Très récemment, un ami a attiré mon attention sur un document exceptionnel des archives de l’audiovisuelle française (INA) datant de 1984 dans lequel l’immense Steve Jobs, alors jeune et fougueux entrepreneur américain de 29 ans en visite à Paris, donnait une interview à Antenne 2. A l’époque déjà, la question était : Est-ce que la France se prêtait à des réussites comme celles d’Apple ? Et la réponse du génie est brillante par la justesse de sa vision. Je vous invite à la redécouvrir ICI. Alors, ma question présentement est : est-ce que l’Algérie se prête à des réussites comme celles qu’on voit à travers le monde ?
La réponse immédiate, tintée de chauvinisme, que j’entends déjà d’ici, est : “ Mais bien sûr! L’Algérien est aussi -voire plus- intelligent qu’aucune autre personne au monde”. Sans polémique aucune, sans paternalisme aucun, sans fatalisme aucun, tentons de voir ce qu’il nous faudrait pour faire démarrer la machine.
D’abord du côté positif : je viens de parcourir un certain nombre de villes de l’Algérie profonde et j’ai été franchement épaté par toute cette débauche d’énergie dans les universités, de la part de nos jeunes qui y croient et qui n’ont besoin que d’être accompagnés. Oui, oui : quand on est jeune, on ne le demande pas, mais on a besoin de la vision des aînés. Faute de vision et d’accompagnement, toute cette énergie dépensée ne produira que de menus résultats.
Là, j’en viens à la partie négative de mon discours, volontairement plus fournie j’en conviens, à dessein, mais que cela ne décourage personne. Les start-ups, jeunes pousses à la croissance rapide, n’obéissent pas aux mêmes règles que les entreprises établies, ni les mêmes méthodologies que les commerces traditionnels. Pour cette raison, elles ont besoin d’un écosystème propre qui favorise l’échange d’expérience. Pour avoir intégré un incubateur comme porteur de projet, je puis affirmer qu’on vous y inculque les mêmes concepts et conseils que ceux qu’on donnerait à quelqu’un qui produirait un nouveau biscuit ou une nouvelle marque de shampoing.
Parmi les concepts les plus singuliers de la start-up, la scalabilité : capacité à démultiplier ses clients et son revenu à partir d’un investissement quasiment constant. Il s’agit d’un concept plutôt dur à assimiler par les apprentis “startuppeurs” : c’est pourtant le principal point caractéristique de la start-up.
Cette capacité à se démultiplier en taille n’est pas propre aux start-ups web ; le manga japonais n’a réussi à dominer le monde du dessin animé que grâce au développement de techniques de réduction de coût pour démultiplier les créations de dessins animés avec des ressources limitées. Néanmoins, la scalabilité s’est fortement accentuée avec le virtuel qui permet, avec un investissement quasiment constant, de toucher aussi bien un qu’un milliard de clients : une application mobile, une fois développée et placée sur une marketplace, répond parfaitement à cet exemple, pour peu qu’on planifie sa scalabilité en amont.
Et là est la plus grande source de croissance des start-ups : l’innovation par le business modèle. Il m’a été donné de voir des concepts géniaux de produits, mal vendus, transformer leur porteur en salarié au revenu minimal. Comme il est très souvent impossible d’avoir le bon modèle d’affaire dès la conception du produit, les moments clés d’une startup sont les moments où elle “pivote”, où elle change de stratégie ou de modèle d’affaires. Certaines startups ferment à ce moment là, d’autres prennent leur essor pour avoir pivoté de la meilleure manière, comme Criteo.
L’autre point sur lequel je souhaitais dire un mot, c’est la communication autour de l’idée ou du produit. Même l’idée la plus brillante et la plus géniale au monde a besoin de compétences pointues en communication pour être vendue. Notamment, savoir “pitcher” -présenter son projet en moins d’une minute- permet de s’exercer à en tirer le meilleur du meilleur. Voici donc parmi les choses qu’il est le plus urgent d’apprendre à nos porteurs de projets, au lieu de leur faire faire les bilans financiers prévisionnels sur 5 ans ou des exposés interminables de 30 minutes.
Soit dit en passant, le concept d’incubateur a lui-même montré ses grandes limites à travers le monde, où il tend à être remplacé par des accélérateurs de startups. Ces derniers ne sont, en fait, qu’un pivot du concept d’accompagnement des startups dans leur développement.
Samir ROUABHI,
Coach en entrepreneuriat