Iman Houda Feraoun est la nouvelle Ministre de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication. La nomination à la tête de ce département de cette jeune femme âgée de 36 ans a créé un véritable buzz sur la Toile. De nombreux internautes ont manifesté leur enthousiasme à l’idée de voir cette algérienne, originaire de Tlemcen, prendre les rênes du département de la poste et des TIC. Cependant, la question qui mérite d’être posée ici est : Iman Houda Feraoun arrivera-t-elle à se distinguer par rapport à ses prédécesseurs ? Quelle stratégie va-t-elle adopter pour signer sa différence et apporter un plus au secteur des TIC ? Quels sont les chantiers qui l’attendent ?
Iman Houda Feraoun, la nouvelle Ministre de la Poste et des TIC, a un parcours très intéressant. Professeur à l’université de Tlemcen, elle est aussi physicienne spécialisée dans les métaux et leurs alliages. De par son jeune âge, cette Ministre devrait avoir une vision plus neuve de l’Algérie, une vision qu’elle tentera d’imposer en faisant de sa nomination à la tête du ministère de la Poste et des TIC un nouveau départ pour ce secteur dans l’ère du numérique.
Pour faire la différence, elle ne devra pas se contenter d’occuper un poste sans apporter une vision nouvelle. En effet, plusieurs chantiers l’attendent dans ce ministère qui accuse de nombreux retards. La Ministre a une lourde tâche car la jeune génération porte un énorme espoir sur sa contribution. Bardée de diplômes, saura-t-elle relever les défis et prouver que l’Algérie a besoin d’un gouvernement plus jeune et plus ouvert au changement ? Il faut dire que le département de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication a réellement besoin, aujourd’hui, d’une personne qui vienne proposer une stratégie nouvelle, une personne qui voit plus loin et qui aspire à mettre ce secteur au diapason des autres pays développés.
Mais pour cela, l’urgence est à l’élaboration d’une feuille de route dans laquelle seront notés les priorités et les chantiers nécessitant une grande attention. C’est ce que compte faire la nouvelle Ministre qui a affirmé, dans une interview accordée au site d’information francophone TSA, qu’il faudra « maturer » les projets avant de pouvoir élaborer un plan d’actions très détaillé.
Pour la nouvelle Ministre, le secteur des TIC « demande des investissements massifs qui seraient la seule voie pour pouvoir aller vers l’économie moderne ». Elle estime qu’il serait inutile de travailler dans la précipitation car, pour récolter les fruits d’une stratégie, il est nécessaire de prendre le temps qu’il faut. Concernant les priorités de son programme, Iman Houda Feraoun note en premier la démocratisation des TIC afin de renforcer le bien-être du citoyen, l’amélioration des prestations du service postal, le service de la liquidité au niveau des postes, l’augmentation du débit de l’ADSL avant d’aller vers la 4G. Elle qui préfère gérer le présent avant de se projeter dans le futur a vraiment du pain sur la planche car le secteur de la Poste et des TIC a besoin aujourd’hui d’un projet concret, sérieux et moderne car les enjeux sont énormes.
Plusieurs dossiers importants restent en suspens, à savoir principalement l’accès des entreprises algériens aux TIC, l’amélioration et le renforcement de la plateforme DZ, et la réalisation de la transition numérique en Algérie qui demeure le principal objectif de la stratégie générale du ministère. Sur le terrain, l’Algérie demeure encore en retard en matière de TIC et la Ministre se trouve devant le challenge de redresser la barre. Mais comment procéder quand on sait qu’en 2015, nous n’avons que 76 000 sites web algériens ? La contribution des TIC à notre PIB ne dépasse pas les 4% ! À peine 20% de nos PME sont connectées à Internet. Nous importons presque cinq milliards de dollars d’équipements et de services des TIC de l’étranger.
Algérie Télécom, un premier chantier en attente…
La Ministre de la Poste et des TIC se fixe comme principal objectif de la stratégie générale de son ministère la transition numérique d’Algérie Télécom qui doit, selon elle, recentrer son activité sur la réalisation des grands projets d’infrastructures. Lors d’une visite d’inspection à Alger en juin dernier, elle a mis l’accent sur la nécessité de baisser la pression qui s’exerce sur Algérie Télécom. Cette dernière se trouve impliquée sur deux fronts : le développement et la généralisation de son réseau à travers le territoire national, et le renouvellement du réseau existant constitué de milliers de kilomètres de câbles en cuivre, qu’il faut remplacer par de la fibre optique. Pour Mme Feraoun, Algérie Télécom devrait plus se concentrer sur les grands projets d’infrastructures et céder la tâche de la création des réseaux de fibre optique et leur renouvellement en zone urbaine aux micro-entreprises.
ADSL, 3G, 4G, l’accès à Internet pour tous
Aujourd’hui en Algérie, la 3G ne couvre pas tout le territoire national. Plusieurs zones restent déconnectées du monde des TIC. Le réseau internet fixe ou ADSL est encore pointé du doigt par les clients en raison des lenteurs qui continuent à freiner l’accès à Internet pour tous. Serait-il possible de penser au déploiement de la 4G ? Pour Mme Feraoun, il est primordial de couvrir l’ensemble des villes algériennes en déployant la technologie et en couvrant, dans un premier temps, toutes les régions par l’ADSL. « Le désenclavement des zones de l’intérieur du pays figure parmi les priorités de la Ministre et du gouvernement algérien », a-t-elle souligné dans l’interview accordée à TSA. Même si elle refuse de prendre du retard par rapport aux progrès qui touchent le secteur de la technologie en évolution continuelle, elle souligne que les priorités doivent être respectées dont principalement assurer l’accès à Internet à tous.
Concernant les perturbations au niveau du débit de l’ADSL, elle évoque la possibilité de mettre en place une cellule d’écoute permanente pour pouvoir intervenir le plus rapidement possible et optimiser les moyens ou encore créer de la sous-traitance en matière de maintenance. Le remplacement de la fibre optique par une nouvelle fibre est également prévu par Algérie Télécom.
Enrichir le contenu DZ, un impératif
En 2015, nous n’avons que 76 000 sites web algériens. Un chiffre dérisoire en comparaison à nos voisins maghrébins. Le contenu DZ est encore très pauvre et doit impérativement être développé. Plusieurs experts s’accordent à dire que le contenu DZ demeure pauvre et ce, en raison de plusieurs facteurs dont principalement les difficultés culturelles, car ce type de contenu n’est pas ancré dans notre culture, bien que la demande de la nouvelle génération se fait de plus en plus sentir.
Sur ce volet-là, la Ministre compte laisser le champ libre aux jeunes, dotés d’idées créatives en les accompagnant et les encadrant. A ce propos, Mme Feraoun a évoqué la possibilité de développer avec l’Agence Nationale des Parcs Technologiques (ANPT) un partenariat avec le secteur de la recherche scientifique et les ministères correspondants.
L’usage des TIC dans l’administration publique
Pour rendre l’administration publique plus efficace et la mettre au niveau des administrations du monde entier où les TIC sont introduites, la Ministre devra également penser à une stratégie efficace afin d’introduire les TIC et renforcer leur usage au sein de l’administration publique afin d’opérer une transformation importante de ses modes d’organisation et de travail. Malheureusement, en Algérie, nos administrations sont encore loin de mettre au service de leurs clients un système d’information performant.
Force est de constater que plusieurs administrations ne bénéficient pas de site en ligne bien alimenté et qui permet aux citoyens de se renseigner ou de connaître les démarches administratives à suivre pour une quelconque procédure. Il est à signaler également que même les administrations qui ont des sites internet ne s’occupent pas de l’actualisation de leurs contenus, ce qui ne facilite pas la tâche aux citoyens.
L’usage des TIC au niveau des entreprises
Selon de récents chiffres, à peine 20% de nos PME sont connectées à Internet. Les entreprises algériennes, en dépit de plusieurs atouts qui devraient les aider à mieux intégrer le marché mondial dont les ressources significatives, une population jeune et une situation géographique stratégique, demeurent encore loin de l’évolution souhaitée en matière de technologies de l’information et de la communication. Il est vraiment déplorable de constater que plusieurs entreprises ont du mal à utiliser les TIC pour aligner leurs entreprises sur les défis de la mondialisation. Pourtant, ces TIC ont pour principal rôle de réduire les variations dans les processus d’affaires et aussi de permettre à l’entreprise de comprendre ses choix stratégiques.
Modernisation des services de la Poste, un enjeu de taille
Parmi les chantiers que compte prendre très au sérieux la nouvelle Ministre figure également la modernisation des services de la poste avec comme objectif un meilleur confort du citoyen. La Poste peut développer des filiales et créer de la valeur ajoutée au lieu d’être uniquement une entreprise de service publique. Pour mettre ce secteur à jour avec l’évolution des nouvelles technologies de l’information, il est impératif de miser sur la modernisation afin de mettre à la disposition des citoyens des produits et services de qualité, mieux comprendre leurs besoins et satisfaire davantage leurs diverses attentes.
Plusieurs étapes devraient être prises en considération afin de parvenir à réussir cet enjeu de taille dont principalement : le renforcement des points d’accès postaux, l’amélioration de l’accueil, la modernisation des services financiers postaux, et la disponibilité d’accès aisé aux technologies de l’information et de la communication.
Interview avec Anis Souilah, gérant d’AZ Network
« La Ministre devrait libérer les initiatives. La liberté d’entreprendre fera le reste »
Anis Souilah est architecte de formation. Passionné par les nouvelles technologies, il a lancé en 2011 avec deux associés AZ Network, une entreprise spécialisée dans la réalisation du contenu digital, dont les applications mobiles, les jeux Facebook, les sites internet, etc.
Iman Houda Feraoun a un parcours très intéressant. En tant que jeune responsable d’une start-up, pensez-vous que la nomination de cette jeune femme soit réellement une chose positive pour son département et pour l’Algérie ?
La nouvelle Ministre est jeune, ce qui fait certes la différence avec ses prédécesseurs. Cela peut apporter un plus au ministère de la Poste et des TIC, mais c’est loin d’être suffisant. Sa valeur ajoutée dans un domaine comme celui des TIC devra être l’audace. La Ministre devra casser des tabous, rompre avec les vieux réflexes et avoir une vision différente de celle qu’avaient les précédents ministres des TIC en Algérie, et ainsi rattraper l’immense retard que nous accusons dans ce domaine, dans un premier temps par rapport à nos voisins magrébins, puis par rapport au reste du monde, et ce en élaborant une stratégie et une feuille de route à long terme. La nomination de M. Younes Grar comme chef de son cabinet est un très bon signe.
La nouvelle Ministre a du pain sur la planche. Que doivent être ses priorités selon vous ?
Libérer les initiatives. Il n’y a que de cette manière qu’on verra éclore une dynamique des TIC dans notre pays. Et je ne parle pas que de problèmes d’agréments, d’autorisations, de licences d’exploitations et autres entraves à l’émergence d’une économie numérique en Algérie. Il y a aussi la question des prix. Rien que l’ouverture d’un cybercafé est difficile en Algérie, non seulement parce que les entraves administratives sont énormes, mais aussi à cause des prix que pratique le provider public. Aussi, l’accès à la 3G reste relativement cher. Il n’est pas accessible à l’algérien moyen, alors qu’en Algérie les gens sont très friands de nouvelles technologies. Faciliter l’accessibilité à Internet créera une dynamique qui fera vite avancer le domaine des TIC. Quant au paiement en ligne, il est toujours bloqué et c’est administratif. On ne peut monnayer des services numériques, via le net ou via mobile, alors que techniquement cela est non seulement possible via ce que l’on appelle vulgairement le flexy. La Ministre devrait libérer les initiatives. La liberté d’entreprendre fera le reste.
Comment est-ce que la Ministre peut contribuer dans la relance des start-up en Algérie ?
Le ministère de la poste, seul, ne peut pas relancer les start-up en Algérie. Mais vous avez utilisé le bon terme «contribuer ». Il faut d’abord que les entreprises comme les particuliers puissent avoir les moyens de travailler, comme une connexion internet stable, et digne de ce nom. Il faut qu’ils aient le droit de choisir leur provider. Pouvoir disposer d’une ligne téléphonique fixe, et je vous jure que ce n’est pas le cas de tout le monde encore aujourd’hui. Il faut lever les entraves à la création d’entreprises, les agréments, les licences d’exploitations, les autorisations et ne restreindre cela qu’aux secteurs stratégiques. Ensuite, sur le volet commercial, les entreprises doivent pouvoir monnayer leurs services. Nous sommes l’un des rares pays au monde où on peut acheter en ligne mais à condition de payer de la main à la main ! Et ce n’est qu’un exemple. Enfin, d’autres institutions doivent apporter leur pierre à l’édifice. Le ministère du commerce pour alléger la création d’entreprises par exemple, ou celui de la communication en libérant les ondes pour faire bénéficier les start-up de radios libres par exemple. La Ministre doit œuvrer à l’établissement d’un écosystème, en ouvrant plus d’établissements à vocation TIC comme le cyberparc de Sidi Abdellah, mettre l’accent sur la formation, et surtout sur la recherche qui est complétement négligée. Aussi, en attribuant par exemple des aides au financement, propres aux start-up évoluant dans les TIC. Exemple : le Fonds d’appropriation des usages et du développement des technologies de l’information et de la communication, un fonds de 5 milliards de dinars pour le développement du secteur, reste figé. Pourquoi ?
Avant de passer à la 4G, ne pensez-vous pas que la priorité est d’améliorer le débit de l’ADSL ?
Demander à Algérie Télécom d’améliorer ses prestations est nécessaire mais pas suffisant. D’abord parce que l’entreprise publique ne peut pas tout faire à elle-seule. Plusieurs providers, consacrés actuellement aux professionnels, ont la capacité de faire des offres pour les particuliers, aux côtés des opérateurs de téléphonie. Il faut multiplier les offres, faire un mix privé/public avec des formules complémentaires entre 4G, ADSL haut débit, Msan et 3G selon les régions, les secteurs et leur rentabilité. Algérie Télécom ne peut pas équiper le pays d’Est en Ouest, et du Nord au Sud, avec la même qualité partout. Il n’y a que par les offres complémentaires que cela peut marcher.