la République, Abdelaziz Bouteflika, à un 5e mandat, ils répondaient, entre autres, aux innombrables appels à manifester diffusés sur les réseaux sociaux. Lorsque le mouvement populaire commençait à se pérenniser d’un vendredi à un autre, sur Facebook incubait déjà de nouvelles initiatives qui variaient les concepts, en réaction à une actualité politique trépidante.
Tout comme ce soulèvement populaire, les enjeux de ces initiatives étaient multiples. A commencer par une meilleure Constitution. Les Algériens ne souhaitaient pas seulement en finir avec l’ex-Chef de l’État en application de l’article 102 mais avec tout le “système Bouteflika”. De l’avis de beaucoup d’internautes, une nouvelle Constitution est le premier pas vers la “deuxième République” avec de nouvelles lois. Dans ce sillage, la page ”اكتب دستورك - Ecris ta constitution” a été lancée par le chanteur et leader du groupe Gnawa Diffusion, Amazigh Kateb.
Créée le 26 février 2019, cette page participative avait ainsi pour ambition de permettre à chaque internaute algérien “d’écrire sa Constitution”, en proposant de nouveaux articles, ou des amendements en rapport avec les principes généraux, l’organisation des pouvoirs ou encore la surveillance des élections. Cette initiative répondait ainsi à la nécessité de commencer un travail de réécriture des articles de la Constitution” et provoquer une rupture “avec le pouvoir, qui détient encore tout l’échiquier”.
Selon les suggestions majoritaires des followers, des articles de la Constitution étaient partagés dans leur état initial avec des suggestions de réformes désireuses faire l’unanimité, à côté des réflexions ou des opinions des administrateurs.
Dans le même sillage est née “Anticonstitutionnellement”, une plateforme “de formation civique” lancée par une citoyenne désireuse de renseigner et informer les Algériens sur le fonctionnement des institutions. A travers de courtes vidéos explicatives, sous forme d’entretiens ou d’infographies, “Anticonstitutionnellement” souhaite ainsi enrichir le débat autour du Hirak en expliquant aux Algériens ce que signifie une assemblée constituante, un gouvernement transitoire, une deuxième République ou encore la désobéissance civile.
Une aubaine pour les médias
Le web algérien a également assisté à la naissance de plusieurs médias, participatifs ou alternatifs, tant le Hirak suscite un espoir sans précédent de jouir de la liberté d’expression dans un avenir proche. Au fil des semaines, la question de désigner des représentants du mouvement populaire, de donner la parole aux citoyens ou de lutter contre les Fake News devenait pressante.
Ainsi fut lancée Silmiya News, un site également présent sur Facebook. Lancé par des étudiants, ce média entend apporter une contribution au mouvement populaire, d’abord en permettant aux citoyens de proposer leurs solutions, ensuite en vulgarisant la politique auprès de son lectorat.
De son côté, la page Fake News DZ a pour objectif de lutter contre la manipulation envisagée par la propagation de fausses informations autour du Hirak. Les administrateurs, diplômés dans plusieurs disciplines, vérifient ainsi la véracité d’une information, d’une image ou d’une vidéo relayée sur les réseaux sociaux par les internautes.
Les Algériens ont aussi découvert El Tale3, un média lancé en mars. Rejoignant les deux précédentes initiatives, El Tale3 produit des contenus audiovisuels sur les manifestations “sans manipulation”, en étant témoin des initiatives de la société civile et offrir la parole aux jeunes, principale locomotive de ce mouvement populaire.
Des solutions avancées pour l’avenir
Outre les réseaux sociaux, des plateformes principalement mobilisatrices, les technologies de l’information et de la communication doivent surtout être, aux yeux d’autres innovateurs, une pierre de l’édifice que représente la nouvelle Algérie à laquelle aspire les millions de citoyens qui sortent manifester chaque vendredi.
Le déclenchement de ce Hirak a également encouragé des Algériens à réfléchir sur des solutions permettant aux citoyens, non seulement de rester informé et de mobiliser ses semblables, mais d’exercer ses droits politiques à travers des applications mobiles ou web.
C’est sur la base de cette conviction que le Centre Algérien d'Entrepreneuriat Social (ACSE) a lancé le “Hack Hirak ”, un hackathon qui a pour but de faire émerger de nouvelles conditions d’exercice de la démocratie en s’appuyant sur le numérique. Cet événement a rassemblé durant deux jours fin avril des personnalités actives de la société algérienne de plusieurs domaines, juridique, informatique et économique afin de concevoir des solutions technologiques créatives qui contribueront à améliorer la participation dans la vie politique du pays, dans la spécialité CivicTech. En marge des conférences-débats, des participants, développeurs notamment, se sont attelés à réfléchir sur ces solutions avant de les présenter à un jury multidisciplinaire.
Quelques jours plus tôt, Ismail Chaib, Amine Benbekhta, Meriem Imene Benalkma, Bouguesri Mohamed Adel et Fayçal Borsali, en collaboration avec l’espace coworking Sylabs avaient organisé “Code for Algeria Hackathon”.
A l’instar du Hack Hirak, cet événement a rassemblé des développeurs, designers, chef d’entreprises et porteurs de projets autour de la même cause : développer des solutions numériques pour accompagner la transition politique que souhaitent les Algériens et au-delà.
“Chacun de nous se posait la question : qu’est-ce que je peux faire pour mon pays et comment puis-je contribuer à la cause algérienne ? On a eu, moi et les autres organisateurs, l’idée de regrouper les personnes qui pensent comme nous et qui ont un background et des compétences techniques autour d’un hackathon pour une même cause et pour brainstormer ensemble et trouver des solutions concrètes pour contribuer au mouvement positif de la société”, a expliqué Ismail Chaib, l’un des organisateurs.
Sous le coaching de mentors, des équipes ont effectué des démonstrations pour afficher leurs solutions. Tandis que certains proposaient des solutions pour organiser les manifestations, lutter contre les fake news, d’autres aspirent à faciliter le dialogue entre les Algériens et les institutions publiques.
Le processus électoral, la clé de voûte
Le collectif NABNI (Nouvelle Algérie Bâtie sur de Nouvelles Idées), think-tank participatif dont la mission est de proposer des idées concrètes permettant d’améliorer la situation de l’Algérie dans plusieurs domaines, a, de son côté, avancé plusieurs propositions d’utilisation des technologies dans le processus électoral, comme la suppression des fiches électorales ou la refonte de la loi au profit d’une meilleure participation citoyenne à l’organisation et la tenue du scrutin. Le think-tank propose un projet appelé “3ess El Vote” (Surveille les élections !), une plateforme web et une application mobile qui collecte, dans chaque bureau, des données de surveillance des élections. Le collectif a lancé un appel à organiser un hackathon, à l’issue duquel la meilleure solution sera adoptée.
Un projet partagé par Nassim Belouar, expert en technologie de l’information et passionné par la technologie Blockchain qui, de son avis, abrite des solutions à la crise politique actuelle.
Interrogé par le site d’informations Casbah Tribune, il a estimé que l’usage de la Blockchain garantira la transparence au citoyen durant l’organisation et la tenue du processus électoral.
“D’abord, les règles du vote seront écrites dans un code informatique. Cet algorithme sera public pour que tous ceux qui le souhaitent jugeront la fiabilité de ce dernier. Ensuite, la Blockchain apporte une transparence pour le citoyen car ce dernier peut vérifier si son vote a été pris en compte et dans quelles conditions a été validé. Et enfin, nous aurons toute la liste des votants (sous forme de pseudonymes) pour faire le compte du résultat final”, a-t-il expliqué. M. Belouar propose des “votes à distance par Internet, vote par borne Internet, vote par Internet dans un bureau de scrutin ou vote par Internet à partir d’une circonscription”.