Problème de connexion à Facebook et blocage des SMS : perturbations pour les uns, censure pour les autres

Au milieu du mois de janvier et dernièrement, les algériens ont eu du mal à envoyer des SMS à partir de leurs téléphones portables et à accèder à Facebook. Une situation intrigante qui a suscité de nombreuses interrogations.



Décryptage


Principale caractéristique relevée : il s’agissait de coupures qui ne duraient pas longtemps et qui n’avaient pas lieu tout le temps. Certains internautes ont fait directement le lien avec l’actualité nationale marquée par des manifestations contre la cherté de la vie et soupçonné une censure des autorités. Concernant l’impossibilité d’envoyer des SMS, nous avons pu le vérifier nous-mêmes. Plusieurs d’entre eux n’ont pas pu être acheminés à leurs destinataires. Contacté par les journalistes, les chargés de communication des opérateurs de téléphonie mobile ont imputé ces «dysfonctionnements» à des «problèmes purement techniques». Mobilis, l’opérateur public, explique que «c’etait une petite perturbation technique sur nos réseaux qui a duré deux jours, mais le réseau a été rétabli». Pour mieux faire passer la pilule, il ajoute «il n’y a eu aucune anomalie concernant les conversations téléphoniques».

Du côté de l’opérateur étoilé Nedjma, on nous assure par contre qu’aucun incident n’a été enregistré. Il peut cependant s’agir d’un problème d’interconnection entre les opérateurs, une situation vécue principalement lors des fêtes religieuses ou lors des fêtes de fin d’année. Les offres illimitées et les forfaits Internet peuvent à un moment ou à un autre provoquer la saturation des réseaux. Donc, un fort trafic peut être l’une des explications d’une saturation d’un réseau, ce qui provoque une impossibilité de joindre le correspondant. Idem pour le blocage d’Internet: il peut être question d’une hausse de sollicitation de certains sites populaires, notamment sociaux comme Facebook, trés prisés par les jeunes. Chez cette frange de la population (les adultes de demain, ne l’oublions jamais !), Facebook est devenu une nécessité. Discussion en ligne, boîte de réception, photos et
vidéos : il se substitue petit à petit à tous les autres moyens de communication. C’est la logique du tout en un : Facebook rassemble tout ce dont ont besoin les adolescents sur le même site. L’énorme capacité de contenus qu’il génère lui promet un avenir certain.

1.5 millions de facebookeurs en Algérie !


En Algérie, Facebook compte actuellement 1,5 millions d’utilisateurs, selon une enquête publiée en octobre 2010 par deux entreprises algériennes spécialisées dans le conseil en webmarketing (Med&Com) et les solutions logicielles (Ideatic). Signe des temps: tous les jeunes des grandes villes algériennes ont pratiquement un compte sur Facebook ou Twitter. Ce premier est-il en train de changer la perception des choses en Algérie ? Incontestablement, il a une certaine influence. On y poste les dernières évolutions politique et économique, en rapportant les anecdotes, les déclarations des uns et des autres (ministres, chefs d’entreprises), voire des prises de position. Le tout activement commenté par d’autres facebookeurs. Pendant ce moment, d’autres postent les derniers articles des médias nationaux ou étrangers. L’intérêt, par rapport aux blogs, est la simultanéité des réactions et des échanges. Il suffit d’afficher une information et déjà tous les contacts sont au courant.

Internet : un véritable échappatoire


Dans une société où les «non-dits» se multiplient, Internet constitue un véritable échappatoire où il est plus facile de débattre, sous couvert d’anonymat et par écrans interposés, des sujets les plus tabous (sexualité, politique). Sur Facebook plus qu’ailleurs, les langues se délient. Pourquoi la moindre perturbation sur le réseau provoque le mécontentement? Nous allons tenter une explication en prenant en compte un certain nombre d’indicateurs.

Il faut savoir de prime abord qu’Internet est la première source d’information des internautes, loin devant les médias «traditionnels». Ainsi, 74% des internautes algériens déclarent préférer Internet comme outil d’information. Les activités des médias traditionnels (lire le journal, regarder un film, écouter de la musique, discuter avec ses amis, ...) se font aujourd’hui par Internet. Selon une étude réalisée par Spot On, une agence de relations publiques basée à Dubaï, il y a plus de 15 millions d’abonnés à Facebook dans la région du Moyen- Orient et d’Afrique du Nord, tandis que le nombre total d’exemplaires de journaux diffusés quotidiennement dans la région est un peu moins de 14 millions. Mais il semble que le rôle d’Internet et des réseaux sociaux va bien au-delà d’un simple outil de communication pendant les révoltes. Facebook ou Twitter sont entrés dans la vie des jeunes arabes à l’identique de celles des jeunes occidentaux.

Il y a une identification très forte sinon à la vie occidentale du moins à l’indépendance sociale que connaissent les jeunes européens. Ce ne sont pas moins de 32% des internautes qui déclarent se connecter pour accéder aux réseaux sociaux. Le grand gagnant de ce marché très porteur est sans conteste Facebook qui totalise 70% des connexions à des réseaux sociaux en Algérie. L’accès aux nouvelles technologies a contribué à l’expansion de la grogne sociale. Internet est présent dans la majorité des villes. C’est là, dans des cybercafés, chez les uns et les autres, que les jeunes parviennent à s’ouvrir sur le monde, en d’autres termes, à voir le monde autrement et échapper aux grilles de lecture classiques imposées par la classe politique. Et finalement à communiquer entre eux. Facebook représente un lieu de discussion et d’échange d’informations.

« Pas de contrôle d’Internet en Algérie »

Du côté officiel, on refuse de parler de censure. Il n’y a aucun contrôle d’Internet en Algérie et les SMS ne sont pas interceptés, a affirmé Moussa Benhamadi, Ministre de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication. « Il n’y a aucun contrôle d’Internet en Algérie qui reste le seul pays où cette technologie n’est pas contrôlée. Je peux l’affirmer car je fais partie de ceux qui l’ont lancé en Algérie en 1993 », a-t-il indiqué à la presse en marge de la clôture de la session d’automne de l’Assemblée Populaire Nationale. Le Ministre a assuré « qu’il n’y avait pas d’interception de SMS ou de contrôle des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter », réitérant « qu’aucune interception, n’a été enregistrée ni au niveau d’Algérie Télécom ni chez les opérateurs de la téléphonie mobile, Mobilis, Djezzy et Nedjma ». Il a aussi expliqué que les récentes perturbations d’Internet sont dues au passage d’une capacité de débit à une autre supérieure.

Le Ministre a fait remarquer que l’Algérie ne peut pas rester en retrait par rapport aux autres pays, expliquant qu’en Amérique et en Europe, l’interception des communications n’est légale que sur décision du juge. Contacté à ce sujet, Abdelhakim Meziani, directeur de la communication chez Algérie Télécom, se dit plutôt étonné de la rumeur. «Au contraire, notre objectif est de parfaire l’accès à l’Internet pour tous les utilisateurs en améliorant constamment nos services », expliquet-il. La preuve, dit-il, Algérie Télécom vient d’augmenter de 10 gigabits les capacités de sa bande passante à l’international pour la porter à 46 gigabits. «C’est une extension significative de nos capacités et je vous assure que d’autres améliorations sont prévues dans le courant pour rendre la connexion très fluide», précise-t-il, ajoutant que l’augmentation qui avoisine les 30% permettra aux utilisateurs, les entreprises en particulier, de bénéficier pleinement du haut débit. «Parler de censure ou de tentative de museler l’expression sur le Net, c’est à mon avis exagéré. Vous-mêmes, avez-vous senti cela?», interroge-t-il, assurant qu’Algérie Télécom a engagé un ambitieux programme visant à améliorer la qualité des services qu’elle fournit à sa clientèle, le but étant de garantir le fonctionnement continu des réseaux. «Les perturbations constatées ne sont en fait que le résultat du renouvellement des équipements pour mise à niveau», explique M. Meziani. Il rejoint ainsi les explications données par le Ministre des PTIC.

Rappelons aussi que la loi n° 09-04 du 5 août 2009, portant règles particulières relatives à la prévention et à la lutte contre les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication, assure que les opérations de surveillance prévues peuvent être effectuées dans des cas particuliers : prévenir les infractions qualifiées d’actes terroristes ou subversifs et les atteintes contre la sûreté de l’Etat; lorsqu’il existe des informations sur une atteinte probable au système informatique représentant une menace pour l’ordre public; la défense nationale; les institutions de l’Etat ou l’économie nationale; les besoins des enquêtes et des informations judiciaires lorsqu’il est difficile d’aboutir à des résultats intéressant les recherches en cours sans recourir à la surveillance électronique; et dans le cadre de l’exécution des demandes d’entraide judiciaire internationale. Les opérations de surveillance ne peuvent être effectuées que sur autorisation écrite de l’autorité judiciaire compétente. Au-delà des débats passionnés qu’a provoqué Facebook, une certitude persiste : les sociologues vont sans doute se pencher sur la question et faire des études approfondies pour fournir un plus grand éclairage sur un phénomène qualifié de «révolutionnaire».


N'TIC 52 / FEVRIER 2011