Certains définissent l’addiction à Internet dépendamment du volume horaire qui est consacré à Internet. En chine par exemple, tout adolescent qui est connecté plus de 4 heures par jour, 6 jours par semaine, peut être diagnostiqué cyberdépendant. Cela dit, cette définition est erronée car il ne s’agit pas tant de la « quantité » de connexion mais de la « nature » de cette dernière. Est-ce que je peux m’empêcher de me connecter ? Est-ce que je peux consacrer du temps pour mes cours ou mon travail ? Estce que je m’isole de mes amis ? Bref, est-ce qu’Internet envahit mes pensées si bien que je suis soumis à être connecté ? C’est en répondant à ces questions que l’on diagnostique une cyberdépendance. Si, pendant le prochain mois du Ramadan qui est en plein été, un adolescent passe 8 heures par jour entre ses consoles et ses réseaux sociaux parce qu’il ne peut ni sortir à cause du jeûne ni étudier parce qu’il est en vacances, pas la peine de courir voir un psychiatre. Il suffit qu’un centre d’intérêt apparaisse pour changer ce comportement.
Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que l’état de dépendance n’est jamais lié à un seul élément. Si les jeux vidéo à eux seuls causaient une dépendance, l’incidence réelle de la maladie serait plus grande. La cyberdépendance, c’est la rencontre d’une personnalité prédisposée avec l’objet de l’addiction. Pour quelqu’un qui n’a pas de prédisposition, la séparation du virtuel et du réel demeurera solide, on a le recul nécessaire sur le jeu et on sait que ce qui s’y déroule est moins important que ce qui se passe dans la vraie vie, tout comme on a du recul sur ce qui se passe dans un film. Le problème avec les jeux vidéo, c’est que l’on n’est pas uniquement spectateur, mais partie prenante dans les événements du jeu. L’avatar n’est ni plus ni moins qu’une projection de soi telle que l‘on voudrait être. Vous avez certainement déjà vu des enfants qui s’imaginent être des supers héros. Après le jeu, ils savent qu’ils ne sont pas des supers héros. L’avatar, c’est le moyen pour un adulte qui a du mal à s’imaginer les choses aussi facilement qu’un enfant, de se prendre pour un super héro. Après le jeu, lui aussi sait qu’il n’est pas un super héro et le vit plutôt bien, alors qu’une personnalité prédisposée a du mal à revenir dans la vraie vie, elle préférera sa vie d’avatar. Donc, le jeu à lui seul ne suffit pas. Il faut aussi que le sujet soit fragilisé, et l’on sait combien l’adolescence peut être source de fragilité.
Ceci est une erreur majeure. Il ne faut pas céder à la caricature. Tous les jeunes ne souffrent pas de pathologies mentales ! Des états d’autodépréciation liés à une dépression nerveuse sont le genre de prédisposition dont on parle. Certaines psychoses chroniques se révèlent par un reclus social et divers addictions, dont la cyberdépendance, et bien qu’un algérien sur cent souffre de schizophrénie, pas la peine de crier au loup si l’enfant ne voit pas ses résultats scolaires diminuer. Les adolescents sont les principaux consommateurs de jeux vidéo sur Internet et seule une fraction très minoritaire souffre effectivement de cyberdépendance. Avant, quand leur enfant passait 4 heures par jour devant la télévision, les parents ne s’alarmaient pas parce qu’eux-mêmes passaient autant de temps devant la télé. Cependant, Internet n’est pas utilisé de la même manière par l’ado et par ses parents, et c’est ce décalage, couplé au tapage médiatique sur la cyberdépendance, qui fait paniquer les parents. Alors pas la peine de rajouter de l’huile sur le feu.
Ensuite, la cyberdépendance ne se cantonne pas aux jeux vidéo. Certains passent leur vie sur des sites de rencontre en se faisant passer pour un personnage tout droit sorti de leurs fantasmes, une sorte d’avatar qui ne dit pas son nom, caché derrière un pseudonyme. Pour ceux là, Internet a peut être le défaut de leur faciliter la tâche de l’isolement et de l’usurpation. Il peut amplifier les symptômes, il peut révéler les symptômes s’ils sont sous-jacents, mais il ne peut pas rendre névropathe quelqu’un qui ne l’est pas. Preuve en est que le nombre de patients n’augmente pas proportionnellement à l’essor d’Internet, mais dépendamment d’autres paramètres qui, eux, ne relèvent pas du virtuel. Disons simplement que les comportements pathologiques liés à Internet sont une nouvelle forme d’expression de pathologies que l’on connaissait déjà. Cela va des jeux d’argent aux achats compulsifs en passant par les troubles du comportement sexuel. Ceci rend l’équation « ado+jeu sur Internet=nolife » une pure fantaisie.
Une étude, faite par l’institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Lausanne publiée dans la très sérieuse revue Pediatrics en janvier 2011, a révélé un élément que l’on ne soupçonnait pas jusqu’alors. Certes, on savait déjà qu’une trop grande utilisation d’Internet était corrélée à l’obésité et à des troubles du sommeil, mais on s’est rendu compte que la sous-utilisation d’Internet présentait encore plus de risques de développer une dépression nerveuse ! Evidemment, il s’agit là de la Suisse, où Internet est complètement banalisé. On s’est rendu compte qu’Internet avait créé un nouveau besoin: l’entretien de ses relations à travers les réseaux sociaux. Ainsi, un jeune suisse qui ne se connecte pas assez va s’isoler de ses camarades.
Cette étude montre que les jeunes les plus épanouis ont une utilisation régulière d’Internet, à savoir moins de deux heures par jour 6 jours par semaine. Ceux qui en abusent et ceux qui ne se connectent que rarement ont plus de chance que les autres de développer des troubles mentaux.
Beaucoup de bruit pour rien. La cyberdépendance est surtout présente dans les médias et dans les angoisses des parents devant un adolescent en pleine crise. Le plus souvent, ce genre de plaintes relèvent du manque de communication parents-enfants, et les parents se focalisent sur l’ADSL pour trouver un coupable devant le changement de comportement qui accompagne l’adolescence. A part cela, et plus rarement, cette dépendance peut révéler de vraies pathologies mentales comme nous l’avons déjà expliqué, mais il n’est pas encore question de parler de « phénomène de société ». Peut être est-ce parce que peu de foyers ont Internet à la maison ? En tout cas, cette latence dans l’apparition de la cyberdépendance dans notre pays nous donne le recul nécessaire pour gérer le problème quand il fera réellement son apparition.
Quelques définitions de circonstance
Geek
Ceci est un terme générique. Le geek, c’est le passionné, l’amateur au savoir très pointu dans le domaine qui l’intéresse. Que ce soit la science fiction, l’informatique, le manga,… deux geeks qui se passionnent dans le même domaine ont leur propre jargon. Ainsi, le geek a des amis, une vie sociale, ce qui est compatible avec le travail et l’autonomie. Le geek n’est pas nécessairement adolescent. Il peut être âgé, le néologisme « adulescent » leur a été consacré pendant une période, puis on se rend compte qu’un geek n’est pas si différent d’un passionné de football ou de voitures qui consacrerait tout son temps libre à sa passion…à ceci près qu’ils ne parlent pas le même langage.
Nerd
Ce terme est déjà nettement plus stigmatisant. Le nerd, bien qu’il puisse conserver une vie sociale, est plus maladroit et n’a aucune chance d’être populaire. Il ne connait que l’informatique et/ou la science fiction, et ne pratique jamais d’activité sportive (alors que le geek la pratique très rarement, ce qui est déjà pas mal). Lui est déjà plus ancré dans l’adolescence. Un adulte rentre déjà bien plus rarement dans la définition du nerd.
No-life
On rentre dans la pathologie. Le no-life ne conserve aucune vie sociale, il est entièrement dédié au jeu vidéo sur Internet. Le no-life n’a pas les connaissances en informatique d’un geek. Tout ce qui l’intéresse, c’est de faire fonctionner son PC pour jouer. Il n’a pas d’ « amis », il fait partie de telle tribu d’elfes de la nuit ou de telle confrérie de chevaliers. C’est le no-life qui est à l’origine de la tempête médiatique sur la cyberdépendance. Il est essentiellement adolescent, mais cet état est surdiagnostiqué.
Cyberdépendance
Ceci est le terme dédié à l’addiction à Internet. Il définit une conduite incontrôlée du sujet qui ne peut se refréner d’être connecté. La cyberdépendance a une cinétique qui ressemble à la dépendance aux drogues, c’est-à-dire que le sujet verra son temps de connexion augmenter avec le temps, et se sentira anormalement heureux quand il se connectera. Il sacrifie son sommeil et toute autre activité pour être connecté. La cyberdépendance n’est pas une maladie en soi, elle fait partie d’une des manifestations visibles d’une personnalité pathologique.