Handicap et usage des TIC en Algérie : entre obstacles et espoir

Numéro dossier: 99

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Grâce à la technologie, notre vie devient de plus en plus facile et nous avons accès à plusieurs services. Pour des millions d’êtres humains, la technologie a changé la face du monde depuis déjà plusieurs décennies. Aujourd’hui, il est tout à fait normal que cette technologie puisse profiter aux personnes aux besoins spécifiques dont la vie est de plus en plus compliquée en raison de leur handicap. Mais qu’en est-il réellement de l’usage des nouvelles technologies pour faciliter la vie aux personnes handicapées, quelle que soit la nature du handicap ? En quoi les TIC peuvent-ils faciliter la vie à cette frange de la société ? Quels logiciels et applications sont mis à la disposition des handicapés en Algérie ? Comment peut-on évaluer l’usage des TIC dans ce segment ? C’est à toutes ces questions que nous essaierons de répondre dans ce dossier.

 

Depuis 2011, les Nations Unies ont institué le pacte des droits des personnes porteuses de handicap destiné aux partis politiques de plusieurs pays, pour qu’ils s’engagent, dans leurs programmes électoraux, à garantir une société inclusive et à respecter les droits et les libertés des personnes handicapées. Cette noble initiative tend à aboutir au développement d’une société durable et d’un environnement où cohabite l’ensemble des individus. Mais qu’en est-il réellement de la situation de nos handicapés en Algérie ? Profitent-ils réellement de l’usage des TIC ? Leur vie est-elle plus facilitée après l’avènement des nouvelles technologies et quelles sont les applications les plus répandues qui leur rendent l’existence plus aisée?

Selon l’Office National des Statistiques, l’Algérie compterait quelques 2 millions de handicapés dont 44% atteints de handicap moteur, suivi par le handicap lié à la compréhension et la communication (32%), tandis que le handicap visuel concerne 32% des personnes handicapées. Ces personnes font partie de notre quotidien. Certaines étudient, d’autres travaillent et d’autres chôment, mais pour la plus grande majorité, le quotidien est bien difficile en raison de l’insuffisance de logiciels et d’applications en mesure de faciliter la vie à cette frange de la société.

A ce propos, M. Kandsi, enseignant à l’université d’Oran, a recommandé le développement des logiciels spécifiques qui facilitent l’usage des nouvelles technologies permettant l’enseignement en ligne et une intégration de tous pour le développement et une meilleure qualité des services. Insistant sur le fait qu’une personne handicapée est une personne à part entière, à la fois ordinaire et singulière, M. Kandsi a affirmé que « le fait pour une personne de se trouver durablement limitée dans ses activités ou restreinte dans sa participation sociale, en raison d’une altération d’une fonction physique, sensorielle, mentale ou psychique ou de plusieurs d’entre elles constituent un handicap ».

Usage des TIC pour les handicapés, quel intérêt ?

L’accès aux nouvelles technologies permet aux handicapés de tirer parti des formidables potentiels de cet outil en matière de communication, d’information et d’éviter que ces derniers ne soient constamment exclus. Par ailleurs, les TIC prennent une place très importante dans l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées en leur rendant la vie plus facile. Par l’introduction de ces nouvelles technologies, l’intégration scolaire, sociale ou professionnelle des personnes handicapées devient plus facile.

Il faut dire que les handicapés affrontent au quotidien des difficultés insurmontables que l’usage des nouvelles technologies pourrait facilement résoudre. L’informatique et les nouvelles technologies offrent aujourd’hui de nombreuses alternatives qu’il est possible d’exploiter afin d’améliorer l’accessibilité des personnes handicapées.


Dans le monde entier, il existe des solutions logicielles et matérielles pour assister ces personnes. Pour les handicapés visuels par exemple, il existe du matériel et des logiciels spécifiques, tels que les terminaux braille, les synthétiseurs de parole, les machines à embosser, les logiciels d’agrandissement d’écran, les logiciels de filtrage et de récupération de contenu, etc. Malheureusement, en Algérie et de l’avis de plusieurs spécialistes, il n’existe pas d’applications high-tech spécialement destinées aux handicapés qui en souffrent réellement.

Selon Mohamed Amine BOUDHAR, consultant en digital, les applications destinées aux personnes souffrants de handicaps, ou facilitant l’insertion de ces derniers dans la société en Algérie, sont rarissimes voire inexistantes. « Il existe certes quelques solutions digitales, généralement importées, très utiles à ce type de population aux besoins spécifiques. Par exemple, une grande association caritative a offert récemment une solution digitale complète à une école de sourds et muets, pour leur faciliter l’apprentissage. Cependant, cela reste très coûteux et marginal », explique-t-il.

TIC et insertion des handicapés : encore du chemin à faire

En Algérie, les personnes handicapées ont du mal à s’intégrer dans la vie professionnelle comme personnelle. Trop peu d’entre elles travaillent soit par manque de qualification ou du fait de la conjoncture économique, mais surtout parce que notre société ne s’est pas donnée les moyens d’une véritable intégration. Cette situation est similaire pour tout ce qui touche à la vie personnelle, l’autonomie dans le déplacement, l’accès à la culture et au sport, etc.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent aux handicapés dans le monde entier des solutions très efficaces. Malheureusement, ces applications et logiciels font défaut dans notre pays en dépit de leur importance capitale. En effet, si une personne handicapée est bien équipée, elle pourra facilement utiliser ses moyens pour se faciliter l’existence et accomplir plusieurs tâches sans devoir toujours dépendre de quelqu’un. Grâce aux TIC, elle pourra devenir complètement autonome, mais à condition qu’elle puisse avoir ces outils à sa disposition.

En Algérie, les TIC pourraient jouer un rôle important en vue d’offrir aux personnes en situation de handicap un rôle à part entière dans notre société. Pourtant, à ce jour et en dépit de l’importance de l’usage des TIC dans la vie quotidienne, ce créneau peine à se développer et nos handicapés demeurent dépendants et condamnés à rester déconnectés des progrès qui s’opèrent dans le monde entier.


 

Entretien avec Mohamed Amine BOUDHAR, consultant en digital
« Les personnes handicapées n’ont pas accès aux TIC »

 

Mohamed Amine Boudhar est consultant en digital. Les TIC sont sa passion et son domaine de prédilection. Il voit une importance particulière dans l’apport de ces nouvelles technologies dont la première mission est de faciliter la vie aux humains. Cependant, parlant des handicapés, ce consultant nous apprend qu’en matière d’usage des TIC pour les personnes handicapées, il n’existe pas réellement grand chose concrètement parlant.

Existe-t-il plusieurs applications destinées aux handicapés et quelles sont les plus efficaces et répandues ?

A ma connaissance, il n’y a pas d’applications mobiles destinées aux personnes souffrants de handicaps, ou facilitant l’insertion de ces derniers dans la société en Algérie, ou alors elles ne sont pas très répandues ou très connues. Il y a certes quelques solutions digitales, généralement importées, très utiles à ce type de population aux besoins spécifiques. Par exemple, une grande association caritative a offert récemment une solution digitale complète à une école de sourds et muets, pour leur faciliter l’apprentissage. Cependant, cela reste très coûteux et marginal.

Comment est-ce que ces applications facilitent la vie aux personnes handicapées ?

A l’étranger par exemple, de nombreuses applications, mobiles notamment, ont pour principale fonction de faciliter l’insertion de personnes souffrant de handicaps dans la société. Parmi elles, il y a Blindsquare qui vous donne des infos sur l’environnement qui vous entoure après vous avoir géolocalisé, ou encore Kelsigne, un réseau social pour les vidéos en langue des signes. Ou encore GuidEnVille qui vous accompagne dans les transports parisiens via une assistance vocale. Chez nous, ce n’est pas encore le cas.

Pourquoi n’y a-t-il pas ce type d’applications en Algérie ?

La première raison, à mon avis, est que le handicap n’est malheureusement pas intégré dans une dimension sociétale. Plus vulgairement, tout le monde se sent concerné par la santé ou la sécurité routière, mais pas par le handicap. Le handicap est plus considéré comme relevant du personnel. Ce qui crée une méconnaissance dangereuse de la société des problèmes liés au handicap et son désintéressement. L’exemple le plus probant est celui des médias. Une nuée de chaînes TV a été créée depuis 2012. Toutes traitent des problèmes qu’elles considèrent de société, comme la santé, la sécurité routière, l’éducation. Combien ont consacré des programmes aux handicapés ? Aucune à ma connaissance. De l’autre côté de la Méditerranée, tous les films sont disponibles en audio description (pour les non-voyants). Deuxièmement, les communautés de personnes souffrant de handicaps ne poussent pas assez vers l’éclosion de ce type d’applications. Il est vrai que les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien sont tellement nombreux qu’il serait difficile de penser à tout.

Qu’est-ce qui pourrait changer la donne ?

Les communautés de personnes souffrant de handicaps doivent amorcer un processus d’émulation dans ce sens. Lancer des applications, des concours dans ce sens, promouvoir les expériences réussies dans ce domaine, ou au moins sensibiliser quant à l’utilité de solutions digitales pour l’insertion des handicapés. En gros, faire du lobbying dans ce sens. D’un autre côté, la tutelle doit les soutenir financièrement, et les entreprises doivent également jouer le jeu pour l’éclosion de ce type d’applications. Les trois opérateurs 3G en Algérie proposent différentes applications pour leurs usagers, afin de dynamiser le digital DZ. Rien ne les empêche d’en consacrer certaines pour ces personnes aux besoins spécifiques. Idem pour les concours qu’ils organisent. Consacrer une thématique sur le handicap pourrait constituer un bon début.


Les personnes souffrant de handicaps s’accaparent-elles les nouvelles technologies ?

Les personnes souffrant de handicaps ne sont pas les derniers lorsqu’il s’agit de nouvelles technologies. Pour pallier leurs handicaps, ils exploitent au maximum les ressources qui leur sont disponibles, comme les nouvelles technologies. En 2006 par exemple, lorsque la pénétration de la téléphonie mobile n’était pas aussi importante que maintenant, au sein de l’union des sourds muets de la wilaya d’Alger que je fréquentais, la quasi-totalité des adhérents étaient déjà détenteurs d’un téléphone portable pour communiquer via SMS. La communauté des sourds muets a été la première également à s’approprier le web, et ainsi de suite pour toutes les nouvelles technologies qui se démocratisent. On peut transposer cela sur plusieurs autres handicaps. Et c’est là tout le potentiel des nouvelles technologies dans l’insertion de personnes souffrant de handicaps dans la société.


 

Rencontre avec Madi Krimo, journaliste et consultant web
« Depuis l’arrivée des TIC, les personnes handicapées jouissent de plus d’autonomie »

 

Madi Krimo est un journaliste et consultant web, âgé de 35 ans, diplômé de l’université d’Alger, spécialité science de journalisme, promotion 2006. Ce jeune journaliste exerçant à la radio algérienne, la radio Chaîne II plus précisément, en tant que journaliste a réalisé plusieurs émissions, dont une émission sur les TIC. Il est actuellement chef de département, responsable du site web de la Chaîne II et son handicap physique ne l’empêche pas d’aller de l’avant et d’exercer sa vie en toute autonomie. Nous l’avons interrogé à propos de l’accès aux TIC pour les handicapés et il ne dissimule pas son optimisme quant aux progrès réalisés dans ce domaine.


Que représente Internet pour les personnes handicapées ?

Depuis l’arrivée d’Internet en Algérie, les personnes à mobilité réduite retrouvent une certaine autonomie dans leur vie quotidienne : le travail, la communication, l’éducation et les loisirs. En d’autres termes, le web propose des solutions pratiques à leurs préoccupations. Internet représente donc, chez ces personnes, l’insertion : être indépendant dans la vie.

En quoi les TIC peuvent faciliter la vie quotidienne des personnes handicapées ?

Bonne question ! Les TIC répondent aux besoins et exigences de différentes communautés de populations : femmes, enfants, travailleurs et particulièrement les personnes handicapées. Grâce aux TIC, les non-voyants pourront lire, écrire, enseigner, communiquer, sur différents supports tels que le PC, le mobile et la tablette. Mais il faut doter seulement ces technologies par des logiciels spécifiques (synthèse vocale), qui sont téléchargeables gratuitement à partir d’Internet. Idem pour les sourds-muets qui peuvent suivre des formations dans le domaine informatique et travailler normalement, car le visuel compense leur handicap. Ensuite, le téléphone mobile pour les non-voyants facilite le contact avec leur entourage, garantit leur accessibilité à tous les niveaux et l’arrivée de la 3G leur offre même la possibilité d’avoir des repères (chemins, gares,….), et cela grâce à l’application mobile de géolocalisation. Concernant l’accessibilité pour les personnes handicapées moteurs, les voitures qui sont aménagées grâce aux technologies facilitent leur vie quotidienne, surtout ceux qui font le déplacement régulièrement pour rejoindre leur poste de travail. En tous les cas, les TIC offrent beaucoup de facilités pour ces personnes.

Qu’est-ce qui est proposé aux handicapés en Algérie ?

Le développement des TIC dans notre pays a un impact positif sur l’ensemble de la société en général, les personnes handicapées en particulier. Par exemple, la mise en place de l’administration électronique fournit des facilités intéressantes pour cette population. L’e-administration permet aux personnes handicapées d’avoir leurs documents d’état-civil sans se déplacer. Il est aussi important de souligner que le service audiovisuel, particulièrement le livre en version numérique dédié aux personnes handicapées visuelles, se trouvant au niveau de la Bibliothèque Nationale El-Hama, démontre concrètement la volonté des responsables d’assurer l’accès à l’éducation pour tous, même si l’établissement ne dépend pas du secteur de la solidarité. A l’avenir, le paiement électronique assurera davantage l’autonomie des personnes handicapées dans leur quotidien : payer à distance les factures (l’eau, l’électricité,….) à partir du PC ou du mobile, effectuer des achats via Internet, etc.

Pouvons-nous estimer qu’en Algérie, nous disposons d’applications adaptées pour les personnes handicapées et notamment les enfants scolarisés ?

Des applications adaptées pour les personnes handicapées, et notamment pour les enfants scolarisés, ne sont pas encore introduites dans l’institution scolaire. Certes, il y a des efforts individuels dans ce volet, qui sont à encourager. A titre d’exemple, lors de l’événement BeMyApp (concours d’applications mobiles) à Oran fin 2013, certains jeunes participants ont développé des applications à vocation humanitaire. Exemple: «BloodAid», une application destinée à faciliter l’opération de don de sang, et «Sellefli 3aynik» (Prêtes-moi tes yeux), une application destinée essentiellement aux non-voyants. Elle permet à un non-voyant de «sortir» de l’isolement professionnel, culturel et social que lui impose souvent son handicap, en l’intégrant dans un système de solidarité citoyen où chacun peut facilement contribuer. Ce type d’initiative devrait être financé par les organismes concernés, car ce genre de création propose directement des solutions aux problèmes des handicapés.

Avons-nous un programme d’intégration permettant aux élèves handicapés de suivre un programme éducatif spécifique ?Dans une conférence portant sur le thème «le rôle des nouvelles technologies de la communication dans l’insertion des enfants handicapés au milieu scolaire» en mai 2014, vous avez parlé de la technologie d’assistance pour les enfants handicapés scolarisés. Pouvez-vous nous parler de cette technologie ? Que vise cette approche ? Peut-on estimer qu’en Algérie, il existe une stratégie nationale et globale d’insertion des personnes handicapées ?

A ma connaissance, non. Seules les écoles pour aveugles sont dotées de Cyber-Braille (salle d’Internet pour les jeunes non-voyants). Dans ce type de conférence, j’essaye de susciter un débat constructif concernant l’apport des TIC dans les milieux scolaires pour les enfants handicapés. Ma démarche vise essentiellement à expliquer l’importance de l’intégration des TIC auprès des responsables du secteur de l’éducation et du secteur de la solidarité nationale afin d’assurer une meilleure scolarité de ces enfants. Il est donc nécessaire que tous les acteurs de la société adhèrent à ce projet pour assurer l’égalité des chances à tous les citoyens. Malheureusement, les professionnels du secteur (les entreprises, les institutions chargées de la question), y compris les associations humanitaires, privilégient « le social » quand il s’agit de financer des programmes à l’égard de cette frange de la société, alors que les programmes des TIC concernant l’intégration des handicapés font défaut.

Comment les TIC peuvent-elles rendre la vie meilleure aux handicapés ?

Les réseaux sociaux offrent de grandes opportunités de divertissement pour les personnes handicapées, cloitrées chez elles. C’est déjà un moyen de sortir de la solitude et de se faire des amis, et de débattre avec les internautes. Il serait intéressant d’effectuer des études sociologiques et psychologiques dans ce domaine afin de mieux cerner la demande et les attentes de cette population. Les TIC permettent aussi toutes sortes de divertissements, tels que la musique, les films, la lecture,… Pour finir, j’aimerais attirer votre attention sur un fait capital : chaque projet, grand ou petit, proposé par les institutions étatiques devraient prendre en compte cette frange de la société, afin qu’elle bénéficie des mêmes droits et des mêmes obligations que le reste de la population. Je citerais l’exemple du site de l’AADL, lors de la dernière inscription en ligne. Ce dernier n’a pas prévu une case spécifique pour les handicapés, au même titre que la case « femme divorcée », etc. Car le traitement de leurs dossiers nécessite une prise en charge particulière, ce qui est d’ailleurs prévu par les textes de loi. Une personne à mobilité réduite devrait être reçue dans des conditions aménagées afin de lui faciliter les démarches administratives.