E-Algérie: la création de startups au point mort

Numéro dossier: 65

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Le fameux programme e-Algérie 2013 avait pour ambition d’imposer l’usage des TIC chez les citoyens algériens et les entreprises. Devenu depuis e-Algérie, sa mise en application pour 2013 relevant de l’utopie, le projet tarde à se concrétiser sur le terrain. Parmi les nombreux projets du programme, le soutien à la création de startups figurait en bonne place. Aujourd’hui, le constat est là : le nombre de startups créées est très insuffisant. Nous avons rencontré plusieurs responsables de startups, qui pointent du doigt les difficultés qu’ils ont rencontré tout au long de leur parcours de création d’entreprise, et proposent également des solutions pour encourager les startups.



Pourquoi si peu de startups en Algérie ?



Des lourdeurs administratives pénalisantes

La première des difficultés dans la création de startup réside dans la lourdeur des démarches administratives à entreprendre pour créer sa société. Celles-ci découragent plus d’un jeune qui ambitionne de se lancer dans l’entrepreneuriat, et gagneraient à être réduites. Des initiatives de l’Etat existent pourtant pour encourager la création d’entreprises, à l’image du dispositif de l’Agence Nationale de Soutien à l’Emploi des Jeunes (ANSEJ). Destiné aux jeunes chômeurs âgés entre 19 et 35 ans, il leur permet de créer une société en bénéficiant d’un prêt allant jusqu’à 10 millions de dinars, et d’avantages fiscaux très intéressants. Le taux de l’apport personnel est de 1% pour un financement triangulaire de l’ANSEJ et de la banque (2% pour les prêts de plus de 5 millions de dinars), et de 71% pour un financement mixte, avec le fonds de l’ANSEJ seulement (72% pour les prêts de plus de 5 millions de dinars).

Salué par beaucoup d’entrepreneurs, le dispositif de l’ANSEJ est néanmoins critiqué par la durée moyenne des démarches jusqu’au financement (entre un an et deux ans). Le porteur de projet doit donc s’armer de patience, d’autant qu’il n’a pas de revenus, puisqu’il ne peut être salarié durant la poursuite de ses démarches pour obtenir un financement.
« Le concept est bon », estime Salah Eddine Guenane, directeur associé du centre d’appel Waves Call, « mais au niveau de son application, les process sont lourds, ce qui pénalise et retarde la plupart des projets ». Un autre point souligné par Guenane est « l’absence d’une segmentation des projets ». « Tous les projets passent par le même process, que ce soit une entreprise qui crée deux emplois ou une qui en crée cinquante », déplore-t-il. Ce constat montre un manque de coordination des différents pouvoirs publics, avec d’un côté le Ministère de l’Industrie, de la PME et de la promotion de l’investissement qui appelle à la création d’un tissu de PME, et de l’autre, l’un des leviers décisifs de cet objectif, l’ANSEJ, qui place sur le même plan des PME créatrices d’emploi et des entreprises individuelles.

Faciliter les financements

L’autre inconvénient de l’ANSEJ est que le prêt ne concerne que les équipements, et non les besoins de trésorerie. Le jeune créateur doit donc forcément mettre son argent personnel pour son besoin en fond de roulement. Une situation qu’a vécu Salah Eddine Guenane: « Nous avons dû financer une grande partie par un fond propre, afin d’éviter les lenteurs de l’administration ». En dehors de l’ANSEJ, l’accès à un prêt bancaire reste très difficile pour les entreprises des TIC, alors même qu’elles ne nécessitent pas forcément un financement élevé, et qu’elles peuvent connaître une croissance très rapide. Une mesure a été prise récemment par le Ministère de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication, avec la création du Fonds d’Appropriation des Usages et du Développement des Technologies de l’Information et de la Communication (FAUDTIC).

Ce fonds, créé dans le cadre du programme e-Algérie, est destiné aux « administrations publiques, entreprises, associations professionnelles TIC, et usagers TIC ». Les candidatures sont ouvertes sur le site du FAUDTIC1, mais cette initiative est peu connue, même par les gens du métier, par manque de communication. « J’en ai vaguement entendu parler, autour de discussions avec mes confrères qui travaillent dans les nouvelles technologies », reconnait Louaï Djaffer, directeur associé du site de recrutement en ligne Emploitic, qui salue néanmoins l’initiative. « Il peut être un très bon levier pour encourager l’adoption des TIC en Algérie, et plus spécifiquement le Web. L’industrie du web ne peut être considérée comme les autres secteurs, c’est une activité qui demande à être stimulée et encouragée pour évoluer et constituer un secteur pourvoyeur d’emploi et d’innovation à moyen terme. Aujourd’hui, Internet contribue à hauteur de près de 1600 milliards de dollars au PIB mondial, soit un peu moins de 3% du total ».

Plus d’implication de l’Etat, plus de communication

Selon Djamel Dib, l’un des fondateurs du site de vente Ouedkniss, il faudrait « plus d’explications et de communication » de la part des administrations. Ceci afin de répondre aux questions pratiques que se pose le jeune créateur de startup, qui concerne la création d’entreprise en tant que telle, les obligations vis à vis des impôts, la tenue d’une comptabilité, etc. Ce sont des points que le créateur d’entreprise apprend sur le tas, mais des formations spécifiques pourraient permettre un gain de temps important. « Il faudrait aussi plus de visibilité sur les mesures de l’ANSEJ, de l’ANEM (Agence nationale pour l’Emploi) », a poursuivi Djamel Dib. Il cite l’exemple du dispositif mis en place par l’ANEM, qui consiste à payer durant une année une partie du salaire d’une personne inscrite dans ses fichiers, recrutée par une entreprise. Il existe quelques mesures incitatives de ce genre qu’il conviendrait de faire connaître au plus grand nombre de startups, d’autant qu’elles contribuent à réduire leur coût.

Pour Salah Eddine Guenane, « il faudrait une meilleure implication de l’Etat, sur le plan du suivi et de la mise à niveau ». Ceci permettrait, selon lui, de « diminuer le taux de mortalité des entreprises, surtout au niveau des nouvelles startups ». La volonté de l’Etat de multiplier les PME, pour favoriser la croissance de l’économie, doit donc être accompagnée de mesures concrètes, visant à accompagner les nouvelles sociétés. Beaucoup d’entrepreneurs souffrent en effet d’un manque de formation dans la gestion d’entreprise. Malgré toute sa bonne volonté et une idée de projet viable, un jeune dirigeant peut voir son entreprise péricliter s’il manque de connaissances dans ce domaine.

Louaï Djaffer souhaite de son côté plus de mesures pour susciter le désir d’entreprendre chez les jeunes. Il aimerait que « l’entrepreneuriat et la prise de risque » soit encouragé « à l’école et à l’université ». Une initiative en ce sens a été prise par plusieurs grandes écoles algériennes (ENP, HEC, ENSSMAL, ENSA, ENSTP, ESI et ENSET), avec la création de la Formation Ingénieur-Innovation Entreprendre (FIE), destinée à « transmettre et développer l’esprit d’entreprendre », en formant les étudiants « aux aspects stratégiques, marketing, financiers et humains » inhérents à l’entreprise. A l’heure où l’Algérie souhaite diversifier ses ressources, afin que l’économie nationale ne soit plus dépendante exclusivement des hydrocarbures, une réforme complète pour encourager le développement des startups semble plus que nécessaire. Les compétences et des initiatives existent, mais les mesures prises ici et là ne découlent pas d’une stratégie globale, ce qui limite leur efficacité.    (suite p.2)