Entretien avec Mohamed Amine BOUDHAR, consultant en digital
« Les personnes handicapées n’ont pas accès aux TIC »
Mohamed Amine Boudhar est consultant en digital. Les TIC sont sa passion et son domaine de prédilection. Il voit une importance particulière dans l’apport de ces nouvelles technologies dont la première mission est de faciliter la vie aux humains. Cependant, parlant des handicapés, ce consultant nous apprend qu’en matière d’usage des TIC pour les personnes handicapées, il n’existe pas réellement grand chose concrètement parlant.
Existe-t-il plusieurs applications destinées aux handicapés et quelles sont les plus efficaces et répandues ?
A ma connaissance, il n’y a pas d’applications mobiles destinées aux personnes souffrants de handicaps, ou facilitant l’insertion de ces derniers dans la société en Algérie, ou alors elles ne sont pas très répandues ou très connues. Il y a certes quelques solutions digitales, généralement importées, très utiles à ce type de population aux besoins spécifiques. Par exemple, une grande association caritative a offert récemment une solution digitale complète à une école de sourds et muets, pour leur faciliter l’apprentissage. Cependant, cela reste très coûteux et marginal.
Comment est-ce que ces applications facilitent la vie aux personnes handicapées ?
A l’étranger par exemple, de nombreuses applications, mobiles notamment, ont pour principale fonction de faciliter l’insertion de personnes souffrant de handicaps dans la société. Parmi elles, il y a Blindsquare qui vous donne des infos sur l’environnement qui vous entoure après vous avoir géolocalisé, ou encore Kelsigne, un réseau social pour les vidéos en langue des signes. Ou encore GuidEnVille qui vous accompagne dans les transports parisiens via une assistance vocale. Chez nous, ce n’est pas encore le cas.
Pourquoi n’y a-t-il pas ce type d’applications en Algérie ?
La première raison, à mon avis, est que le handicap n’est malheureusement pas intégré dans une dimension sociétale. Plus vulgairement, tout le monde se sent concerné par la santé ou la sécurité routière, mais pas par le handicap. Le handicap est plus considéré comme relevant du personnel. Ce qui crée une méconnaissance dangereuse de la société des problèmes liés au handicap et son désintéressement. L’exemple le plus probant est celui des médias. Une nuée de chaînes TV a été créée depuis 2012. Toutes traitent des problèmes qu’elles considèrent de société, comme la santé, la sécurité routière, l’éducation. Combien ont consacré des programmes aux handicapés ? Aucune à ma connaissance. De l’autre côté de la Méditerranée, tous les films sont disponibles en audio description (pour les non-voyants). Deuxièmement, les communautés de personnes souffrant de handicaps ne poussent pas assez vers l’éclosion de ce type d’applications. Il est vrai que les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien sont tellement nombreux qu’il serait difficile de penser à tout.
Qu’est-ce qui pourrait changer la donne ?
Les communautés de personnes souffrant de handicaps doivent amorcer un processus d’émulation dans ce sens. Lancer des applications, des concours dans ce sens, promouvoir les expériences réussies dans ce domaine, ou au moins sensibiliser quant à l’utilité de solutions digitales pour l’insertion des handicapés. En gros, faire du lobbying dans ce sens. D’un autre côté, la tutelle doit les soutenir financièrement, et les entreprises doivent également jouer le jeu pour l’éclosion de ce type d’applications. Les trois opérateurs 3G en Algérie proposent différentes applications pour leurs usagers, afin de dynamiser le digital DZ. Rien ne les empêche d’en consacrer certaines pour ces personnes aux besoins spécifiques. Idem pour les concours qu’ils organisent. Consacrer une thématique sur le handicap pourrait constituer un bon début.
Les personnes souffrant de handicaps s’accaparent-elles les nouvelles technologies ?
Les personnes souffrant de handicaps ne sont pas les derniers lorsqu’il s’agit de nouvelles technologies. Pour pallier leurs handicaps, ils exploitent au maximum les ressources qui leur sont disponibles, comme les nouvelles technologies. En 2006 par exemple, lorsque la pénétration de la téléphonie mobile n’était pas aussi importante que maintenant, au sein de l’union des sourds muets de la wilaya d’Alger que je fréquentais, la quasi-totalité des adhérents étaient déjà détenteurs d’un téléphone portable pour communiquer via SMS. La communauté des sourds muets a été la première également à s’approprier le web, et ainsi de suite pour toutes les nouvelles technologies qui se démocratisent. On peut transposer cela sur plusieurs autres handicaps. Et c’est là tout le potentiel des nouvelles technologies dans l’insertion de personnes souffrant de handicaps dans la société.