En feuilletant l’un des journaux les plus lus du pays, nous tombons sur une petite annonce qui pique notre curiosité de technophiles: "Téléphones portables prix choc! (...) Smartphones à moitié prix! (...) Si vous trouvez moins cher ailleurs, on vous rembourse ! ». L’annonce concernait l’enseigne la plus connue de la capitale qui s'est historiquement spécialisée dans le CD de musique "gravée". Une fois sur place, nous nous trouvons devant le paradis du Shanzhai ! La quasi-totalité des produits sont contrefaits. Shanzai est le terme dédié à ce que le vendeur présente comme étant un "portable chinois" (un abus de langage malheureusement fréquemment utilisé), produits irréguliers qui alimentent le « Fake Market », le « marché du faux ». Comment de tels produits peuvent être si banalisés qu'on en fait de la pub dans les journaux? Tous les portables "chinois » peuvent-ils être logés à la même enseigne ? Pourquoi la téléphonie mobile est-elle autant victime de contrefaçon? Afin de répondre à ces questions, allons à la découverte du Shanzhai.
Un terme à la mode
« Portable chinois » est un terme impropre qui commet bien des amalgames. Certains consommateurs s’emmêlent les pinceaux par exemple entre des produits contrefaits et des produits de marque fabriqués en Chine. « Conçu en Californie, fabriqué en Chine » est une phrase qui se retrouve sur iPhones originaux et contrefaits, si bien que certains peuvent être floués sur la « bonne affaire » qu’ils viennent de faire en achetant un terminal à moitié prix. Autre amalgame, entre les produits contrefaits et les produits de marques chinoises, en effet. Certains logent à la même enseigne des produits contrefaits et un terminal comme le Tintele V900, qui lui est un vrai produit de marque, et qui plus est, de très bonne facture. Pour ces raisons et d’autres, nous préférerons le terme « Shanzhai » pour parler des portables contrefaits et fabriqués en Chine.
En chinois, Shanzhai fait référence au butin que des bandits mettaient en lieu sûr dans des entrepôts en montagne. Il signifie littéralement « le village de la montagne » ; le terme a dérivé pour signifier tout ce qui sort des circuits légaux, puis par extension, ce qui relève de la fraude, de la copie, et plus spécifiquement, de la contrefaçon en termes de téléphonie mobile. Juste au nord de Hong Kong, dans la province de Guangdong, se trouve une ville nommée Shenzhen qui est l’une des plus importantes Zones Economiques Spéciales de Chine. Elle a profité depuis les années 70 de la politique de « réforme et d’ouverture» et de l’afflux de capitaux étrangers, ce qui en fait un symbole de la libéralisation de l’économie chinoise. Une bonne partie des fabricants de matériel électronique contrefaits venant de cette région, on parlait de « produits Shenzen », puis le terme a dérivé vers Shanzai, et fait aujourd’hui trembler le monde de la téléphonie mobile tant il prend de l’ampleur.
De la petite fabrique familiale à la vitrine algéroise
Il y a quelques années, le Shanzhai était un produit de très mauvaise qualité provenant de fabriques familiales possédant peu d’équipements, si bien qu’un examen sommaire pouvait faire repérer la contrefaçon. Avec le temps et les profits grandissants, certaines fabriques ont réussi à se doter d’équipements conséquents. A ce niveau, le Shanzai a commencé à réellement poser problème à l’industrie. Le marché touché en priorité est évidemment le marché chinois, mais nombre de pays en développement (dont le nôtre) accueillent et distribuent des produits contrefaits. Deux chiffres pour se rendre compte de la vitesse de propagation affolante du Shanzhai : en 2007, 1 portable vendu sur 10 était contrefait (150 millions de Shanzhai pour 1,15 milliard de téléphones vendus en un an). En 2010, on estime qu’un portable 2G sur 5 vendu dans le monde est un Shanzai. La proportion du faux sur le marché de la téléphonie mobile a donc doublé en trois ans ! Pire encore que la quantité, c’est l’évolution des produits sur le plan qualitatif qui représente un vrai danger pour le marché régulier.
Les gammes de la contrefaçon
Il existe en effet deux familles différentes de Shanzhai. Il y a d’abord des produits de qualité médiocre, qui ne sont d’ailleurs souvent pas de la contrefaçon dans le sens stricte du
terme (à savoir la copie d’un produit de marque) mais des produits innovants, qui n’existent nulle part ailleurs. Toujours dans notre boutique algéroise, à coté de l’« iPhone 4G » à 12 000 DA, nous trouvons en effet des « Mini iPhones » un peu moins chers. Le «Mini iPhone » est une pure fantaisie qu’Apple n’a jamais produite. On trouve aussi des tablettes électroniques avec un clavier physique, et d’autres chimères issues du monde du Shanzhai. Le vendeur nous le présente toujours comme étant un « Mini iPhone chinois ». Là, le consommateur, bien que sachant qu’il s’agisse de contrefaçon, n’est pas informé sur le fait que ce produit est un pur fake, et qui de surcroît, possède des batteries défaillantes qui peuvent prendre feu.
A coté des fakes, on trouve les Shanzhai plus conventionnels, copies de modèles existants. Aucun constructeur n’est épargné, mais les smartphones les plus en vogues sont la cible principale des contrefacteurs. Ainsi, bien que l’on puisse reconnaitre la fraude sur un produit estampillé «Nukua», bien malin est celui qui peut reconnaître un iPhone contrefait dans ses moindres détails. Le vrai danger pour l’industrie de la téléphonie mobile n’est pas tant les produits fake, que l’on reconnait et dont on devine la qualité douteuse, mais bel et bien ces Shanzhai issus de fabricants bien équipés, et qui s’infiltrent dans le marché régulier de par leur degré de finition, si bien que l’on en retrouve la publicité dans les journaux nationaux.
La communication de la contrefaçon VS une régulation aux abois
Le Shanzhai, contrairement à la contrefaçon dans les autres domaines, ne s’appuie pas uniquement sur la marque proprement dite. Quand on vous vend un sac à main Dior, on veut que vous pensiez que c’est du Dior, mais quand on vous vend un smartphone qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’original, on peut très bien mettre un logo « Allez les verts ! » ou un logo avec votre prénom dessus, ou encore avec Che Guevara et toute autre marque que vous voulez. En Chine par exemple, lors des jeux olympiques, on vendait des téléphones avec des « marques » en rapport avec cet évènement. Ici, évidemment, le produit se présente à l’acheteur comme étant de la contrefaçon, c’est-à-dire que le fabricant est assez sûr de lui pour ne plus vouloir flouer l’acheteur en copiant les logos des marques. Il joue sur la mode ambiante et table non plus uniquement sur le prix, mais sur le rapport/qualité prix.
Cette démarche était encore inimaginable il y a encore deux ans en Algérie, quand une contrefaçon de Nokia était tellement mauvaise que la coque externe bougeait toute seule. En face, les autorités chinoises travaillent à démanteler les réseaux Shanzhai en arrêtant les producteurs et les revendeurs, ainsi qu’en détruisant les Shanzhai saisis. Cette tâche colossale n’est malheureusement pas poursuivie au niveau des pays émergeants concernés par le Shanzhai notamment les pays voisins de la Chine, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Dans notre pays, le Shanzhai est clairement un produit comme un autre, qui profite encore des quiproquos pour séduire et trôner dans certains magasins à côté des produits de marques deux, trois, ou cinq fois plus chers. Ce qui nous mène vers la dernière raison qui explique pourquoi la téléphonie mobile est autant victime de contrefaçon.
Pourquoi les prix des Shanzhai sont aussi bas ?
Le plus évident est que les fabriques de Shanzhai ne payent aucun droit de licence au gouvernement chinois. Cela dit, en y voyant de plus près, l’on se rend compte que le cout réel de fabrication d’un Shanzhai tourne autour des 20 dollars. Il sera revendu 5 à 7 fois plus cher. Pour atteindre des prix de fabrication aussi bas, un second phénomène entre en ligne de compte. La compagnie taïwanaise Mediatek est à l’origine de toute une chaîne de production de composants électroniques pour téléphones portables dont les prix sont largement inférieurs à ceux des fournisseurs des multinationales classiques. La presse taïwanaise a d’ailleurs en 2010 fini par surnommer Mr Tsai, le président de Mediatek, « le roi bandit de la téléphonie mobile ». 18ème fortune taïwanaise, un homme rare dans les médias mais un meneur de génie qui a su voir venir le boom technologique de Shenzhen quand tout le monde pariait encore sur Taïwan. Mediatek a permis ce virage technologique à l’origine du Shanzhai, un terme qui ne plaît pas à Mr Tsai, car « on utilise maintenant ce mot pour dénigrer ces produits ».
En ce qui concerne les pays comme l’Algérie, Mr Tsai disait en octobre dernier: « La crise financière a confirmé que les pays émergeants n’étaient pas affectés. Leur développement économique continuera et les opportunités seront d’autant plus grandes ». Pas besoin de lire entre les lignes pour comprendre que la cible du Shanzhai est désormais les pays émergeants, plus propices à l’émancipation d’une contrefaçon non seulement régularisée de manière officieuse, mais trop rarement condamnée de manière officielle. (Suite p.4)
Contrefaçon dans les TIC: l’Algérie, l’eldorado du faux
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La téléphonie mobile : quand le « Shanzhai » infiltre le marché régulier