A des années-lumière des tracasseries d'une connexion bégayante ou des malheurs des gérants de cybercafés, les internautes n'ont d'yeux fixés que sur leur écran d'ordinateur et le doigt littéralement scotché sur le bouton droit d'une souris parfois capricieuse.
Pour la majorité des Algériens, jeunes et moins jeunes, l'Internet, au-delà de sa définition éducative et ludique, est le moyen par excellence d'oublier la morosité quotidienne de leur vécu. Jeux en réseaux, tchat, téléchargement illégal de musique ou de film, ou création de blog, un phénomène en devenir, les cybercafés concentrent en leur sein toute la névrose des Algériens, mal dans leur peau. Alors qu'en Chine, au Japon et dans quelques capitales européennes, la sirène d'alarme est tirée quant à l'addiction des jeunes à l'Internet et à ses jeux, en Algérie le problème est quasiment occulté, éludé en absence de réelles études pouvant démontrer la dangerosité de la chose.
Counter Strike, Half-Life ou encore Pro Evolution Soccer et Hitman n'ont plus de secret aux yeux de milliers de jeunes internautes qui envahissent les cybercafés à la moindre occasion pour s'adonner à des parties interminables mettant en jeu une lutte antiterroriste virtuelle où s'affrontent une équipe de terroristes et d'antiterroristes au cours de plusieurs manches. Les joueurs marquent des points en accomplissant les objectifs de la carte de jeu et en éliminant leurs adversaires, dans le but de faire gagner leur équipe. Le jeu, actuellement en version 1.6, connaît, depuis sa sortie officielle le 8 novembre 2000, un succès phénoménal sur Internet, faisant de lui le jeu de tir subjectif en ligne le plus joué dans le monde. A 50 DA l'heure, les jeunes passent facilement jusqu'à trois heures collés à l'ordinateur délaissant, par la même occasion, leurs devoirs scolaires. Pour Djamel, père de deux enfants dont l'aîné, 13 ans, est accro aux jeux sur réseau, la situation devient parfois complexe et est sujette souvent à des prises de bec entre lui et sa mère qui ne voit pas le danger d'une telle dépendance. «Parfois, je suis obligé de le ramener à la maison moi-même parce qu'il s'oublie facilement dans le cyber du quartier, je lui ai fait maintes fois la morale mais c'est comme parler à un sourd». En désespoir de cause, Djamel usera de sévérité en interdisant à son fils l'accès au cyber et en lui coupant les vivres. Cette décision ne fera qu'empirer les choses puisque de l'aveu même de Djamel, son fils est devenu plus agressif en se renfermant sur lui-même.
Pour d'autres, l'Internet est devenu une véritable fenêtre ouverte sur la démocratie et la présence des Algériens sur différents forums de discussion qui traitent des sujets les plus divers, du sérieux jusqu'au loufoque. Des milliers d'Algériens ont également créé leurs propres blogs pour partager leurs passions (poésie, leurs villes ou pays, stars, cinéma, littérature...), leurs souvenirs mais aussi leurs ressentiments à l'endroit des événements qui secouent le monde. Dans la blogosphère algérienne, beaucoup de blogs ont emprunté le chemin de la dénonciation et certains n'hésitent pas à fustiger les dirigeants politiques et les avatars économiques du pays. Pour Samir, gérant de cybercafé, «personne ne peut comptabiliser avec exactitude la blogosphère algérienne même si des milliers sont référencés par certains sites de référencement». Pour les spécialistes, il est certain qu'en dépit de l'incertitude des chiffres, le phénomène du blog gagne en ampleur tous les jours: entre janvier 2004 et décembre 2006, le nombre des blogs est monté de 1,60 millions à... 63,1 millions, dont 50 millions pour les seuls Etats-Unis. La blogosphère a donc vu sa taille multipliée par plus de 11 en 2 ans.
Autres temps, autres mœurs
Le tchat, lui est définitivement entré dans les mœurs algériennes et du plus jeune au plus âgé, sa pratique est devenue quasi banale. Mais, ils sont légion ces internautes nationaux qui n'ont qu'une idée fixe derrière ces heures passées à pianoter sur un clavier d'ordinateur. Une «hedda» virtuelle sur la Toile car tel est leur unique but en suscitant suffisamment de confiance chez leurs correspondants pour que ceux-ci les aident à émigrer. En tout cas, à leur fournir le précieux sésame de l'hébergement. Pour cela, ils n'hésitent pas à se plonger pendant de longues années dans les méandres de la Toile, à la recherche du moyen de partir mais surtout de correspondants français, espagnols ou canadiens qui leur fourniraient éventuellement un hébergement. Pour les célibataires à la recherche de l'âme sœur, le net offre une voie directe et discrète. Ainsi, les cybercafés ne désemplissent pas de ces milliers d'Algériens et d'Algériennes qui, pour une raison ou une autre, ont choisi, par l'entremise du net, de trouver leur deuxième moitié. Aussi, même si aucune statistique n'est effective, il est certain que le nombre de nationaux qui y ont trouvé l'homme ou la femme de leur vie semble en progression.
Ce phénomène social s'installe progressivement dans les nouvelles moeurs des Algériens. Après les entremetteuses, l'Internet est devenu un outil au service des rencontres et même des mariages en Algérie. Généralement, c'est après les heures de bureau que les internautes se donnent rendez-vous sur la Toile. Des étudiants, des hommes mariés et des femmes jeunes et moins jeunes, tous se connectent au net pour «tchater» des heures durant. Malgré le mauvais «étiquetage» des Algériens de la part des Français, nos jeunes, dans leur majorité, préfèrent tout de même s'inviter dans des forums de discussion francophone, en dépit des réticences, pour mettre tous les atouts de leur côté et lever les préjugés. En vrais «profiler», après d'innombrables heures de tchat, ils finissent par cibler les éventuelles «candidates-sauf-conduits» qui, peut-être, leur permettront de quitter le pays. Dans le même domaine, mais pour ce qui est de la gent féminine, les préférences vont pour les pays du Golfe en général. Ne pouvant déroger à la règle, les Algériennes qui veulent se marier à des étrangers, à quelques exceptions près, doivent jeter leur dévolu sur des musulmans. Et les fortunes du Golfe sont les premières cibles. C'est un phénomène qui prend graduellement de l'ampleur et qui s'érige en solution de rechange pour des milliers d'Algériennes ayant peur de finir leurs jours seules.
Selon les récentes estimations de Nielsen//NetRatings (société leader dans l'étude du média Internet), la population planétaire des internautes a passé le cap du milliard d'individus sur lesquels, d'après l'Autorité de régulation de la poste et des télécommunications, près de deux millions sont Algériens. Un chiffre bien modeste en comparaison avec le Maroc, par exemple, qui totalise presque le double et la France avec ses 24,3 millions d'internautes.
Source: Le Quotidien d'Oran