Les NTIC au service de la santé

La pratique au quotidien de la médecine implique de fréquentes mises à niveau, une formation continue du praticien de santé. «Le médecin est un éternel étudiant», voilà une formule que l’on retrouve dans la bouche d’un bon nombre de professeurs. Pourquoi ? Parce que la médecine évolue, cette science n’a de constance que dans son changement, et nous nous proposons dans ce numéro d’effleurer l’un des changements majeurs qui opère dans la pratique médicale ; l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Quels sont les apports des TIC à la médecine ? Où en est-on en Algérie ? Dans quelle mesure et avec quels moyens les TIC peuvent elles optimiser un système de santé tel que le notre ? Nous aborderons ces problématiques au travers d’exemples concrets, pour lesquels nous imaginerons comment un système de santé équipé en TIC peut apporter des réponses. Cela se fait au détriment de l’exhaustivité, mais il s’agit de mettre en relief le caractère pratique et actuel de ce sujet.



Les TIC pour dynamiser les démarches administratives


Un patient hospitalisé a besoin d’un examen complémentaire, une ostéodensitométrie. Cependant, dans l’hôpital où il est, cet examen n’est pas disponible, il faut donc l’envoyer ailleurs pour qu’il en bénéficie. Voilà comment cela se passe. Un interne du service est envoyé en ambulance afin de décrocher un rendez-vous pour le patient. Puis, le patient et l’interne sont envoyés en ambulance, le jour du rendez vous, pour faire l’ostéodensitométrie. Enfin, l’interne et l’ambulance font un troisième aller retour pour récupérer les résultats de l’examen. Nous avons donc mobilisé trois fois l’ambulance et l’interne, dont le rôle, rappelons le, est d’être au contact du malade afin de peaufiner sa formation, et non d’assurer l’ensemble des évacuations.

Ces échanges épistolaires par interne interposé peuvent disparaître si les TIC s’en mêlent. La télétransmission consiste en un échange de données entre professionnels de santé. Ainsi, les demandes et les résultats d’examens peuvent se faire par mail. Encore mieux, la télé-radiologie permet d’avoir l’interprétation d’examens comme l’ostéodensitométrie à distance. Un seul radiologue peut ainsi apporter son expertise sur plusieurs régions déficitaires en spécialistes, ce qui évite surtout aux patients des délais interminables et des déplacements fastidieux.

Une nouvelle gestion des données


Un couple ramène son enfant aux urgences et on décide de l’hospitaliser. Il n’y a plus de lits disponibles, alors on l’envoie vers un autre hôpital avec une lettre. La famille doit s’y rendre avec ses propres moyens. Vu qu’il n’y a pas de communication, on ne peut s’assurer que ledit hôpital ait des lits disponibles en pédiatrie. Arrivés au second hôpital, l’histoire se répète. C’est ainsi que la famille a fait le tour de la wilaya avant que leur enfant ait pu bénéficier de l’hospitalisation dont il a besoin. Dans l’anecdote réelle, le père a perdu patience et s’en est pris aux médecins du second hôpital qui ont du faire appel aux agents de sécurité, il en aurait été autrement si les TIC s’en étaient mêlés.

En effet, les services ayant tous un secrétariat avec un PC (ne serait ce qu’un Pentium 3 datant du jurassique informatique !), il suffirait de répertorier sur un dossier l’ensemble des lits disponibles du service et de mettre à jour cette base de données chaque fois qu’un lit est libéré ou occupé. Ainsi, quand on envoie un patient vers un autre hôpital, il suffit de consulter cette base de données pour savoir si le patient trouvera un lit disponible, et éviter à la famille de payer un taxi clandestin à 23h et faire le tour des hôpitaux, sans oublier le stress et l’altercation avec le personnel de santé. De même, il est possible de créer une base de données regroupant les dossiers médicaux, ce qui permet au médecin d’être au courant de l’ensemble du passé médical de son patient et d’avoir ainsi un outil indispensable pour une bonne orientation diagnostique et thérapeutique.

Une nouvelle approche de l’épidémiologie


Pour décider d’une politique de santé publique, il faut avoir l’oeil sur la santé globale du pays. Des enquêtes épidémiologiques onéreuses sont ainsi menées pour cerner les grands problèmes de santé publique. Les TIC peuvent révolutionner la manière dont se déroule ce genre d’enquêtes. Quand on crée le dossier médical d’un patient, ou quand on le met à jour sur la base de données (encore fictive) des dossiers médicaux numérisés, les données ne relevant pas de l’identité du patient peuvent être transférées vers les épidémiologistes pour analyse. Ils disposeraient ainsi quotidiennement de données équivalentes à des milliers d’enquêtes épidémiologiques pour la modique somme de…rien du tout !

Dans ce scénario, on pourra classer les pathologies dépendamment de n’importe quel paramètre figurant parmi les données partagées. On pourra établir des statistiques d’une précision affolante sur l’efficacité des traitements, faire des découvertes médicales qui demanderaient l’ouverture d’enquêtes actives pendant des années, alors qu’ici le recueil des données se fait automatiquement et dans le respect de la confidentialité de l’identité des malades. La numérisation des dossiers médicaux et le partage des informations figurants dans les champs réservés à cet effet serait aussi révolutionnaire pour l’épidémiologie que ne l’a été l’invention de la roue pour les transports.

Les TIC comme outil pédagogique


Toujours dans notre système de santé imaginaire équipé en TIC, chaque médecin peut assister à distance aux séminaires et autres présentations et ce, partout dans le monde. En plus de l’accès aux cours par Internet, chose d’ores et déjà possible, l’outil informatique peut rendre de grands services dans l’apprentissage et la pratique de la médecine. On peut assister à des opérations chirurgicales et voir la procédure aussi bien que le chirurgien qui opère. Des applications peuvent par exemple calculer les dosages d’un schéma de réhydratation d’un nourrisson en entrant uniquement le poids et le pourcentage de déshydratation estimés par l’examen clinique, le risque d’erreur de dosage n’existe donc plus. Cela permet de réduire le temps de latence entre la découverte et la naissance d’une recommandation, puis entre la recommandation et son application, ce qui doperait la vitesse d’évolution des pratiques médicales dans les pays les moins développés, et faire faire un bond de géant aux étudiants formés dans ces pays.

De la télémédecine


Quand on pense TIC et santé, la télémédecine vient tout de suite à l’esprit. La patiente, qui consulte chez un généraliste dans un désert médical comme le sud algérien, peut être orientée vers un cardiologue de la capitale pour un avis spécialisé. Elle va donc faire 800 km avec sa lettre d’orientation pour prendre rendez-vous. Une semaine plus tard, elle doit repartir à la capitale pour bénéficier de sa consultation. Là, le cardiologue demande une echographie doppler des troncs aortiques supérieurs, un examen complémentaire pour lequel la malade va encore une fois prendre rendez-vous. Une semaine plus tard (au mieux, cela peut prendre plusieurs semaines), elle repart à la capitale subir cet examen. Là, il lui faudra encore voyager une semaine plus tard pour récupérer les résultats et les amener au cardiologue. Cela aurait été plus simple si elle avait logé dans la capitale pendant un mois, mais personne ne l’a prévenue à l’avance qu’elle aurait à faire tous ces allers retours avant que le cardiologue ne fasse un diagnostic qui débouche sur un traitement.

Avec les TIC, notre malade consulte chez le généraliste qui demande l’avis du spécialiste par vidéoconférence. Ce dernier demande directement par mail un rendez vous pour l’échographie doppler au centre d’imagerie. Une semaine après sa consultation, la malade va à la capitale uniquement pour bénéficier de l’examen et revient chez elle. Le centre d’imagerie envoie les résultats par mail au cardiologue qui pose le diagnostic et envoie ses recommandations au généraliste. La procédure a duré 2 semaines au lieu de plus d’un mois, et la malade ne s’est déplacée qu’une seule fois. Le tout a coûté…rien de plus par rapport à ce que cela coûte déjà de nos jours ! Nous avons même évité à la patiente de perdre une fortune dans les transports.

La situation actuelle de l’Algérie


Nous nous sommes adressés pour ce volet au CHU Béni Messous. Il s’agit d’un des rares services pourvus de WiFi sur la capitale, et le seul où le chef de service assure personnellement la séance de bibliographie pour les étudiants, ou comment utiliser l’outil Internet pour accéder aux revues médicales de référence. Il est aussi à noter qu’une revue de presse y a lieu tous les matins, l’occasion de «susciter l’intérêt » des médecins et des étudiants vis-à- vis des dernières mises à jour des connaissances en médecine. Un service où l’on peut redresser un diagnostic ou décider d’une conduite à tenir en allumant son laptop et en se connectant, ou trancher sur deux avis contradictoires pendant la visite du service en trouvant une source de référence sur Internet. Une immédiateté de la connaissance qui permet par exemple d’en apprendre plus sur une pathologie rare sans délais, faisant de ce service un exemple à suivre.

Est il envisageable de parler de télémédecine en Algérie ? Il faut commencer par le commencement. D’abord, il faut que le corps médical, sur l’ensemble de l’Algérie, s’habitue aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ensuite, il faut que l’ensemble des médecins soient informés sur la littérature mondiale (…). C’est ainsi que l’on a une mise à niveau, et pour qu’elle ait lieu, il faut qu’il y ait au niveau des unités de soin la possibilité de l’accès à l’information. Cela revient donc à mettre à disposition des étudiants et des médecins, au niveau de toutes les structures, l’accès à Internet. C’est à ce moment là que l’échange entre les médecins pourra se faire sur des bases solides et qu’on pourra utiliser la vidéoconférence. C’est l’individu qui compte. Si je suis à Tamanrasset et que je ne fais aucun effort pour avoir une boîte mail, je ne peux pas évoluer, que les autres fassent de la télémédecine ou pas. C’est-à-dire qu’il faut avoir une motivation pour adopter ce système.

Quelle est la place des TIC dans la formation du médecin algérien ? Les nouvelles technologies ont bouleversé l’enseignement. D’abord, l’enseignant, qui est intègre intellectuellement, ne peut pas raconter n’importe quoi parce que l’étudiant est capable d’aller à la source de l’information. La différence entre l’étudiant et l’enseignant consiste alors en l’expérience et le savoir faire de l’enseignant qui est là pour canaliser l’étudiant et hiérarchiser ses connaissances (...) Un étudiant qui travaille beaucoup n’a à la limite pas besoin d’enseignants.


N'TIC 52 / FEVRIER 2011