Sortis de la confidentialité, les logiciels libres et l’Open Source font des vagues dont l’amplitude ne cesse de croître dans le paysage des TIC. Ubuntu éveille les curiosités, bénéficie d’une série d’évènements ponctuels, de communautés de mieux en mieux organisées, de groupes universitaires,…combinant la gratuité à la performance, et gagnant en ergonomie et en accessibilité. Les alternatives libres sont là, sous notre nez, parfois sans qu’on le sache. Le lecteur VLC est par exemple un logiciel libre. Vous avez peut être contribué au fait qu’il dépasse le milliard de téléchargements, et pourtant, c’est peut être la première fois que vous rencontrez l’expression « Open Source ».
A différentes reprises au cours des précédents numéros, nous avons eu l’occasion de présenter la philosophie du logiciel libre, basée sur le partage, la liberté d’installer, d’utiliser, d’étudier, et de modifier les logiciels. Le monde du libre n’est pas statique, et il y aura toujours des choses à y découvrir.
Ce que l’on retient d’un mot, au-delà de son sens, c’est l’évocation d’un contexte, une émotion, une projection qui varie selon le vécu de tout un chacun. Prenons un mot
au hasard (ou presque) : Linux. Voyez-vous, quand pour les uns, ce mot évoque stabilité et flexibilité, open source et sécurité, controle et compétitivité, pour les autres (à savoir l’essentiel de l’humanité), Linux, si toutefois il évoque quoi que ce soit, sera synonyme de difficultés techniques, d’ingéniorat en informatique, et (ô rage! ô désespoir !) de lignes de commande.
Qu’évoque alors Android dans les esprits ? Le système d’exploitation pour mobile devices le plus en vogue ? Un OS populaire, ouvert, pratique, et qui domine aujourd’hui le paysage mobile. Pourtant, Android est basé sur Linux. On ne le dit pas souvent…on ne lit pas sur les boîtiers des smartphones « avec le système Android basé sur Linux! », et pour cause, l’émotion qu’évoquent ces deux mots dans l’esprit du consommateur sont contradictoires. Sans Linux, pas d’Android...Cet exemple n’est toutefois qu’un détail, car le monde de l’Open Source, dans le contexte actuel, finira par incarner le modèle dominant, tournant une page majeure dans l’histoire de l’informatique.
L’image fantasmée de Linux par la majorité joue un rôle prépondérant dans les stratégies de communication des géants industriels. Elle nie par exemple le fait qu’un utilisateur d’une distribution Linux peut faire la quasi-totalité de ce que peut faire ce même utilisateur sous Windows ou Mac OS. Elle est d’ailleurs tellement ancrée dans les esprits, que Google préfère carrément faire l’impasse dessus, un peu comme Danone qui ne communique pas sur la gélatine de porc utilisée pour améliorer la texture de ses produits. Pourtant, l’Open Source est un réel enjeu stratégique, et certains l’apprennent à la dure… Nvidia par exemple.
Nvidia est une corporation américaine majeure quand il s’agit de cartes graphiques. Partant de ce constat, le gouvernement chinois a commencé par leur commander 10 millions de processeurs graphiques. Le projet concerne l’équipement d’environ 100 000 écoles possédant chacune moins de 150 PC. Il était prévu que les PC en question tournent sous Linux et que les GeForce de Nvidia assurent la partie graphique… Autant dire que ça a tourné au vinaigre.
Linus Torvalds, figure incontournable du monde de l’Open Source, (ni plus ni moins que le fondateur de Linux), fustigeait quelques temps auparavant Nvidia concernant le soin qu’ils apportent au support de Linux. Nvidia fournit en effet un grand nombre de chipsets graphiques au marché Android, et utilisent donc Linux pour leurs travaux. Puis, quand il s’agit de faire un travail d’optimisation sur Ubuntu, un autre logiciel Linux, Nvidia s’y refuse et ferme son code source. Ce manque de réciprocité a tellement énervé Linus Torvalds, qu’au beau milieu de son discours tenu le 18 juin dernier à Otaniemi en Finlande, il fixe la caméra et lance un « So, Nvidia, fuck you » qui restera sûrement dans les annales.
Ce coup de sang de Linus Torvalds aura des conséquences inattendues. Les drivers de Nvidia ne sont en effet pas conçus pour fonctionner avec l’architecture des processeurs Longsoon qui équipent les PC chinois, il aurait donc fallu retravailler les codes sources de ces drivers basés sur Linux pour les adapter aux Longsoons. C’est la que Nvidia refuse de donner ses codes sources. Un choix calamiteux pour l’entreprise, qui n’adopte pas la philosophie du libre, et la commande des 10 millions de processeurs graphiques tombe à l’eau. Pire encore pour Nvidia, c’est son concurrent direct, AMD, qui hérite d’un marché estimé à au moins 250 millions de dollars, mais surtout, un partenariat inestimable avec le client chinois. Le plus drôle dans l’histoire est que l’optimisation des drivers de Nvidia pour les processeurs à l’architecture MIPS (comme les Longsoon) est un exercice qui se fera tôt ou tard, et ce, aux frais de la compagnie.
Comprendre l’intérêt de l’Open Source, et comprendre l’intérêt que lui portent les marchés des pays émergeants, voilà qui finira par devenir une affaire de survie dans le monde du logiciel.