Le développement de la presse du papier vers l’électronique remonte à la fin des années 90. Il s’agissait en effet des journaux imprimés préexistants et mis en ligne. Ils ont été créés souvent à l’initiative des éditeurs des grands journaux à parution régulière (quotidiens, hebdomadaires, mensuels) et de langues différentes (arabes, français, anglais).
A partir de 1998, la majorité des entreprises de presse se sont mobilisées pour la création de leurs sites web. Ce développement vers le web a été pensé comme une stratégie de positionnement sur l’Internet. Les premiers développements sont confiés à des journalistes travaillant déjà sur le journal papier. La période est perçue comme transitoire, présentée comme une étape nécessaire dans l’utilisation du support numérique par les professionnels et pour une possibilité de constituer une équipe spécialiste. L’information électronique est perçue comme un prolongement, voire une extension considérable du support papier.
Dans la presse imprimée, les relations que le journal entretient avec les questions de temporalité sont d’abord identifiables à travers la périodicité ou encore les rythmes de parution. L’information en temps réel introduit une nouveauté en termes de rythmes de diffusion avec la notion de flux. Les éditeurs s’adressent à différentes catégories de lecteurs. Il y a les personnes apparentant à la région de diffusion et les personnes actives qui se connectent depuis leurs lieux de travail, les étudiants qui se connectent à partir de leurs universités. Une autre catégorie est à signaler : il s’agit des personnes qui se connectent à partir de leur domicile. En effet, le domicile est devenu le point d’accès au web pour plus de la moitié des internautes : 65% des internautes « surfent » le plus souvent depuis chez eux, contre 24.6% qui se connectent depuis leur lieu de travail (source WebDialn@™, septembre 2009).
Le formidable essor d’Internet a créé une très grande facilité de diffusion de l’information et les internautes ont pris l’habitude de consommer de façon gratuite. Bien qu’en augmentation constante, les recettes publicitaires en ligne sont encore loin de compenser la perte de revenus provoquée par la baisse des ventes de journaux imprimés. De nombreuses formules ont été expérimentées en vue de créer ce qu’on appelle « un modèle économique ».
Gratuit ou payant ? L’éternelle question qui revient
Le payant a des risques : la chute d’audience entraîne généralement la fuite des annonceurs. Jusqu’à maintenant, très peu de journaux généralistes ayant un site Internet arrivent à monétiser leur contenu en ligne. La presse traditionnelle a pour avantage de bénéficier de son audience papier pour la convertir au numérique : « Le Monde compte entre 110 000 et 120 000 abonnés en presse papier et un peu plus de la moitié d’entre eux a déclenché des abonnements numérique », a indiqué au JournalduNet Philippe Jannet, président du Groupement des éditeurs de services en ligne et directeur du Monde Interactif. Le site compte désormais 40 000 abonnés qui ont opté pour le «tout numérique» et 22 000 pour la formule premium qui comprend l’édition tous supports confondus. « Il y a un an, ils étaient 10 000 » se félicite-t-il.
Pour monétiser son audience, la presse traditionnelle doit être en mesure de proposer des services supplémentaires comme chez Liberation.fr qui comptait 17 000 abonnés payants en 2009 dont la majorité est concentrée sur l’offre à 15euros par mois qui permet d’obtenir Libération en avant-première dès 20h, alors que le journal papier est en cours de montage.
En Algérie, certains quotidiens comme « Liberté » ou « El Watan» mettent tardivement à jour leurs sites web pour espérer vendre plus d’exemplaires de leurs journaux. En effet, ils ont remarqué une relative chute du nombre de lectorat de l’édition papier, ce qui peut se répercuter à moyen terme sur les revenus publicitaires. Autrement dit, l’édition du web détourne les lecteurs du papier.
Est-ce une bonne tactique ?
Ce n’est pas si sûr car cela ne peut constituer qu’une mesure conjoncturelle, une riposte, voire une réaction. La majorité des sites ont maintenu la diffusion de la version du journal en PDF, c’est-à-dire le format réel à l’impression disponible dés minuit. En réalité, il faut savoir que la presse électronique en Algérie doit fidéliser un public rajeuni, féru des nouvelles technologies. Or, la majorité des sites algériens a été lancée pour toucher un lectorat résident à l’étranger (France, Canada). Il s’agit là d’un des premiers publics identifiés par les responsables des sites. La volonté unanime de ne pas investir dés le départ dans les sites de presse a conduit les journaux électroniques à n’être, dans un premier temps, que des produits dérivés du journal imprimé. L’offre a, dans un premier temps, proposé les mêmes contenus que le journal papier. C’est d’ailleurs encore vérifiable aujourd’hui pour la plupart des titres.
En l’absence de données précises, il est difficile de considérer que la presse en ligne dans notre pays a atteint un nombre considérable d’utilisateurs suffisant pour constituer réellement une masse critique à la stabilisation de son modèle économique. Cependant, certaines tendances semblent se dessiner. La presse en ligne en Algérie paraît s’orienter vers le financement par la publicité (marché de la téléphonie et de l’automobile), la rémunération de services spécifiques (diffusion de demandes d’emploi, fabrication de pages web ou de bannières publicitaires) et la vente de certains contenus (annonces, archives classées). On peut y ajouter à ces modes de financement les recettes de la presse papier qui contribuent directement aux coûts de la construction de sites surtout au début de l’expérience du lancement des journaux sur Internet.
Mais la bataille n’est pas gagnée pour autant. La presse algérienne est de plus en plus concurrencée par le développement des réseaux sociaux et des blogs. 57.9% des internautes algériens fréquentent les sites de réseaux sociaux. Le nombre d’algériens sur Facebook est de plus de 3 millions d’inscrits, soit 60.35% des internautes (voir numéro précédent de N’TIC Magazine). Un autre facteur est à prendre en compte : la multiplication des supports (téléphones mobiles et tablettes). Les équipes rédactionnelles ont à innover et imaginer une complémentarité entre l’imprimé et le numérique. Les choix sont difficiles à faire, entre les contenus destinés aux nouveaux lecteurs (particulièrement jeunes) et ceux destinés aux lecteurs fidèles (dans l’ensemble plus âgés), pas toujours en phase avec les pratiques des médias numériques. La lecture du journal sur les médias numériques, augmentée de fonctionnalités supplémentaires (liens hypertextes, association du son et de la vidéo, interactivité et participation), dans des conditions tarifaires plus favorables, voit son public augmenter, d’abord chez les plus jeunes, puis progressivement dans toutes les tranches d’âge et milieux sociaux.
La majeure partie de la presse magazine a déjà réalisé cette mutation en recourant à des journalistes extérieurs aux rédactions (pigistes). La presse magazine au début des années 2000 a bénéficié de l’apport du numérique dans toute la chaîne de production, de la rédaction à la gestion des fichiers d’abonnés, en passant par le traitement des images. Pour les quotidiens, le développement sur les médias numériques doit reposer sur une démarche de valorisation de l’information sur différents supports, avec des contenus spécifiques, mais pouvant partager la même identité éditoriale. Tel est l’enjeu actuel d’une presse algérienne qui doit opérer sa mue au plus vite.
Du support papier à l’édition numérique: la longue marche de la presse algérienne
Kamel RAHMOUNI